lundi 28 novembre 2011

La Fontaine de Gérémoy

Mon roman La Fontaine de Gérémoy vient d'entrer au catalogue de France Loisirs !

Du coup, je vous en offre un extrait :

Juillet 1872
-Vous avez lu ce… Tartarin de Tarascon, dont tout le monde parle ? Irrésistible ! Il a déclenché une vraie révolution, là-bas, dans le pays des saucisses d’âne. D’Avignon à Marseille, ils en sont presque venus aux mains, dit-on dans la presse. Je viens de l’acheter… c’est à pisser de rire parfois, et ... tellement vrai ! J’aime beaucoup lire. Pas vous ? Voudrez-vous que je vous le prête, Marie-Amélie, quand j’en aurai fini la lecture ?
En blouse blanche à col romain par-dessus le celluloïd, la moustache collée à l’eau sucrée, le cheveux un peu fou, poivre et sel déjà, et des yeux noirs plantés sous un immense front ivoire, l’homme en imposait d’emblée. Il avait dégusté le « Marie-Amélie ». Assis derrière son bureau de l’Établissement thermal, il déchaussait son pince-nez pour poser les questions, le rechaussait pour entendre la réponse en fixant intensément la visiteuse par-dessus ses verres.
-Pourquoi pas ?
La Malie avait répondu du tac au tac.
-Ou bien… je vous le passe maintenant, puis… vous me raconterez ! Vous devez aimer raconter les histoires. Est-ce que je me trompe ?
Elle ne savait comment interpréter ce « …devez aimer raconter des histoires… », se garda bien d’exprimer la moindre impression. Elle tournait le dos à la fenêtre, le voyait bien, lui, dans la lumière, savait qu’il ne la voyait qu’à contre jour. Intrigant, cet homme qui clignait de l’œil pour l’apercevoir mieux !
-Tenez, voulez-vous que je vous en lise un ou deux extraits ?
Sans attendre si elle voulait, le docteur Darriaud avait déjà sorti le livre d’un tiroir, cherché une page dans les premiers chapitres, commencé la lecture d’une voix forte de chanteur d’opéra…
« Au temps dont je vous parle, Tartarin de Tarascon n’était pas encore le Tartarin qu’il est aujourd’hui, le grand Tartarin de Tarascon si populaire dans tout le midi de la France.
Pourtant -même à cette époque- c’était déjà le roi de Tarascon. Disons d’où lui venait cette royauté… »
Le lecteur avait pris un air mystérieux et goguenard, à la manière des comédiens qui jouaient des saynètes, le soir sur la scène de l’hôtel de l’Établissement. Il tournait les pages, choisissait les bons morceaux, s’en délectait d’avance.
« … dans le petit monde du poil et de la plume, Tarascon est très mal noté. Les oiseaux de passage eux-mêmes l’ont marqué d’une grande croix sur leurs feuilles de route, et quand les canards sauvages descendent vers la Camargue en longs triangles, aperçoivent de loin les clochers de la ville, celui qui est en tête se met à crier bien fort : « Voilà Tarascon !... voilà Tarascon ! » et toute la bande fait un crochet. Bref, en fait de gibier, il ne reste plus dans le pays qu’un vieux coquin de lièvre, échappé comme par miracle aux septembrisades tarasconnaises et qui s’entête à vivre là ! A Tarascon, ce lièvre est très connu. On lui a donné un nom. Il s’appelle le Rapide… »

Le docteur Darriaud éclata d’un rire rocailleux qui, soulevant la moustache, fit étinceler un collier de petites dents d’un blanc éclatant.
-Le Rapide ! Pas mal trouvé, n’est-ce pas ?
Il regardait la Malie par-dessus ses binocles. Son œil noir pétillait.
-N’est-ce pas ?
Il avait haussé le ton. Elle en fut frappée. Cette voix, comme celle de son père autrefois quand elle faisait mine de ne pas l’entendre, qui annonçait toujours la colère.
Son père… Une coulée de plomb brûlant traversa son corps. En un éclair elle revit là-bas, la brasserie de la rue de Lignéville, sa mère derrière sa loupe d’eau, acharnée à broder des agneaux pascals dans la percale, puis ce chiffre aux lettres entremêlées MAB, pour son trousseau… Á son retour à Vittel, elle était allée jeter un coup d’œil à cette maison à flanc de coteau, le long de la rue où s’alignaient les tombereaux d’orge à côté des chevaux écumants du relais de diligences. Elle l’avait revue sans émotion, comme si elle n’y avait jamais vécu, comme si ces lieux lui avaient toujours été étrangers. Seuls la voix du père, les regards de la mère lui étaient revenus, lointains, et la main de Léopold dans la sienne. Léo…
-N’est-ce pas ?
Le docteur Darriaud s’était levé, s’approcha de la Malie.
-Où êtes-vous, Marie-Amélie ? Á Vittel, dans le cabinet médical de l’Établissement thermal, ou bien déjà à… Tarascon, à la chasse aux casquettes ?
Elle leva les yeux vers lui. La profondeur de son regard le surprit, et la pâleur de son visage. Il hésita un instant, tira une chaise, s’installa à son côté.
-Que se passe-t-il ? Qu’ai-je dit, ou pas dit… fait, ou pas fait, qui vous trouble à ce point. Pardonnez-moi si…
-Rien, Docteur ! Soyez rassuré, rien !
-Si ! Je vois bien que quelque chose ne va pas. Je suis médecin, ne l’oubliez pas. C’est aussi mon métier de lire dans le regard du patient les douleurs qu’il ne sait pas toujours exprimer… ou qu’il ne peut pas.
La Malie se redressa, tourna la tête, fixa intensément les arbres du parc. Du bureau, par la fenêtre ouverte sur l’été, on entendait le bourdonnement régulier des abeilles dans les tilleuls en fleurs. Des bouffées de miel et de rose entraient à flot, portées par un air tiède, agréable, paisible.
-Mais je ne suis pas votre patiente ! Je suis l’une des doucheuses de l’Etablissement, et vous êtes mon… patron.
Il avait glissé le livre dans sa poche, déchaussé ses binocles, vérifié du bout de l’index la bonne tenue de sa moustache.
-Patron… patron… comme vous y allez ! Il n’y a qu’un patron, ici, Ambroise Bouloumié, le vôtre, le mien… et nous sommes… ses employés… collègues en quelque sorte ! Et vous avez même de l’avance sur moi dans la maison ! Je viens d’arriver, alors que vous, vous avez connu Monsieur Louis…

« Monsieur Louis » ! Depuis son retour, elle avait tout fait pour chasser ses souvenirs. Et voilà qu’en deux mots, et de sa voix de chanteur lyrique, ce médecin en tirait le fil. Pourquoi l’avait-il convoquée dans son bureau ? Et que faisait-elle là ? Elle n’y avait pas plus sa place que tous les autres employés de la station, du parc, des sources, ou de l’embouteillage. Son travail quotidien au-dessus de la cabine de douche ne justifiait pas un entretien particulier avec le médecin chef de service. Perchée dès six heures du matin, elle orientait toute la journée le jet d’eau sur les curistes, les invitait à changer de position, visait telle ou telle partie du corps en fonction de la prescription médicale. Le soir, elle nettoyait les lieux, puis regagnait sa chambre dans les étages de l’Établissement. Parfois, quand la fatigue n’était pas trop prenante, elle passait sa robe noire, jetait par-dessus le châle de mariage de sa mère, en cachemire rouge, reçu à son départ pour le carmel, redescendait, se mêlait aux buveurs dans le grand salon où elle assistait au spectacle donné par une troupe de comédiens. Les débuts de ce théâtre avaient été laborieux. Les baladins de L’Ile du Pélican, en costume de canotier et de canotière très indécents, et dans des postures équivoques, l’avaient choquée, comme ils avaient choqué un grand nombre de spectateurs, dont le docteur Pierre Bouloumié et son frère Ambroise qui, dès les premiers jours de représentation, avaient dû dénoncer le contrat. La station avait été privée de théâtre pendant plusieurs semaines.
-A quoi pensez-vous, chère Malie-Amélie ?
A quoi pensait-elle en observant les tilleuls bourdonnants d’abeilles ? Des martinets en vol serré trissaient et déchiraient le ciel ; des cris d’enfants joyeux montaient de la pelouse ; on entendait un chien aboyer dans le lointain. Darriaud jouait avec ses binocles.

La Fontaine de Gérémoy Gilles Laporte Presses de la Cité-Terres de France/France Loisirs

mardi 22 novembre 2011

Danielle MITTERRAND

Madame Danielle Mitterrand est morte.
Au cours de deux rencontres inoubliables, j’ai eu le plaisir et l’honneur d’échanger avec cette Femme d’exception, courageuse, simple, déterminée, engagée dans des combats dont elle encaissait sans vaciller tous les coups souvent terribles. De la Résistance dès l’âge de dix-sept ans à la défense des minorités martyres de notre planète, de la volonté de faire éclore l’humanisme dans un monde atteint de folie criminelle à la lutte acharnée pour l’accès à l’eau par tous, de sa vie intime de femme à son rôle admirablement tenu de « Première Dame de France », Danielle Mitterrand a toujours fait front. Sa souffrance n’était rien pour elle. Son action généreuse était tout ! On la frappait. Elle restait debout ! Sans bruit, loin des scènes obscènes, des projecteurs menteurs, et des lambris dorés des palais nationaux, Danielle Mitterrand pansait ses blessures en silence, puis repartait, plus forte encore, plus résolue à faire tomber les murailles élevées par quelques-uns entre les peuples. Inspiratrice probable de cœur et de philosophie du Chef de l’Etat, son mari, elle a, de l’ombre, contribué à ouvrir des perspectives inaltérable dans l’esprit français. Son image est définitivement associée à la notion de respect de l’autre, de tous les autres, de notre planète, de la vie !
Danielle Mitterrand a écrit, dans « Mot à Mot » :
« L’altermondialisme n’est pas une philosophie. C’est la conception d’une autre « politique » dans sa signification originelle, celle de l’ « organisation de la cité ». Le sort du citoyen prime sur toutes les autres considérations. Maintenir l’équilibre entre l’importance de l’être et la répartition de l’avoir. Aujourd’hui, nous sommes loin du compte. Le pouvoir financier dont personne ne connaît l’ampleur (à voir les sommes colossales, sorties d’on ne sait où) se permet de renflouer banques et grosses entreprises sans vergogne, alors qu’un petit pourcentage de ces sommes permettrait d’apporter l’eau à ceux qui n’y ont pas accès.»
(p. 11)
« Les puissants d’aujourd’hui (…) devront entériner que l’eau ne peut pas être une marchandise, pas plus que les rayons du soleil nécessaires à la photosynthèse, ou que la gravitation universelle qui nous permet de garder les pieds sur terre, de même qu’ils sont des usagers de la terre qui ne leur appartient pas. J’ai fait mienne la formule qui prétend que nous l’empruntons à nos enfants pour leur rendre en bon état. C’est pourquoi le mouvement mondial des Porteurs d’eau a élaboré une charte qui stipule en trois principes fondamentaux que l’eau n’a pas de prix. Sa gestion doit être sous un contrôle public et son accès inscrit dans toutes les Constitutions comme un droit de l’homme. » (p. 54)
« L’homme se dit tout puissant à l’aune de son Dieu qui l’aurait fait à son image. Doté d’intelligence et doué de raison, il se présente comme un dominateur. Il invente, crée, décide de l’agencement des biens de ce monde. Il puise et exploite jusqu’à épuiser les ressources vitales et les capacités de rendement de ses frères. Il va au bout de ses possibilités au mépris des manifestations d’usure et de délabrement de son environnement. Il n’entend pas les cris d’alarme de ceux qui sont en contact avec la terre et qui écoutent ses gémissements. Le cerveau d’un poussin restera à l’échelle du cerveau d’un poussin, mais, quand il exprime sa souffrance, le gros cerveau de l’homme, s’il n’est pas sclérosé, se doit de l’entendre. Parce que la douleur est la même pour tout être vivant. » (p. 161)
Merci Madame Mitterrand.
Méditons.
Salut et Fraternité !


Danielle Mitterrand Mot à Mot Entretiens avec Yorgos Archimandritis éd. le cherche midi 2010

photo portrait D. Mitterrand droits réservés

mardi 8 novembre 2011

Parlementaires hors-la-loi !

Le nouveau plan dit « de rigueur » vient d’être publié par un premier ministre cynique, en campagne électorale, et visiblement ravi de son effet d’annonce.
En deux temps trois mouvements (de reculade par rapport aux promesses d’une majorité qui ne connaît rien de la honte, pas même le mot), avec une sûreté de ton qui force l’admiration des cariatides républicaines de la tribune sacrée de l’Assemblée nationale, il a redoublé de coups sur les petits, les sans grade, les affamés, les étudiantes prostituées, les étudiants désespérés, les familles décomposées, les ouvriers licenciés, les malades et accidentés condamnés à crever dans des services d’urgence en état de surchauffe avancée, les retraités, les cadres encadrés par des actionnaires débridés, les chômeurs jeunes, moins jeunes, vieux considérés comme des fainéants invétérés, les écoliers de l’Enseignement public républicain sans maîtres ni maîtresses, les institutions locales saignées à blanc, les flics suicidaires (liste non exhaustive !)… et il a caressé dans le sens du poil (de vison) les rentiers, les millionnaires dont notre pays détient le record d’Europe du nombre (et du cynisme ?), les financiers spéculateurs, les patrons voyous plus habitués à la une des magazines de fesse qu’à l’ambiance studieuse de leurs bureaux, les hauts fonctionnaires lécheurs d’organes à promotion, les banquiers et leurs vassaux élus du peuple, les héritiers, les spéculateurs, les usuriers (les mêmes !), les faiseurs de sondages menteurs, les officines de communication pourvoyeuses de Rolex à l’heure de leurs prébendes… (liste non exhaustive !) et… il a donné (sans le dire) sa bénédiction ecclésiastique aux parlementaires de toute couleur politique, exemple parfait du refus de solidarité nationale.
Prétendant que leurs indemnités se situent dans « la moyenne européenne », les députés viennent de décider qu’il n’est ni urgent ni nécessaire de réduire lesdites indemnités, encore moins de toucher à leur régime de retraite, encore moins de remettre en question leur possibilités de survie sociale et de reconversion automatique après avoir été sortis du Palais pour incompétence (dans le meilleur des cas) par les électeurs ! Et, pendant ce temps, comme presque toujours, le Sénat fait le dos rond sous les ors du Luxembourg, l’aveugle et le sourd à ses tables bien garnies et dans ses jardins, en attendant la fin de la tempête dont aucun de ses membres (comme de ses fonctionnaires) ne sortira blessé ! Quant aux ministères… un ange (noir) passe !
Un tel mépris du peuple souffrant par ses prétendues « élites » ne s’est vu par le passé que dans des Etats totalitaires, dictatoriaux, dans des monarchies absolues qui ordonnaient à leurs classes d’en bas d’ouvrir le porte-monnaie et de fermer… leur gueule !
Nous en sommes revenus là !
L’Histoire nous le répète à chaque fois que nous prenons le temps de la consulter : ces régimes inhumains issus de systèmes iniques ont tous connu une fin terrible.
Iront-ils jusque là, celles et ceux qui prétendent nous gouverner sous l’écrasante domination des criminels « économistes » anglo-saxons et de leurs « agences de notation » ?
En attendant une issue qu’il est de plus en plus difficile (irréaliste ?) d’imaginer paisible, force est de constater que notre monde parle-ment-taire se rend coupable chaque jour davantage de délit anti-républicain (notre devise comporte encore, me semble-t-il, le mot EGALITE !), et que, bien que ne violant pas la loi qu’il s’est votée lui-même, il se rend coupable de comportement de HORS LA LOI morale. Et c’est bien plus grave ! Car…
Là est le germe de toutes les pires tragédies !
Salut et Fraternité.