mercredi 4 juin 2008

Le train et... l'escargot !

Excellent pédagogue, prévoyant, bien organisé, un instituteur (je devrais dire : un Professeur des Écoles, mais je dirai plus affectueusement le Maître) voyageait, l’autre jour, dans un train. Sur ses genoux, une boîte transparente garnie de feuilles de laitue que dévoraient à belle râpe… des escargots. Des Bourgogne, bien ronds, bien bruns, bien solides et vifs, destinés à la leçon de choses (je devrais dire : au cours des Sciences de la Vie et de la Terre) qu’il ne manquerait pas de donner à sa classe. Certains, toutes cornes dehors, dégustaient la salade ; d’autres traçaient des voies luisantes entre les feuilles ; d’autres enfin, repliés dans leur coquille, siestaient paisiblement en attendant le terminus. Le Maître, lui, dévorait en silence les morceaux d’un Canard que d’aucuns disent… enchaîné !

Surgit le contrôleur (je devrais dire : la contrôleuse). Casquette vissée sur le chignon, veste grise liserée de bleu serrée sur la poitrine, machine à trouer pendue au poignet, l’agente s’avance…
-Bonjour. Billet s’il vous plaît…
Le Maître plie les ailes du Canard, découvre le vivarium, se penche, fouille dans sa serviette…
-Qu’est-ce que c’est que ça ?
-Heu… des escargots… pour mes élèves ! Je suis instit…
-Des escargots ?
Retenant sa casquette de la main libre, de l’autre la sacoche, l’agente se penche, observe d’un œil pointu dans la boîte ventrue les Bourgogne dodus qui râpent, caracolent, et ronflent dans leur coquille en attendant le terminus …
-Des escargots !
-Oui… des escargots… pour mes élèves ! Nous allons étud…
-Vous avez un billet ?
-Oui… vous venez de le vérifier ! Voulez-vous le rev…
-Non ! Pas le vôtre ! Le leur !
- ???
-Comment ? Vous n’avez pas de billet pour eux ?
- ???
L’agente du train rétablit la position, rajuste la casquette, ouvre la sacoche d’un mouvement précis malgré un coup de tangage brutal de la voiture (c’est fou ce que ces professionnels ont le pied… ferroviaire ! pense le maître en attendant la suite. Comme les marins!). Il ose…
-C’est que, je ne pensais pas qu…
-Je suis obligée de verbaliser !
Autour, on tord le cou pour mieux entendre, on lève les fesses pour mieux voir… Quelque part, un téléphone portable joue la Marche de Sambre et Meuse.
-Verbaliser ? Pour ça ? Mais je n’occupe qu’une place… soyons raisonna…
-C’est le règlement, Monsieur. « Les animaux domestiques doivent s’acquitter d’un titre de transport ! »
L’agente a débité d’un trait, sans respirer, sans sourciller, sans tituber dans les cahots.
-Mais ce ne sont pas des animaux domest…
Trop tard ! Le billet était déjà fait, composté d’un coup de machine bracelet, la main tendue pour recevoir la monnaie !
Dans leur boîte, les Bourgogne râpaient, caracolaient, ronflaient dans leur coquille en attendant le terminus.
Le Maître redéploya les ailes du Canard. Mais la tête n’y était plus. Il dit tout de même au journal, à voix très basse, pour n’être entendu que de lui seul…
-Heureusement qu’elle ne t’a pas vu, toi !
Pour bien montrer que LA LOI, C’EST LA LOI, nom d’un chien (payant !), le soir même -les escargots ayant tout raconté à la presse dès l’arrivée au terminus- dans les étranges lucarnes du 20 heures, interrogé par l’homme-tronc de service, le chef national de l’agente du train, en costume trois pièces de banquier, badge SNCF au revers, fardé et poudré comme un meneur de revue, expliquait qu’il aurait agi de même, et qu’il félicitait son employée pour sa conscience professionnelle exemplaire !
À chemin de fer, poigne de fer !
Qu’on se le dise !


Depuis, terrorisés, les escargots fuient les voies ferrées… ventre à terre !
C’est que, chez les cheminots, on ne badine pas avec… l’humour !


photo escargot fotosearch

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Superbe récit !
Moi aussi, je préférerai toujours l'appellation d'instituteur/trice...

Anonyme a dit…

Oui, Gilles j'ai entendu ce soir aux informations sur France Inter, cette ahurissante histoire.
La SNCF considère que les escargots sont des animaux domestiques. Devraient retourner à l'école les qui pondent les règlements.
L'instituteur a gagné, son amende de 5,30 euros. La presse s'en étant mêlée, la SNCF a dû s'incliner

diplodocus continental a dit…

Le texte est superbe,c'est le mot qui vient.Une écriture pareille n'a pas son pareil...Quand j'ai entendu cette histoire à la radio,j'ai cru rever.C'est bien que tout le monde soit au courant!Les "ceusses" de "la bataille du rail",c'était pas les memes!...

Anonyme a dit…

Merci pour ce beau texte et ... cette effarante nouvelle ! Vue du Québec cela semble à la fois exotique et surréaliste ...

Gilles LAPORTE a dit…

Exotique et surréaliste... c'est vrai ! C'est vrai aussi que, entre ceux de la "bataille du rail" et ces agités du règlement, il y a la même différence qu'entre les résistants et... ceux de Vichy !
Quant à définir la notion de "domestique", peut-être le Maître (ou l'instituteur) s'en sortira-t-il mieux avec ses élèves (dont notre agente zelée) que bien des "Professeurs des Ecoles" !
Amitié et bonne journée.

Anonyme a dit…

Ce matin avec humour était encore commentée cette ubuesque amende pour des escargots "domestiques". La journaliste demandait donc aux futurs usagers de la SNCF de faire très attention et de demander avant de partir que la langouste transportée ne soit pas considérée comme un animal domestique, pour ne pas avoir à payer d'amende.
Vivante bien sûr la dame aux longues antennes.

Un gros oubli, merci Gilles pour ce texte.

. a dit…

Je suis une petite maîtresse des écoles de cours préparatoire ( le cours que je préfère car il est la base de tout, l'émergence des potentiels )

Me vient l'idée (sourire) de domestiquer des escargots avec mes petits écoliers..... dans une histoire qui serait écrite par eux bien sûr.

Les réglements et l'absurdité de leur application à la lettre ou ..dans les déviances d'interprétation

j'ai beaucoup aimé lire ce texte qui pourrait, à lui seul, être une histoire racontée à mes petits écoliers et sujet de discussion (sur les réglements )

Merci et belle journée Gilles

micheline a dit…

oui, elle est bien bonne cette histoire!! et qui pourrait aussi s'appeler "chercher des poux dans la tête" avec ou sans billet!
-ou la grande misère des services publics.

Rénica a dit…

Pas eu le temps d'écouter les infos ces derniers jours...En lisant ce billet, j'ai cru à un conte des temps modernes,une fiction joliement tournée de votre part Gilles...Et cette histoire est vraie...C'est stupéfiant ! Attention rangeons nos sandwichs au pâté, rillettes et autres cochonailles domestiques...surtaxe annoncée !

joelle a dit…

ou comment la SNCF se ridiculise toute seule. Elle n'a besoin de personne.

Gilles LAPORTE a dit…

Et, fort heureusement, Joelle, le ridicule ne tue plus !
Cordialement.
Gilles

Anonyme a dit…

Merci pour votre visite.
Votre récit si vivant et plein d'humour a d'abord déclenché chez moi un grand fou rire jusqu'à ce que je réalise avec stupeur qu'il s'agissait de faits réels. Et soudain, je suis devenue perplexe. Je n'avais pas entendu cette information sur les ondes. Je préfère vite repenser à Beaumarchais et m'empresse donc d'en rire définitivement !

Anonyme a dit…

Tres sympa
Mama de http://www.sirpriz.com