mardi 15 juillet 2014

Une voie/x de cristal...


UNE VOIE/X DE CRISTAL
par Joyeux Drille
Comment ? Vous ne connaissez pas Gilles Laporte ? 
Ce romancier vosgien, lorrain, devrais-je même dire, continue de nous faire découvrir et aimer le patrimoine et l’histoire de sa belle région, sans oublier d’y ajouter une dimension sociale et politique qui lui tient particulièrement à cœur. Après la faïencerie de Rambervillers ou l’essor du thermalisme à Vittel, Laporte nous emmène aux cristalleries de Baccarat, au cœur de cette révolution industrielle au cours de laquelle le cristal lorrain a gagné ses lettres de noblesse. Entre personnages attachants, situations délicates, histoire en mouvement et transmission des savoir-faire, ouvrez grand les yeux, et aussi les oreilles, pour découvrir le très belle « Cantate de cristal » (en grand format aux Presses de la Cité) composée par Gilles Laporte.
Couverture Cantate de cristal


Florent a une douzaine d’années, en cette année 1843, quand il a une révélation. Ce jeune gamin, enfant ardemment désiré, arrivé tardivement au sein d’une famille de Baccarat, dont le père est verrier aux cristalleries, fait son apprentissage entre école et écurie en attendant d’avoir l’âge pour, lui aussi, entrer dans les ateliers où le verre en fusion prend forme.

Mais, je vous le disais, en cette matinée grise, Florent va avoir une révélation : alors qu’il passe le balai, il entend pour la première fois un son qui va lui donner la chair de poule, le bouleverser jusqu’aux tréfonds de l’âme. Ce son, c’est une voix humaine en train de chanter, une voix aussi claire… que du cristal.

Et le gamin, aussitôt envoûté, de vouloir savoir qui chante ainsi et comment on parvient à faire sortir de sa gorge une telle beauté… Alors, il s’approche et fait connaissance de celle qui va changer sa vie profondément : Regina Galtier. Cette jeune femme, allemande d’origine, a quitté son pays natal et franchi la frontière pour venir s’installer en France après avoir épousé Edouard Galtier, chimiste émérite et bientôt, sous-directeur des cristalleries de Baccarat.

Regina va apprendre à Florent les rudiments du chant. Un apprentissage reçu en cachette, car Regina se doute bien que, dans leur entourage respectif, on verra leur relation, toute artistique qu’elle soit, d’un mauvais œil. Mais, un jour, Florent fredonne devant sa mère qui trouve le brin de voix de son rejeton magnifique… jusqu’au moment où elle comprend qu’il chante en allemand et que ce savoir ne peut lui venir que d’une personne…

Florent va alors devoir redoubler de discrétion pour continuer à apprendre à chante. Mais, lors de la messe de minuit 1846, c’est toute la communauté des verriers de Baccarat qui va découvrir, médusée, la beauté de la voix du garçon. Le voilà chantant seul en plein office, déclenchant une vague d’émotion énorme… et la colère monumentale de son père. Au retour de l’église, Firmin jettera carrément l’orange destinée à Florent au feu et lui interdira de chanter…

Malgré sa douleur, Florent va jouer le jeu. Aidé en cela, si l’on peut dire, par la mort prématurée de Firmin, rongé par les produits chimiques qu’il manipulait depuis des années aux ateliers. Florent lui fait alors la promesse solennelle de reprendre le flambeau, de devenir à son tour verrier, le meilleur dans son domaine, et de lui faire honneur.

Florent tiendra parole, mais il était dit que le chant jouerait également un rôle primordial dans sa vie et que Regina ne serait pas pour lui qu’une simple initiatrice, mais la femme de sa vie, aussi importante que sa mère.

Nous allons alors suivre la vie de Florent jusqu’en 1881, vie marquée par le rude apprentissage du métier de verrier, par l’avènement de Napoléon III, dont les idées sociales très courageuses développées durant le règne de Louis-Philippe furent rapidement oubliées une fois au pouvoir, par la guerre de 1870, qui verra Baccarat rester française, mais pas de beaucoup et qui, évidemment, compliquera la vie de Regina et Florent. Mais cette vie sera aussi marquée par d’excellents moments, comme son amitié avec « le Riflard », autre jeune verrier qui deviendra inséparable de Florent ou encore, ce voyage à Paris pour l’Eposition Universelle de 1867, au cours de laquelle les deux garçons seront partie prenante du pavillon de la cristallerie et de l’élaboration des merveilles qu’on y exposera.

Gilles Laporte, avec cette « Cantate de cristal », nous offre une saga historique et sociale à la fois passionnante, instructive et émouvante. Historique, parce qu’il y a effectivement à la fois la révolution industrielle qui vient chambouler la société française, et sociale, parce que les cristalleries de Baccarat, sous la houlette d’Eugène de Fontenay, son directeur à cette époque, a su mettre en place un système paternaliste assez révolutionnaire, où le bien-être des verriers et de leurs familles étaient aussi important que le chiffre des profits de l’entreprise.

De longue date, au point d’y consacrer une série de roman, Laporte a une fascination pour les éléments : l’air, l’eau, la terre et le feu. Avec le cristal, il réunit ces quatre éléments dans une alliance quasi miraculeuse dont naît la beauté la plus pure qui soit. Et, s’il accompagne cette aventure industrielle d’une découverte du chant, c’est aussi parce qu’il y a quelques points communs majeurs entre les deux activités.

Sculpter le verre en fusion ou entonner une cantate de Bach nécessite une maîtrise du souffle parfaite. Un souffle de vie et de beau que possède Florent, doué dans les deux domaines. Dans sa vie, ces deux passions, ces deux savoir-faire seront inextricablement liés, même s’il aura bien du mal à les exercer simultanément (j’allais écrire de concert…).

Le pivot autour duquel va s’articuler cette double vocation, c’est Regina. La femme qui va lui en apprendre tant sur la vie, qu’il va perdre puis retrouver, auprès de laquelle il saura enfin s’épanouir. Bien sûr, la relation entre sa mère et Regina ne va pas de soi et la méfiance viscérale de Jeanne, qui se teinte peu à peu de jalousie (un peu possessive, cette maman, mais si inquiète pour ce fils qu’elle a eu temps de mal à concevoir, on peut la comprendre…) vient ternir les débuts de cette relation  qui sort de l’ordinaire.

Mais, le grand mérite de Regina, c’est de tout endurer, aussi bien pendant son mariage avec Galtier, dont elle sortira totalement délaissé, que lors de sa relation avec Florent, si mal vue (elle est allemande, plus âgée que lui, etc.). Elle en avalera des couleuvres, souffrira autant dans son corps que dans son âme, toutes ces années, ne puisant son bonheur que dans la musique et dans le chant et dans le partage qu’elle instaurera dans ce domaine avec Florent.

Mais, Regina est une force brute, qui saura, lors d’une scène finale magnifique, émouvante aux larmes et hautement symbolique, renverser tous les obstacles et faire basculer jusqu aux plus sceptiques dans son camp par un geste d’une grande noblesse, d’une grande magnanimité… Je n’en dis pas plus, c’est le dernier chapitre de « Cantate de cristal » que j’évoque ici.

Alors, bien sûr, ce roman est aussi l’occasion de découvrir l’envers du décor du terriblement difficile métier de verrier. A l’image des mineurs, les verriers aussi ont payé un lourd tribut à leur profession. Car, on ne manipule pas aux produits chimiques et au feu d’enfer des fours sans conséquence… Mais, ce qui émane de ces hommes et de ces femmes, car elles aussi ont un rôle important dans l’élaboration des pièces de cristal, c’est une incommensurable fierté à voir prendre forme puis exister le fruit de leur travail. Un fruit si beau, si recherché, dans lequel ils ont mis tant d’eux-mêmes, leur souffle, leur cœur, leur force, leur dextérité…

Si Baccarat reste encore aujourd’hui une marque renommée dans le monde entier pour la beauté et la qualité de ses produits, pour les innovations technologiques qu’elle a sues développer, c’est à tous ces hommes et ces femmes qu’évoque Laporte dans « Cantate de cristal » qu’on le doit en grande partie.

Et puis, je m’en voudrais de finir sans évoquer le chant, moi qui ai pratiqué cette activité artistique pendant près de 20ans. Je sais, pour en avoir parlé avec lui, qui Gilles a pris autant de soin à se renseigner sur le processus de fabrication du cristal que sur le chant et son apprentissage, parce qu’il voulait que tout soit parfaitement agencé.
Eh bien, c’est réussi ! J’ai retrouvé dans ces lignes la passion et l’émotion qui m’ont animé pendant des années lorsque moi aussi, j’essayais de faire sortir de ma gorge les plus jolis sons possibles, au service des plus grands compositeurs. Bien sûr, Regina étant allemande, c’est Bach qui tient la plus grande place dans le roman, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais elle apprend aussi à Florent des lieder de Schubert, donc des poèmes profanes mis en musique…

Cristal ou chant, réunis dans le titre du roman, tous deux ont un objectif commun et unique : le beau. Une beauté à chaque fois issue de l’activité humaine. Laporte est un humaniste, il le revendique et il a bien raison, et, encore une fois, il réussit à montrer que notre misérable espèce, si prompte à tout détruire autour d’elle et à ne pas toujours agir pour le meilleur, est aussi capable de créer des choses admirablement belles. Et de nous rappeler que tous, nous avons en nous ce pouvoir, et qu’on ferait bien d’apprendre à l’utiliser avec moins de parcimonie…

Alors, je vais terminer ce billet qui, je l’espère, vous aura donné envie d lire « Cantate de cristal » mais aussi les autres romans de Gilles Laporte, en le citant. Ou plutôt, en citant un de ses personnages, la fameuse Regina, citée ici à plusieurs reprises. Parce que cette phrase, adressée à Florent alors qu’il est encore tout jeune et qu’il découvre le pouvoir de sa voix cristalline, est juste magnifique et tellement juste…
A Florent, Regina écrit : « Quoi que vous fassiez, continuez à chanter ! Chantez, mon enfant : la lumière est dans votre gorge ! ».

Un message à tout ceux qui ont une activité artistique ou artisanale. Tous, vous qui faites du beau de quelque manière que ce soit, vous aussi, vous avez la lumière dans votre gorge. Et,tant que ces savoir-faire si divers, si différents, continueront à se transmettre, malgré les évolutions technologiques, les rachats, les concentrations d’entreprises, malgré des médias pas toujours en phase avec tout cela, malgré des tentations croissantes et pas forcément toujours compatibles, tant que cette lumière brillera dans des millions de gorges, de cœurs et d’âme, alors il y aura du beau dans ce monde…

Pas un peu trop lyrique, comme conclusion ?
http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.fr/2012/08/une-voiex-de-cristal.html

mardi 8 juillet 2014

Je sais que tu m'attends... par Deashelle.


Impressions de lecture de la critique littéraire belge DEASHELLE sur le prestigieux site Arts et Lettres (en date du 5 juillet 2014) :
Le monde de la la médecine ou celui de l'édition?
Gilles Laporte ?
On l’adore. Pour ses romans historiques au souffle de forge littéraire incandescente. Pour la passion ouverte qu’il campe pour l’éducation, la littérature, la musique classique, la peinture. Pour ses grands classiques républicains prônant la liberté, l’égalité des chances, la dignité de l’homme et de la femme. Pour son refus de la richesse extrême de quelques-uns et la misère des masses incultes, pour sa guerre à l’hypocrisie en général. Dans ses romans précédents, toujours extrêmement documentés, il peint admirablement des époques révolues avec une précision évocatrice frappante. Il carbure à l’amour de la Lorraine en particulier.
Et le voici tout à coup en Bretagne au 21e siècle. Cela décoiffe et il ne fera pas dans la dentelle! Ses cibles sont multiples. La manipulation homme-femme dans les deux sens, la relation sexuelle dénuée de vrais sentiments, l’amour passionnel qui fait accomplir l’impossible, le milieu hospitalier et comme tête de turc un médecin souvent comparé à un hypocrite prélat qui tire les ficelles d’un égoïsme sans nom au lieu de sauver des vies.
La plume chatoyante n’a pas changé, voici un roman moderne écrit avec des codes classiques fort bienvenus. Le souci constant d’une langue riche, fleurie et palpitante souligne la richesse des émotions et la complexité des situations.
L’histoire a toutes les facettes d’une légende urbaine : elle se rapproche de nos peurs : quelle confiance peut-on faire aux médecins ; elle se rapproche de nos rêves : qu’est-il de plus beau que de pouvoir communiquer avec l’être que l’on aime au-delà de la mort et de son imminence ? Elle se rapproche de nos attentes de justice : le Bien surmonte le mal. Il ne manque plus que l’on raconte cette histoire-qui-pourrait-être vraie sur les réseaux sociaux, et elle s’envolerait comme une traînée de poudre ! C’est paradoxalement cette exploitation qui fait un peu le bémol de ce très beau roman qui comme à l’accoutumée séduit entièrement par son écriture effervescente.
Il y a donc plusieurs problématiques modernes intéressantes au-delà de cette ligne très romanesque : la question de l’humanité du traitement des patients dans les hôpitaux, l’euthanasie, le don d’organes, la mort programmée et chacun peut nourrir son quotidien de la réflexion qu’elles engendrent. Mais il y a aussi un très beau thème en filigrane qui suggère que non seulement l’amour et les caresses d’une personne mais aussi la lecture de beaux textes à un malade peut toucher sa sensibilité profonde, même dans un état comateux, et lui faire le plus grand bien. La parole est un partage de l’amour humain amplifié.
 
Merci, Deashelle, du fond du coeur !