dimanche 30 décembre 2007

Julie-Victoire, première bachelière de France

Voici un extrait (p. 201 à 208) de mon nouveau livre ( mars 2007),
Julie-Victoire, première bachelière de France
(375 p. éd. ESKA Paris)

biographie romanesque de Julie-Victoire Daubié, femme originaire des Vosges qui, au 19ème siècle, a mené une lutte acharnée pour que la Femme soit respectée à l'égal de l'homme, et trouve dans notre société sa juste place...
Institutrice diplômée et préceptrice depuis de nombreuses années, Julie-Victoire se présente en Sorbonne pour y demander son inscription sur les listes des candidats au... Baccalauréat :




-Non, Mademoiselle ! Notre faculté des Lettres ne peut pas admettre votre candidature au Baccalauréat. C’est impossible ! Impossible !
Les vitres à petits croisillons reflètent un soleil incandescent tombé par flaques sur les toits serrés de la ville dont la rumeur occupe les craquelures de leur silence… éclats de voix, culbutis de fin de marché, claquements de roues sur les pavés, cris d’enfants, appels de mères… quelque part, dans une ruelle du quartier, un chien gueule à la mort.
-Le Baccalauréat est affaire d’hommes, Mademoiselle, d’hommes seulement ! Ne le saviez-vous donc pas ? Comment avez-vous pu penser qu’une femme pût prétendre obtenir cette faveur ?
Un coude sur Tite-Live, l’autre fiché comme un vieux cep dans le bois sombre du bureau, l’homme rajuste son pince-nez, lisse sa fine moustache, lorgne par-dessus ses verres comme la vieille de la rue des cimetières à Fontenoy tapie derrière ses brise-bise, avec le même trou noir dans l’œil. Il a le geste court, la toux sèche du brasseur de papiers anciens perdu dans les galeries de l’histoire, la poitrine barrée de rouge par la Légion d’Honneur, et un curieux mouvement de recul du col et des épaules acquis pour se grandir sur les estrades universitaires.
-Comment avez-vous pu… croire… que la Sorbonne pût entendre votre requête ? Affaire d’hommes, le Baccalauréat, Mademoiselle !
Éclat de lune rousse dans les dernières lueurs du jour, la face parcheminée de l’homme rougeoie. Derrière lui, comme les haricots enfilés et pendus à sécher dans le grenier de Fontenoy, contenus par des grillages de clapier, des centaines de livres en cage. Au clou, des gravures du vieux Paris, des aquarelles de la Rome impériale et, sur des étagères, des bustes poussiéreux de héros au front large couronnés de lauriers.
-Affaire d’hommes ! Ne le saviez-vous donc pas… Mademoiselle… Mademoiselle…
Ses doigts noueux sautent de la fine moustache qu’il lisse sans cesse, au pince-nez qu’il rajuste nerveusement. Il lorgne dans la pénombre par-dessus les taches luisantes de ses verres striés de reflets gras.
-Daubié… Julie-Victoire Daubié, née dans les Vosges, à B…
Il hausse les épaules en grimaçant comme si le nom lui avait écorché les oreilles.
-Et si vous le saviez, Mademoiselle… Daubié, comment avez-vous pu oser… imaginer… que la Sorbonne pût entendre votre requête ?
Il siffle des mots tendus, l’homme ligoté dans sa cravate de satin noir. Il plisse un front de baudruche vide, fronce les épais sourcils, s’humecte les lèvres d’une pointe de langue blanchâtre, arrondit un bec luisant et fripé, tapote à présent son bureau des deux mains à plat, entre Tite-Live et le tampon buvard vert maculé d’encre violette. L’or de son alliance brille dans l’auréole jaunâtre d’un chandelier à col de cygne. Et ses ongles, fins et pointus, taillés comme des griffes de félin.
Julie-Victoire l’observe comme elle observait hier encore les fœtus ratatinés dans le formol du Museum… la tête de momie posée comme une boule de bilboquet sur le col de celluloïd, la cravate de satin noir piquée d’une perle, les doigts tordus comme les sarments secs qu’elle brûlait l’hiver à Bazegney, sur la Pointière du Haut des Vignes, avec son curé de frère, la bouche, surtout, semblable au bec des épinoches qu’elle pêchait autrefois à la bouteille dans les remous du Côney, sous les murs de la Manufacture. Elle réprime un frisson.
-Je ne voudrais pas vous être désagréable, Mademoiselle, mais permettez-moi une question simple… Pour qui vous prenez-vous ? Songez…
Durant plus d’une heure qu’elle a fait antichambre dans un boyau de couloir désert, sous un plafond crépitant des pas d’étage, Julie-Victoire a contenu son impatience. Et maintenant, à peine introduite dans ce bureau qui pue le renfermé, face à cet homme au trou noir dans l’œil qui lui fait sa morale sans même l’avoir saluée, elle tente d’étouffer la colère qui gonfle et lui noue la gorge. Elle serre les dents ! Humiliée… comme au pire moment de la halle à charbon, autrefois, à la Manu… Une douleur la saisit au ventre, la même depuis des mois qu’elle se casse le nez sur des portes fermées à triple tour par des pantins cravatés cramponnés à leur bureau comme des naufragés aux débris du navire. Elle serre les dents. Envie de vomir. L’effort est si violent pour se contenir qu’elle ne reconnaît pas sa voix…
-Je ne songe pas, en ce moment, Monsieur. Mes songes et mes rêves sont toujours pour mes nuits, ou mes promenades en campagne. Ici, en ce moment, face à vous, je suis éveillée, et je pense, tout comme vous ! Je pense, comme le recommande Descartes, pour éprouver mon être ou, si vous préférez, selon la dialectique de Platon, pour mieux agir !
Le coup a porté juste. L’homme en apnée recule, tord le bec, renifle sèchement, caresse le bois patiné du bureau, murmure en se frottant les mains qui font un bruit de râpe à pommes de terre « Descartes… Platon… » Elle a parlé lentement, Julie-Victoire, comme la semaine passée devant le secrétaire des études, un chauve qui puait l’ail et le tabac froid, comme le mois dernier en face d’un chef de bureau à moustache pendante, ou sous-chef, aux manches de lustrine à élastique, qui sentait le chien mouillé, comme depuis toujours qu’elle a quitté sa campagne de la Vôge pour la vie parisienne et ses mulots de salon.
-Oui, Monsieur, malgré mes cottes, mon corset et mes menstrues, je pense… comme vous !
L’homme s’est raidi.
-Mademoiselle ! Restez correcte, je vous prie !
-Je suis correcte, moi, Monsieur !
Elle a insisté sur le moi. Il renifle encore. Il bredouille. Il cherche ses mots, en trouve… d’irritation à peine contenue malgré la pratique quotidienne de savants silences et de flagornerie. Subitement aspiré de l’intérieur, son visage se plisse comme une vieille pomme.
-Alors, puisque vous pensez si intensément, Mademoiselle, par les écrits de nos anciens maîtres, tentez donc de réfléchir par vous-même maintenant, si vous vous en croyez capable, avec moi, si vous le voulez bien.
-Je le veux !
L’affront a évacué le malaise. Elle se sent soudain forte, Julie-Victoire, face à l’homme étranglé par le celluloïd qui, sous les lambris dorés de l’institution et le regard mort d’un Homère de plâtre, crépite de la voix comme hier encore le feu de sarments sur la Pointière du Haut-des-Vignes,
-Ne confondons pas instruction et éducation, Mademoiselle. Car, si l’une est indispensable au progrès féminin et au bien être de l’homme, je veux parler de l’éducation bien sûr, l’autre, en revanche, l’instruction, lui est naturellement et farouchement nuisible ! N’est-ce pas ? Voyez-vous ce que je veux dire ? N’est-ce pas ?
Elle ne voit, Julie-Victoire, que l’éclat de lune rousse en train de s’éteindre, le sourire figé d’Homère sur son corbeau, le grillage de clapier, et deux mains pâles qui s’agitent dans la pénombre comme les ailes d’un oiseau pris au filet. Elle retient son souffle, plante son regard dans le front de l’homme, entre les deux yeux, là où les virgules de sourcils se rejoignent en une touffe hirsute, serre les dents, les coudes et les genoux. Prête à bondir. Elle sait trop ce qu’elle va entendre pour l’avoir entendu mille fois déjà. Rien ne changera donc jamais dans ce monde ? Et la femme devra-t-elle jusqu’à la fin des temps servir et se taire en s’épongeant l’entrecuisse à chaque lunaison ? Ce soir encore, dans le refuge sombre de la vieille Sorbonne que dévorent les prémisses de la nuit, au cœur même de l’éternel complot mâle d’État, à deux pas des cendres d’un Richelieu dont elle aperçoit le chapeau suspendu sous les voûtes de la chapelle, elle sait qu’elle l’entendra, qu’elle doit l’entendre, encore… encore et encore ! Et elle sait qu’elle doit le refuser… de toutes ses forces ! L’homme poursuit…
-Villermé l’a fort bien résumé dans son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers publié en 1837…
-…dans les fabriques de coton, de laine et de soie, publié en 1840, avec son collègue Benoiston de Châteauneuf…
Il pointe le doigt vers elle.
-Vous l’avez lu ?
Il a pris sa voix de trompette professorale. L’index pointé vers Julie-Victoire, il jette ses mots dans le silence. Son visage à bec d’épinoche est devenu terreux, plat comme une galette de sarrazin. Derrière les vitres à petits croisillons, le ciel couvre les toits d’encre violette à reflets gorge de pigeon. La rumeur de la ville s’estompe.
-L’avez-vous lu ?
Il ouvre un tiroir, empoigne une grande boîte de carton noir, en tire une allumette qu’il gratte. Une boule de lumière jaillit de ses doigts. Son visage vire au jaune. Il donne la flamme à un cierge de bureau qui se met à grésiller. Puis les mains de cadavre se reposent côte à côte sur le bois patiné. L’homme les contemple longuement, comme fasciné par le tracé noueux des veines sous la peau. La flamme danse un moment, s’étire et file, puis se fige.
Julie-Victoire n’a pas bronché.
-Je vous ai posé une question, Mademoiselle ! L’avez-vous lu ?
Il a pris le ton de l’examinateur. Ses yeux de chat percés d’un trou noir derrière le pince-nez cherchent dans la pénombre la silhouette de sa visiteuse, ne rencontrent que la mouche à corset bleu de son regard et le halo plus clair de son visage, comme d’une femme pauvre dans la nuit mystérieuse de Rembrandt.
-Je l’ai lu très attentivement, Monsieur ! Si j’apprécie son constat de médecin sur les misères de l’enfance au travail, je ne partage pas sa morale insultante pour l’ouvrier, ni sa fâcheuse tendance à évacuer la détresse des femmes esclaves !
Elle a parlé d’une voix forte et claire, le regard toujours planté dans la virgule des sourcils en broussaille.
Il se racle la gorge, étire un cou de vautour dans les reflets ivoire de celluloïd, croise lentement les doigts, reprend comme s’il n’avait rien entendu de la réponse…
-…l’instruction permet d’acquérir les connaissances et de développer le sens des responsabilités en activant le désir de pouvoir, c’est là le domaine de l’homme, Mademoiselle, tandis que l’éducation vise à l’action morale, réduit l’orgueil, modère l’ambition, porte au travail, ouvre le cœur et, se transmettant aux enfants, les éloigne des actions honteuses et criminelles. C’est là le domaine de la femme !
Il a regorgé d’un jet, comme pour en finir une bonne fois pour toutes. Il tente une inspiration, la réussit par saccades, tourne la tête, voudrait échapper à la mouche à corset bleu, noue et dénoue ses doigts que la torsion blanchit. Tout à l’heure, la présence de cette femme l’indisposait. À présent, elle le gonfle d’une fureur difficilement contenue. Cette mouche à corset bleu ! Pourquoi perdre un temps précieux à tenter de lui expliquer l’évidence ? Pourquoi l’a-t-on laissée venir jusqu’à lui ? Pourquoi s’obstine-t-elle donc à vouloir le convaincre de l’autoriser à passer son Baccalauréat, plutôt que laver des chemises, cuire correctement un ragoût ou torcher des marmots ? Il ne veut plus entendre ses défis, ni l’apercevoir derrière la flamme dansante du cierge dans sa robe de satin crème à courts volants et petit col rond, ni la sentir dans son parfum de lilas. Et ses cheveux, en bandeau de part et d’autre du front, à la Sand ! Et son œil noir, à la Sand ! Et ses écrits, à la Sand, le… le talent en moins ! Il renifle. Lance son regard vers le clapier des livres anciens jamais ouverts. Prend à témoin Homère et quelques autres sages antiques. Il enrage. Qu’elle sorte, maintenant, cette fille du diable ! Qu’elle rejoigne son domaine de la rue ! Qu’elle disparaisse, cette toquée !
-J’ai tenté de lire quelques lignes de votre… Femme pauvre, sur… la condition de vos semblables. Tenté de lire ! comprenez… mon temps est tellement compté ! Il ricane. La Femme pauvre au dix-neuvième siècle… C’est bien de vous, n’est-ce pas, ce manuscrit que Lyon vient de couronner ?
Cette fois, il pointe les deux index noueux et branlants vers sa visiteuse.
-Inutile de vous dire que je ne partage pas vos idées, Mademoiselle… pour autant que l’on puisse… parler… d’idées ! Mais pas du tout, alors ! Pas du tout !
Il ricane, s’appuie des deux mains sur le bureau « idées… idées… vos idées ! » se redresse, tend le cou, claironne comme les oies de loterie à la foire du trône.
-Comprenez, tout de même, ou tâchez de comprendre… Mademoiselle… Mademoiselle…
-Daubié !
-Si l’homme a besoin d’instruction pour diriger les entreprises et administrer le pays, la femme, elle, n’a besoin que d’éducation pour… garantir la morale et donner leur équilibre aux familles. À chacun sa place dans notre société ! Ne pas respecter ce principe premier serait ouvrir la porte à toutes les anarchies ! Cousez donc, mesdames, brodez, cuisinez et priez, du matin au soir et du soir au matin, toutes choses que vous enseignent si bien nos congrégations, et vous serez capables de satisfaire vos maris occupés par le travail, d’élever correctement nos enfants et, ainsi, de servir efficacement notre pays ! Faites donc cela, le monde vous en saura gré, et vous serez comblée ! Nul ne vous en demande davantage, pas même vous, au fond !
Il élève des mains de prédicateur de part et d’autre de la poitrine, ralentit le débit, articule pour se faire mieux comprendre, tente d’adoucir le ton, veut donner l’impression qu’il joue la confidence. Mais ses narines pincées trahissent la fureur.
-Votre bonheur est là, Mademoiselle… Daubié, croyez-moi, à la maison, aux tâches simples mais si nobles qui font la qualité de vie familiale et sociale, nulle part ailleurs ! Mais vous ne le saviez pas vous-même ! Maintenant je vous l’ai dit, et vous le savez ! À la maison ! Là est votre bonheur et… le nôtre !
L’homme se lève, claudique autour du bureau, s’approche d’elle, voudrait se grandir en allongeant le cou, ne parvient qu’à se faire héron du Côney.
-N’oubliez jamais, Mademoiselle, ce qu’écrivait Aristote, voilà plus de vingt siècles : « L’homme est, par nature, plus apte au commandement que la femme, exactement comme l’adulte est supérieur à l’adolescent ». N’oubliez jamais !
Du poing serré, l’homme d’université martèle une invisible tribune. À un pas de la visiteuse toujours immobile. Il aboie maintenant. Il postillonne. Il éructe des mots qu’elle reçoit sans ciller. Derrière lui, le grillage des rayons, le regard vide d’Homère, et les livres en clapier… comme, autrefois, les lapins de Fontenoy !
-Cette vérité est la base éternelle et inébranlable de notre équilibre social ! L’affirmer sans cesse est la mission première de notre université !

Julie-Victoire se lève lentement. Livide, noir et ivoire comme un curé en ornements de deuil, l’homme marche sur elle. Il explose. Sa perle de cravate lui fait un curieux troisième œil à trou noir qui danse sur la glotte au rythme des aboiements.
-Non, Mademoiselle, le Baccalauréat n’est pas pour vous ! Non ! non ! trois fois non ! Apprenez donc toutes les sciences et toutes les Lettres de la terre si vous en avez la force, le courage et la capacité -ce dont je doute !-, mâchonnez du latin, ruminez du grec, essayez-vous à la philosophie, à l’Histoire, et à l’art de l’écriture, tentez de réussir tous les prodiges intellectuels que vous permet votre peu de disposition naturelle, vous ne ferez que perdre, à vouloir vous hausser ainsi, un temps qui serait plus utile au pays à porter des enfants et à les élever dans le respect du père, car jamais notre faculté ne vous reconnaîtra par ce diplôme prestigieux du Baccalauréat dont vous rêvez, diplôme réservé exclusivement et définitivement aux hommes, et aux hommes seuls ! Entendez-moi bien, Mademoiselle… aux hommes seuls ! Et maintenant, allez donc rêver ailleurs ! Je suis très occupé !
D’un geste sec, il lui indique la sortie.
-Le moment n’est pas venu de couvrir la Sorbonne de ridicule.
-La Sorbonne en a vu d’autres, Monsieur le Recteur. Ce n’est pas pour moi seule que je lutte, mais pour toutes les femmes.
Julie-Victoire se retourne. Elle fait front.
-Pourquoi la moitié de l’humanité tiendrait-elle l’autre en tutelle ?
-Mademoiselle ! Parler d’esclavage et de tutelle de la femme alors que les coquettes à crinolines ruinent leurs maris ! Ne croirait-on pas entendre Madame George Sand ?
-J’admire profondément Madame Sand, qui daigne répondre à mes lettres, ainsi que le glorieux exilé Victor Hugo !
-Vous admettre serait donner pâture aux gazettes d’opposition, aux chansonniers, et au ministère à la fois ! Notre Université connaît suffisamment de problèmes en ce moment. Inutile d’en ajouter. Ne savez-vous donc pas que nos confrères Michelet et Adam Mickiewicz viennent d’être interdits de cours, et que notre ami Victor de Laprade est privé de sa chaire à Lyon à cause d’une ode antigouvernementale ? Ne le savez-vous donc pas ? Pas le moment, vous dis-je ! N’insistez pas !
Il l’empoigne par le bras, la pousse vers la tenture du fond qu’il écarte. Sur le seuil, il veut lui prendre la main. Elle refuse. Il ricane, retire nerveusement son pince-nez. Elle sort. La porte claque comme un coup de canon.

Nuit, déjà, place Sainte-Geneviève. Une brume blanchâtre encrassée de fumées ocres traverse des lambeaux de ciel où gisent quelques étoiles.


Julie-Victoire a marché droit devant, sans rien voir, sans rien entendre, ni personne, jusqu’au bout de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, à l’angle de la « pension et externat-classe du soir-table d’hôtes et commerce de vins ». Elle s’arrête, reprend son souffle, respire, s’efface devant le fantôme chartreux d’un vitrier qui claudique sur les pavés en poussant son cri « vi…trier ! vi…trier ! vi… » Plus loin, un porteur d’eau balance ses seaux vides. Plus bas, sous une corniche qui les protège de la lumière trop crue d’une lanterne secouée par la bise, deux femmes fardées, cottes haut fendues, bavardent en se poussant du coude. « Vi…trier ! vi…trier ! » Loin devant, dans un brouillard argenté, l’église Sainte-Geneviève transformée en Panthéon par la révolution du peuple, prise à une femme dont ce même peuple a jeté les cendres à la Seine, donnée… « Aux grands hommes », par « la Patrie reconnaissante… » que l’Empereur vient de rendre au culte des prêtres. Et, sous son clocheton rongé par les fumées âcres du quartier où roule une lune goguenarde, l’autre, l’immense église Saint-Etienne-du-Mont suspend ses verrières d’or dans les ténèbres et ouvre au large son porche sur des mères en fichu qui gravissent l’escalier en traînant une marmaille morveuse. La cloche appelle à l’office du soir.
Julie-Victoire se retourne, rajuste son fichu, attaque le pavé du talon, dégringole la rue Bonaparte, frôle l’Institut sans un regard pour son gland dressé sur la voie lactée, aborde la Seine puante de vase, de merdes flottantes, de décoctions de tanneurs, et de rats morts. Elle fonce. Lyon… écrire à Lyon… Arlés-Dufour… Lui, sans doute, pourra faire quelque chose.

Oui, écrire à Lyon !


A suivre...
Julie-Victoire, première bachelière de France
sélection Prix Brantôme de la biographie historique 2007
sélection Prix Jeand'Heurs du roman historique 2007

jeudi 27 décembre 2007


Ma peinture la plus récente : Les Humbles 13
acrylique et huile sur toile 50x60

mercredi 26 décembre 2007

En guise d'intro... pour se connaître !

Gilles Laporte
Ad Lucem semper
Depuis toujours, l'écriture me passionne. Une vraie pathologie !
Tout a commencé lorsque, vers l'âge de sept ans, j'ai reçu pour prix de lecture (j'ai encore connu les distributions de prix à l'école, avec maire, curé, postier, pompiers, fanfare, discours, homélies, chants patriotiques et saynètes...) le beau Don Quichotte de la Mancha du fameux auteur espagnol Cervantès. J'ai lu, relu, re-relu ce livre... et je me suis juré que, le moment venu, j'écrirais des histoires aussi passionnantes (j'espère !) que celle-là !
Le moment est venu bien vite !
Mon premier titre : A Travers les vers... recueil de poèmes, a vu le jour en 1968 (avril... en mai j'étais trop occupé !). Beaucoup d'autres ont suivi : pièces de théâtre, films pour la télévision, nouvelles, romans, romans historiques et biographies.
Au printemps dernier, les éditions ESKA (12, rue du Quatre-Septembre Paris - mon éditeur depuis plus de dix ans) ont publié ma biographie romanesque de Julie-Victoire Daubié, femme remarquable du 19ème siècle dont la pensée est toujours actuelle, sous le titre

Julie-Victoire, première bachelière de France


J'ai pris un vrai plaisir à "vivre" avec Julie-Victoire durant les cinq années qu'a duré le travail de recherche-écriture, même si, parfois, les difficultés rendaient la progression... douloureuse. Aujourd'hui, les lecteurs rencontrés dans les salons du livre, la presse, les courriels reçus me disent que cette histoire est... passionnante et très touchante, en même temps qu'elle invite à réfléchir sur... la condition de la femme et le respect de l'autre dans notre société. Quelques jurys de prix littéraires l'ont aussi remarquée.
Si j'ai créé ce blog, c'est pour que vous me disiez ce que vous en pensez... ce que vous pensez de ce livre-là et des autres (voir ma biographie-biblio-filmographie sur
Wikipédia, par exemple, ou sur le site ecrivosges.com). C'est pour échanger avec vous, rompre le silence (nécessaire !) qui baigne en permanence l'écrivain, ce curieux ermite enfermé dans une cellule qu'occupent, traversent, visitent des personnages très souvent d'autres temps.
Oui, ce blog est le vôtre avant d'être le mien. Plus vous m'y parlerez de vous en réponse à mes écrits (ou à mes images - je peins pour me reposer de l'écriture), et plus j'aurai envie de vous raconter d'autres histoires que celles de mes livres, de partager avec vous des émotions, de vous confier mes éblouissements ou... mes coups de gueule ! Et il y en aura !
Alors, en avant !
Je compte sur vous.
Vous pouvez compter sur moi !
Cordialement.