vendredi 15 février 2013

Julie-Victoire, le roman...


Julie-Victoire, le roman de Julie-Victoire Daubié, première bachelière de France
(éditions ESKA-Paris)
Longtemps oubliée, poussée hors des sentiers de l’Histoire par des hommes qui ne souffraient pas de voir une femme pénétrer dans l’univers qu’ils s’étaient approprié, celui de la vie sociale et citoyenne, Julie-Victoire Daubié fait aujourd’hui figure d’exemple.
Ses combats en faveur de la dignité humaine et du respect des valeurs de notre République, ses suggestions dans les domaines de l’économie et de la politique, ses propositions concernant le monde de l’éducation, ses luttes généreuses en faveur de la juste place des femmes dans la société, sont aujourd’hui encore au coeur du débat public.
Au prix de renoncements à un confort légitime d’existence, à une vie sentimentale qui aurait pu faire d’elle une femme comblée, selon les critères éculés survivants d’un ancien régime encore largement présent dans les esprits de son temps, ne reculant pas sous les coups reçus, souvent violents, infligés par des hommes persuadés que tous les pouvoirs ne connaissent que le genre masculin, continuant de travailler d’arrache-plume malgré les fatigues d’un engagement quotidien toujours difficile, elle a su entrouvrir des portes, ouvrir des brèches dans des remparts impressionnants que, dès avant même sa disparition, quelques-uns se sont empressés de refermer et colmater.
Il n’est que de se souvenir de la censure appliquée à ses écrits par la troisième République pour prendre toute la mesure de la gêne (le mot est faible !) que ses idées produisaient chez les responsables politiques de l’époque !De la juste répartition des richesses produites par le monde ouvrier, au droit de vote généralisé étendu aux femmes (mais soumis à niveau minimum d’instruction civique), en passant par la formation des maîtres, le contrat de mariage, l’égalité salariale homme-femme, la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, le statut de la mère célibataire et le sort de l’enfant dit « naturel », Julie-Victoire Daubié a réfléchi à tous les déséquilibres d’une société bouleversée par la mutation profonde, parfois violente, de la société de son temps.
Elle a dénoncé toutes les injustices, condamné l’appropriation par quelques-uns des fruits du travail de tous, rejeté le mariage décidé par les chefs de famille pour la dot que pouvait apporter la future épouse (elle avait baptisé ce piège souvent sordide pour la femme : « bonne affaire commerciale »), exigé un contrôle sérieux des compétences des enseignants et leur formation au métier, proposé des solutions toujours respectueuses de l’autre partout où les droits fondamentaux de l’individu étaient bafoués.
Julie-Victoire Daubié n’était pas une impertinente donneuse de leçons, mais une femme de réflexion doublée d’une femme d’action ! Chaque jour de sa vie, elle a pris ses responsabilités, des risques souvent payés très cher, rencontré des êtres de bonne volonté, des savants, des artistes, des philosophes, des élus, des ouvrières et des ouvriers, des patrons pour, à partir de leurs témoignages, et avec eux, tenter d’élargir l’horizon de tous. Elle a même créé sa propre entreprise, peut-être pour faire la démonstration que, à condition de le vouloir, il est possible de partager le travail dans le respect absolu des droits et des devoirs de chacun. Le notaire n’a-t-il pas précisé, en tête de son inventaire après décès : «… en son vivant entrepreneur de broderie » ?
Julie-Vicoire Daubié n’était pas une idéologue prétentieuse, mais une citoyenne engagée au service d’une belle cause héritée des saint-simoniens, une économiste sérieuse, une sociologue moderne avant même la création de cette nouvelle science par un autre Vosgien : Emile Durkheim. A son instar, elle traitait « les faits sociaux comme des choses », les approchait et analysait avec une méthode que le sociologue encadrera avec rigueur quelques années plus tard.
Ses livres et articles témoignent d’une connaissance profonde des structures sociales de son temps, des réseaux de pouvoir, des circuits nationaux et internationaux empruntés par la grande finance, des coalitions d’intérêts de classe si néfastes au bonheur des humbles et aux grands équilibres de la nation.
Des patrons de presse ne s’y étaient pas trompés, qui lui avaient ouvert leurs colonnes, et lui confiaient la mise au grand jour d’idées qu’ils partageaient !
Prétendre aujourd’hui que Julie-Victoire Daubié ne fut qu’une comète dans un ciel de ténèbres perpétuelles serait faire mentir l’Histoire.
Elle fut un astre dont la lumière, qui a éclairé le chemin des femmes et des hommes de son temps, permet aujourd’hui encore de regarder l’avenir en imaginant des relations sociales plus apaisées et plus justes, des comportements politiques plus conformes aux valeurs de notre République, des systèmes bancaires et financiers plus respectueux de celles et ceux qui créent réellement les richesses.
En ce début de 21e siècle convulsif, cette lumière révèle à cru nombre de perversions de notre société à l’origine de grands désordres devenus, par effets de mondialisation… planétaires.
Lire, aujourd’hui, les écrits de Julie-Victoire Daubié, s’imprégner de sa philosophie politique, s’inspirer de ses analyses économiques et sociales, se référer à ses préceptes moraux, c’est se nettoyer l’esprit des scories qui le paralysent, et revenir à des fondamentaux essentiels.
Par ce roman, j’ai voulu redonner vie à cette femme, ma compagne au quotidien (virtuelle mais bien réelle !) de quatre années de travail et de complicité, la ressusciter, la présenter comme un être de chair et de sang et, ce faisant, inviter le lecteur à partager ses espoirs, ses émotions, ses douleurs et ses joies, son inaltérable confiance en l’être humain.
Restituer le contexte de son temps aussi fidèlement qu’un romancier peut le faire, recréer les situations qu’elle a connues ou pu connaître, l’inviter à incarner des personnages qui, s’ils n’étaient pas vraiment elle, étaient porteurs des idées, des valeurs qu’elle respectait, des sentiments qu’elle a probablement éprouvés, m’a paru indispensable pour rendre à Julie-Victoire la place considérable qu’elle a occupée dans notre aventure sociale, place qu’elle occupe toujours.
S’il m’est arrivé de prendre quelques libertés avec le fil de sa biographie réelle, dans le détail seulement, c’est pour mieux nous la faire apprécier comme une femme visionnaire qui a travaillé et combattu toute sa vie pour nous, pour nous inviter à la reconnaître comme… une soeur qui, à nos côtés, nous accompagne et nous soutient aujourd’hui encore dans notre action en faveur de l’affermissement de notre devise républicaine…
Liberté, Egalité, Fraternité !
Image La Liseuse Musée Calvet Avignon. Couverture Demeter