lundi 27 septembre 2010

Les Padox à Fresnes - 13ème jour et... apothéose !

Vendredi 11 juin 2010 - Nous avions prévu d’arriver tôt pour l’installation et les dernières consignes. Nos Padox ne sont arrivés qu’à 13h45 alors que le spectacle était annoncé à 14h, mais ils étaient pratiquement tous résolus, bien concentrés, et à part deux d’entre eux qui avaient abusé de la fumette (c’est fou ce que le H est pratiqué en détention), et qui réagissaient avec retard, le spectacle s’est déroulé le mieux possible, et pourtant nous avions deux absents, Robert qui est en permission, et Hervé… qui avait un parloir !!. Alors, replâtrage de dernière minute. Ce sont vraiment des conditions de travail particulièrement éprouvantes. Les détenus Padox ont assuré, notre équipe aussi, et devant une centaine de détenus venus des 3 divisions, le spectacle est passé dans un superbe silence, un court débat a suivi, d’un bon niveau. Nos gars sont heureux, le travail de Jeanne a été particulièrement apprécié, entre autres par un détenu politique basque qui avait fait du doublage et appréciait en connaisseur, un homme cultivé avec qui Jeanne a pu parler de Marie Darrieusecq. Un enregistrement a été fait par un atelier TV, cela passera sur le canal interne à Fresnes, et nous aurons un DVD, qu’on pourra par la suite regarder avec nos Padox. Les spectateurs sont pressés de retrouver leur cellule, c’est le premier match de la coupe du monde. En rechargeant le camion, nous entendons la clameur des buts. Démontage, certains nous donnent un coup de main, rangement, chargement du camion à la porte chantier, retour à Ivry, déchargement, une longue journée, en attendant demain, le spectacle à Ivry devant une salle déjà pleine.

Samedi 12 juin 2010 - Le jour le plus long, l’apogée de ce travail, a commencé bien mal : les détenus devaient arriver à 8 heures 30, mais une panne de réveil de Romain, l’animateur du SPIP, fait qu’ils ont attendu en détention 3 longues heures, au point que l’un d’entre eux, désespéré, voulait retourner dans sa cellule. Enfin les voilà, à 11h15, l’animation du matin sur les techniques théâtrales fut écourtée considérablement. Les retrouver hors de la prison change considérablement la perception que nous avons de chacun, une atmosphère de détente, l’envie de communiquer à l’extérieur, nos téléphones servent à appeler les familles. Après le déjeuner pris avec toute l’équipe, les familles arrivent, et nous vivons le premier moment d’émotion de la journée : Mostepha, un jeune gars charmant, découvre sa fille née, il y a 3 semaines, et qu’il n’a pas voulu voir en détention. Les épouses, les parents, les enfants envahissent le jardin du théâtre, puis à 16h, c’est la répétition avec un groupe d’Atout Majeur, une association de réinsertion d’Ivry avec laquelle nous avons déjà fait de nombreuses actions Padox dans la ville. Il faut les mêler dans le spectacle, dans ce nouveau lieu que nos Padox de Fresnes découvrent. Hélas, l’un d’entre eux est sorti, a abusé de l’alcool, et revient complètement ivre à la répétition. Je suis obligé d’être dur, pour resserrer les rangs, provoquer une prise de conscience de l’enjeu du spectacle du soir. Romain, l’animateur, me dit qu’il ne peut rien, qu’ils sont en permission non surveillée, et le Directeur du SPIP confirme que nous sommes obligés de leur faire confiance. Cet électro-choc soude les détenus entre eux, qui décident d’encadrer Kim, dont on découvre qu’il est gravement toxicomane. Le spectacle arrive. La salle est pleine. Pendant le discours de Leila Cukiermann, la directrice du théâtre, un grand bruit en coulisse, Kim s’est effondré. Outre l’alcool, il a pris une drogue dure. Je suis à la régie, on m’apprend que Robert, qui est en permission depuis deux jours et qui est venu répéter à 16h, n’est pas de retour. Un drogué complètement KO, et un absent, voilà la situation de départ. Mais avec l’aide forte et efficace de notre équipe et de trois régisseuses du théâtre qui nous assistent efficacement en coulisse, les détenus s’organisent, Ahmed prend en main la redistribution des rôles, et le spectacle commence. Oh bien sur, il y a des moments curieux, un Padox titube, mais en coulisse, l’auto organisation fonctionne, Gaëlle, notre amie comédienne venue en renfort, remplace les manques au pied levé, avec son amie, Sarah et Corinne, autres comédiennes bénévoles, elles apportent leur savoir faire d'actrice et leur attention aux détenus. Ceux-ci donnent une énergie jamais vue, ils jouent « à fond » selon l’expression du grand Souleymane, un Bambara d’une gentillesse superbe, grand et athlétique. Tous, même Cédric, le trublion, tiennent leur place, le spectacle engendre une forte émotion dans la salle qui les acclame, non par politesse ou par commisération, mais avec une sincérité tangible. Beaucoup de spectateurs que nous voyons ensuite ont les larmes aux yeux. La joie éclate en coulisse. On sent le bonheur d’avoir été au bout, la fierté d’être reconnus, pris en considération, valorisé. On a beaucoup de mal à se quitter, on demandera de les retrouver dès que la vidéo prise hier sera montée pour regarder le résultat ensemble. Oui, Souleymane, tu as assuré. Oui, Cédric, je t’écrirai, et surtout, réponds- moi. Oui, Ahmed, ta gentille femme qui pleure à chaudes larmes peut être fière de toi. Oui, Aimé, on se retrouvera en Guadeloupe, où avec Jeanne nous animerons un atelier d’écriture et la réalisation d’un spectacle avec des détenus, mais tu seras un homme libre. Oui, Justin, le Guyennais, géant au bon sourire, tu as été un superbe acteur. Oui, Désiré, le congolais, tu as bien aidé en coulisse, empêché de jouer Padox par ton asthme. Oui, Douta, le joueur de tamtam, le Wolof, tu as une belle présence. Robert, on t’a regretté. Pourvu que tu ne te sois pas laissé entraîner. Merci Djamela qui a porté cette aventure, qui a appelé les familles, organisé avec le SPIP les détails nombreux, délicats de cet atelier. Merci à toute notre équipe, très particulièrement à Jeanne qui a été la confidente de nos gaillards en mal d’affection, les a chouchoutés en apportant ses tartes et ses chouquettes, et les a impressionnés en étant leurs voix multiples des Padox. Merci à Delphine, David et Félicien qui avec patience et attention ont porté le projet, aidés par Corinne, Gaëlle et Sarah, immergées brutalement dans ce milieu tellement inhabituel pour des comédiennes. Dimanche matin, en rangeant le matériel, toute notre équipe disait son plaisir d’avoir participé à ce moment exceptionnel, émouvant, inoubliable.
Dominique Houdart

Cie Dominique Houdart-Jeanne Heuclin 12, rue Vauvenargues75018 PARIS
Tél 01 42 81 09 28 GSM 06 11 87 62 77
Siret : 353 180 813 00035 APE 923 A Licence cat 3 n 15816

jeudi 16 septembre 2010

Les Padox à Fresnes - 12ème jour

Jeudi 10 juin 2010. Nous avions prévu 7 séances de travail de 2 heures. Mais les difficultés inhérentes au lieu carcéral ont pratiquement réduit de moitié le temps de formation. Résultat, il nous manque quelques jours pour être fin près, et la présentation dans la Chapelle c’est demain. L’équipe a fait ce qu’elle pouvait, mais le fait de n’avoir eu toute la distribution un seul jour est un handicap sérieux. Alors que sera demain ? Seront-ils au complet ? Nous avons passé notre temps à remplacer l’un ou l’autre, cela crée de la confusion dans les esprits. Et nous n’aurons eu qu’une seule répétition en lumière, avec deux absents. Il va falloir jouer serré. Les stagiaires ont corrigé le texte de Jeanne concernant l’arrestation des sans papiers par la police. Nous pensions qu’ils allaient l’édulcorer : pas du tout, ils l’ont simplement mis au point, remplaçant par exemple « fouille au corps « par « palpation ». Et remarque très juste, ils ne veulent pas qu’on dise "rebeu » mais « Padox », pensant que c’est une injure dans la bouche des flics. Bien vu. Nous souffrons pour eux, car la chaleur dans les Padox les mets en nage, et la douche est rare. Corinne, Gaëlle et Sarah, des vaies comédiennes, sont venues à la rescousse compléter l’effectif, car 10 Padox est un nombre insuffisant pour jouer le scénario. Les procédures d’entrée et de sortie des détenus sont très différentes d’un jour à l’autre. Le surveillant qui est venu nous ouvrir à la fin de la séance, les comptait sans arrêt, a fait l’appel, ne voulait pas que nous marchions ensemble « on pourrait vous confondre ». Ben oui ! A demain. On se serre la main, chaleureusement.
Dominique Houdart

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mercredi 8 septembre 2010

Les Padox à Fresnes - 11ème jour

Mardi 8 juin 2010. La mise en route des répétitions est de plus en plus problématique. Lorsque nous arrivons dans la première division pour récupérer notre équipe, subitement la division est bloquée, et l’on nous demande même de sortir. Une tension règne dans les couloirs. Puis nous voyons nos gars, arriver, ils sont enfermés dans une salle d’attente, on nous éloigne à nouveau, blocage général, et par les grilles du couloir central, nous voyons passer trois surveillants harnachés en Robocop, avec casques, épaulettes et genouillères, gilets pare balle, bouclier, ils traversent la division. Puis un bon moment plus tard, ils repassent, et l’attente se poursuit. On apprend qu’un détenu interné le jour même avait fait une crise violente, s’était jeté contre le mur, blessé, qu’il fallait le maîtriser. Bref, dans ces cas-là, la prison se bloque, les activités sont suspendues, et ce n’est qu’une heure plus tard que nous pouvons démarrer les répétitions. Nous obtenons de surveillants compréhensifs qu’on prolonge un peu l’atelier. Il nous manque deux personnes, l’un est en commission de révisions des peines, l’autre Mostepha, dans l’agitation générale, n’a pas été récupéré par Romain. Alors, nous devons faire des remplacements, encore une perte de temps. C’est la première, et avant dernière répétition dans le décor. Les gars sont motivés comme ils le disent, « à fond dedans », ils admirent la voix de Jeanne «, elle assure ! », ils sont plongés dans la travail avec un grand sérieux. Djamela a appelé les familles pour les inviter au spectacle à Ivry : hélas, beaucoup n’ont pas de famille à proximité. Certaines feront un long périple pour voir la représentation, 300 kilomètres. La compagne de Cédric a annoncé qu’elle passera l’après midi mais avec son bébé devra partir sans assister au spectacle . Nous ne lui dirons pas, il est très fragile, cela risque de le démobiliser. Lorsque nous abordons dans la répétition la scène ou les immigrés sans papiers sont arretés par la police, lorsque j’annonce la fouille au corps, d’instinct ils lèvent les bras… Puis Jeanne dit le texte des flics « sale rebeu, retourne chez toi » , « auvergnat, met ta casquette à l’endroit », et autres gentillesses, nos Padox nous demandent de modifier le texte, pensant que cela sera mal perçu dans la Prison. Aimé emporte le texte de Jeanne, il va le corriger. Nous voilà en pleine auto-censure. Jeanne espérait recueillir des expression vécues par eux, au contraire ils vont édulcorer le vocabulaire. Dernière répétition jeudi. Pourvu que nous ne subissions pas de tels retards, notre atelier a, depuis le début, été considérablement écourté.
Dominique Houdart
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