samedi 30 août 2008

Les Anneaux de la Fiancée - 3 - TERRE

Les politiques, ces gens qui mangent dans la gamelle monarcho-républicaine les fruits produits et récoltés par leurs concitoyens, affirment avec ce cynisme qui leur va si bien, : "Les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent !"
N'étant pas de cette race, par respect pour l'autre, je réaffirme sans cesse, envers et contre ces machines de pouvoir : "Les promesses engagent ceux qui les font !"
Dans mon précédent billet, je vous ai promis quelques extraits de mon nouveau livre TERRE. Les voici.


1/ Longtemps je me suis levé de bonne heure.
Dès le jour pointant, l’appel de la mère et l’autre, du coq, me tiraient de rêves inachevés qui laisseraient ma journée de vie désemparée et brouillonne.
J’aimais les nuits de ce temps-là, plus que les jours. Rien ne me rendait plus heureux que de voir la lumière décliner, le ciel s’éteindre lentement sur les hauts peupliers de nos champs où les vaches s’étaient rassemblées pour la traite et, l’hiver, les grands nuages d’étourneaux se former par vagues au-dessus de l’étang avant de s’abattre dans les roseaux pour y passer la nuit. Je filais jusqu’en lisière, dans la haie, d’où je les observais choisir par vagues sautillantes leur dortoir sous les saules. Le frottement de soie de leurs ailes dans les airs produisait en moi une étrange sensation de douceur toujours recherchée ensuite dans les plis de ma mémoire sans jamais la retrouver. Puis la voix du père bousculait au loin le poulailler, ses grognements contre les canards trop lents à rentrer, les dindons trop vifs à s’échapper, les jars trop belliqueux qu’il écartait du bâton, ou les poules trop distraites que le coq grimpait une dernière fois avant de gagner l’enclos en gonflant le jabot. C’est que la flamme rouge du renard rôdait déjà dans les hautes herbes !
J’aimais les nuits de ce temps-là, leur approche lente sur la queue du jour, le mystère de leur silence qui faisait un nid à mes rêves.
Mais je n’aimais pas, à la charnière du jour et de la nuit, la voix trop forte du père, ses jurons à l’écurie, à l’heure de la traite, quand l’une ou l’autre des vaches aux yeux ronds rentrées par ma mère le giflait d’un coup de queue, ses tapes du plat de la main sur les croupes nerveuses, ses coups de pied dans les seaux, bidons, gamelles et mesures, son vacarme de mâle dans un monde de femelles. Je n’aimais pas non plus son éternel mégot éteint collé à la commissure gauche qui lui faisait tordre la bouche pour hurler, ni ses ongles noirs, ni les battoires de ses mains, ni son béret moulé en visière sur le devant qu’il rajustait plusieurs fois d’avant en arrière et d’arrière en avant en baladant le mégot du bout de la langue quand il voulait faire croire qu’il réfléchissait.
J’aimais les nuits de ce temps-là pour le mystère de leur silence et l’espace qu’il offrait à mon besoin d’imaginer ma mère.


2/ Comment ? Comment un cavalier aussi expert que lui a pu se laisser surprendre ? Je triture la question dans mon crâne, la tourne, la retourne sans entrevoir le moindre élément de réponse. J’ai questionné le moniteur, le président du centre, les accompagnateurs de la balade. Aucun n’a pu me répondre. Chacun m’a répété ce que je sais maintenant depuis toujours que son cheval Clark, son préféré, le plus grand de l’écurie, a butté des antérieurs dans une racine probablement, qu’il a perdu l’équilibre basculant en avant dans un impressionnant coup de pied à la lune, qu’il a éjecté son cavalier, qu’il lui est retombé sur le corps… que, quand il s’est redressé, Raymondin ne bougeait plus, qu’il respirait à peine, que personne n’y a touché en attendant les secours arrivés en moins de dix minutes, que les pompiers l’ont évacué sur une civière en prenant mille et un précautions. Ils m’ont tous dit et redit la même chose, des larmes dans les yeux, des sanglots dans la gorge et, au ventre (c’est le directeur qui me l’a confié), un insupportable sentiment de culpabilité. Depuis, le grand Klark est au box. Personne ne l’a monté. Personne ne veut plus jamais le monter.
Électroencéphalogramme plat… toutes fonctions assistées par des machines… seul le cœur continue à battre comme une simple mécanique… comme une mécanique ! Le patron du service, hier soir, m’a entraîné dans le couloir, m’a clairement dit qu’ils ne pouvaient pas le garder plus longtemps ainsi, qu’ils manquaient de lits, surtout dans un service aussi « technologique », que la survie artificielle n’avait plus aucune raison d’être, que le garder plus longtemps revenait à condamner un autre accidenté qu’on aurait pu sauver, que… Raymondin était cliniquement… mort ! Une lame de glace m’a fendu en deux. Mort !
-Mais il vit… il respire… il est chaud et son cœur bat !
J’ai presque hurlé dans le couloir.
-…son cœur bat ! Son cœur ! Ce n’est pas le cœur que nous devons écouter, cher Monsieur… c’est le cerveau que nous devons observer, dont nous devons vérifier l’activité, c’est lui qui… gouverne la vie… le cerveau ! Je comprends votre douleur, cher Monsieur, je comprends. Mais… le cœur n’est rien… c’est le cerveau… or… il est mort ! Je suis peut-être brutal, cher Monsieur, mais votre fils ne sortira jamais du coma… il est mort, cliniquement mort !

Demain, deux autres extraits...

TERRE !

Deux étaient annoncés pour la rentrée... voici le premier :


Présenté en avant-première à Nancy au salon Le Livre sur la Place du 18 au 21 septembre (où je le dédicacerai durant les quatre jours), il sera en librairie dès la semaine suivante, voici...

TERRE












TERRE

est le troisième roman de ma tétralogie Les Anneaux de la Fiancée (quatre romans indépendants construits autour de... Femmes ! FEU paraîtra en 2009.)
Dédié à Henri Thomas, évocant l'euthanasie et la vieillesse, TERRE est d'abord...

une lumineuse histoire d'amour !


Demain, quelques extraits.

lundi 25 août 2008

Promenade à Sion - 15 (fin)


Je franchis la balustrade en fer forgé sortie des ateliers de Jean Lamour en 1753, contourne le maître-autel, descend les quelques marches de l’abside. Il fait plus sombre là que dans la nef, plus sombre que dans la croisée de transept, plus sombre dans la mémoire que partout ailleurs sur la Colline. Élevée par Henri III de Vaudémont et Isabelle de Lorraine au début du 14ème siècle dans le prolongement de la petite église primitive, elle est là, cette muraille… elle est là cette porte maudite, fermée depuis longtemps déjà, murée de pierres, de briques et de volonté politique, par-dessus le corps de sœur Thérèse qui, couchée sur son pas, voulait empêcher le travail sacrilège du maçon ! C’est que, ensemble, le sabre et le goupillon avaient décidé d’interdire l’accès de l’église aux trois excommuniés Baillard. Le prétexte de leur relation avec la secte vintrasienne avait permis de souffler la flamme qu’ils entretenaient avec fougue : la Lorraine ducale ! La porte murée condamnait le pays annexé depuis peu à l’oubli de soi et à l’accueil du récent souffle révolutionnaire mêlé aux terribles vents d’ouest ! Me revient, devant cette porte murée, l’anecdote du mur des Fermiers Généraux, quelques mois avant la Terreur, et ces mots de ritournelle que je change à peine : « Le mur murant le chœur, rend le cœur murmurant ! »
Devant ce mur de porte maudite, je me prends à rêver d’un jour où, comme bien d’autres murs érigés sur notre terre pour rejeter, isoler, emprisonner des hommes, celui-là tombera. Puissent ses pierres être alors retravaillées par des maçons libres et devenir mémorial des minorités, de toutes le minorités ! Puissent-elles, en ce lieu même où, depuis des millénaires, les humains ont fait profession de s’élever, inviter au respect de l’autre et des cultures… de tous les autres, et de toutes les cultures !
Je me prends à rêver…

Le mur murant le chœur… rend le cœur murmurant !

Ils m’avaient dit « La soupe sera au chaud ! Ton assiette sera sur la table. Avec le pain, le vin, et le fromage de chez nous. Prends ton temps !»
J’ai pris mon temps !

Tout à l’heure, quand j’aurai écrit, alors que la lune montera derrière les pommiers du verger, je rejoindrai le Père Supérieur dans son bureau. Je suis sûr que la bouteille est déjà sur la table, avec les verres et le paquet de Gitanes. Ensemble, nous fumerons, nous goûterons le whisky, et nous referons… notre monde !

Tout à l’heure, entre les deux groseilliers faméliques du potager… la fouine dressée sur ses postérieures… peut-être… son plastron blanc… et sa trace, avec d’autres, dans la neige !

FIN
GL

Ce texte a été publié dans l'ouvrage collectif "Sion, une colline d'histoire", sous la direction du professeur Philipe Martin, par : Conseil Général de la Meuse - Annales de l'Est -Université Nancy 2 - mai 2007 Image : SION au printemps 2008 photo GL



vendredi 22 août 2008

Promenade à Sion - 14


Promesse de repos à goûter dans la chaude obscurité de la basilique, puis à la table du réfectoire communautaire, la croisée de la Chapelotte se mérite au sommet de la côte de Saxon. Soufflant comme une bête au labour, je plante ma canne dans la berme, bande les jarrets, accroche mon regard aux grands tilleuls qui couronnent le sommet. La fatigue alourdit mon pas. Un chasse-neige est passé. La route ressort en noir profond tigré de traces blanchâtres de sel dans cet univers d’un blanc immaculé. Et le ciel a pris une nuance d’un bleu intense, presque mauve, qui vire au pervenche à l’horizon. Une lumière vive dessine à l’encre de Chine des ombres géantes sur la neige.
« Paysage à la Hazemann ! »

Spontanément, je pense à lui, Alain Hazemann, beau peintre connu dès l’enfance, complice de collège, ami fidèle qui a décidé de consacrer tout son talent et d’offrir tout son amour à ce cœur de notre Lorraine, la Colline ! Il a repris le pinceau que la mort a fait tomber des mains d’anciens maîtres, peint à l’aquarelle ou à l’encre, et dessine au pastel toutes les âmes de ce lieu aux quatre saisons. Je l’ai vu, en petite tenue à l’aplomb de Forcelles, transpirant le soleil d’août sous son grand chapeau, frotter le jaune acide des colzas sur le papier… je l’ai vu dans les hauteurs de l’Alouène, emmitouflé comme un explorateur de Grand Nord, cramponné à son chevalet chargé d’automne que la bise s’acharnait à lui arracher… je l’ai vu sous la pluie battante charmé par l’effervescence laiteuse des mirabelliers en fleurs ou dans la neige, seul ou au côté de son superbe compère « Pyl »*. Le musée qu’il a suggéré d’ouvrir là-haut rassemble déjà, et rassemblera chaque jour davantage, les meilleurs témoignages -et les plus élevés- de la grandeur de ce site. Grâce à lui, et au soutien du Département, notre mémoire vivra !

Seul ! Je suis seul comme un fou d’échecs sur l’étrange damier tracé par l’ombre des pattes de bancs sur la neige devant l’auditorium vide. L’esplanade est déserte. Sans doute la neige et le froid ont-il eu raison de l’ardeur des fidèles ! Le tympan du portail semble une pièce d’or dans l’ombre de la tour monumentale que je m’efforce toujours de trouver gracieuse, sans y parvenir ! Pièce d’or dont l’avers porte une Vierge assise en majesté devenue trône pour son Fils. Notre duc Charles IV, le paria des Français, fondateur du couvent des Tiercelins comme de l’admirable chartreuse de Bosserville, y paraît en humble serviteur offrant sa couronne ducale au Roi des rois. Je salue, en passant, ce prince courageux que l’histoire écrite par les vainqueurs salit toujours, pénètre dans l’obscurité ambrée de la nef. Une douce chaleur me gagne d’emblée, maternelle, onctueuse, délicieusement parfumée à l’encens de Palestine. Droit devant, les six travées de la nef et, au fond, l’abside pentagonale qu’éclaire la présence de la Vierge à la colombe couronnée de son diadème de vermeil. C’est Elle qui, depuis 1669, sur décision de Charles IV, veille sur notre Maison ducale et sur tous les sujets de Lorraine. Combien sont-ils à s’être agenouillés devant Elle, à l’avoir priée, implorée, suppliée comme, dans un lointain hier, les assiégés de La Mothe priaient, imploraient et suppliaient la Dame-du-Cloître qui veille désormais dans la petite église d’Outremécourt ? Combien ? Sont-ils venus Lui offrir leurs larmes, celles et ceux qui posèrent au-dessus de l’autel latéral gauche la croix de Lorraine brisée, symbole du partage du pays après la honteuse guerre de 1870, et La supplier de leur donner malgré tout des raisons d’espérer ? Je remonte la nef latérale, vers l’émouvant oratoire… une plaque de marbre noir, pour le deuil… une couronne blanche d’immortelles, pour la pérennité de notre culture… la croix brisée, coupée en deux par l’inconséquence française et la furie prussienne… et ce cri jailli des poitrines, en patois de notre terre « Ce name po tojo !** ». Il en aura fallu des souffrances, des larmes, et du sang répandu sur notre sol martyre de Verdun et d’ailleurs, pour qu’un ruban tricolore -que j’aurais préféré d’or et de gueules***-, couvert d’une palmette d’or offerte par les dames de Vézelise, rassemble les morceaux après l’indescriptible victoire de 1918 ! Avec ces mots de soulagement, toujours en patois de notre terre « Ce nato me po tojo !****» Autel de la Victoire, nous dit-on, élevé après les furies meurtrières de Gravelotte et du Chemin des Dames pour célébrer la réunion de nos peuples… mémorial de la paix… adossé à une muraille à la porte maudite !

A suivre... (avant dernier extrait)
GL
* Pierre-Yves Lelarge, peintre vosgien
** Ce n’est pas pour toujours !
*** Métaux du blason de la Lorraine
****Ce n’était pas pour toujours !

réf. publication voir billets précédents
image Sion effet de crépuscule 23 04 08 photo GL

mercredi 20 août 2008

Promenade à Sion - 13


Au fond de sa baie, Saxon semble assoupi sous la bise sifflante et soufflante qui vient de se lever. En un tournemain, les airs tranchants du grand nord ont nettoyé le ciel et garni ma moustache de stalactites de givre que j’effleure du bout de la langue. Sur mes lèvres, une délicieuse fraîcheur… Je remonte mon col, aspire à pleins poumons ce souffle vivifiant de la terre, engage mes pas dans les ornières gelées de la route, dépasse les premières maisons du village. L’une d’elles, aux volets clos, me remue profondément. C’est là que, au temps de mes recherches sur le schisme de l’autre siècle, j’ai rencontré la Marie et son frère Henri. Jamais je n’oublierai leurs mots chuchotés, ni leurs regards inquiets de l’un à l’autre et ensemble vers moi à l’évocation des frères Baillard, ni leur affection douloureuse pour ces prêtres dont les colifichets sacrés hantaient encore les armoires, ni la vague d’émotion qui m’avait submergé à la découverte des missels de la communauté réfractaire étalés sur le lit, dont la page de garde portait de leur main le nom du grand François, celui griffonné de sœur Thérèse, l’autre en lettres rondes de sœur Lazarine… tous là, reliques de fond de placard tirées d’un carton que la Marie avait ouvert sur le lit comme elle aurait ouvert un tabernacle ! Et les larmes du vieil Henri… et ma promesse de ne pas utiliser dans mon film quelques confidences qui, m’avait-il dit, « pourraient encore faire du mal à mes enfants ! » Promesse tenue !
Je vois encore leur visage… elle, de bonne pomme crâpie aux yeux vifs… lui, aux joues veinées de coulasses bleues de collyre pour, m’avait-elle expliqué, que les paupières de son frère ne se soudent pas durant le sommeil ! Je les verrai toujours !

Comme une forteresse, la maison Jory se dresse face à Chaouilley dont le nom me plaît au point que j’aime le répéter sans raison -pour sa douceur peut-être, pour sa rondeur sucrée de mirabelle-, face à Thorey-Lyautey où survit l’étrange salon marocain du Maréchal, face au val de Tabourin qui, juste avant sa rencontre avec le mystérieux Brénon, sépare le plateau de Hartondu de la pointe escarpée où se cache le château d’Estrewaulx*
, l’Étreval moderne, face aussi au Bois d’Anon qui, au loin, pose sa calotte sur la banquise. Face à la France ! Voulait-elle résister, la forteresse Jory, à l’époque où, ferme-école des Baillard adoubés par l’empereur d’Autriche, duc de Lorraine, elle défiait les lois imposées par des maîtres d’ouest qu’elle ne reconnaissait pas ? Aujourd’hui encore, par ses murailles dressées sur la plaine, veut-elle s’affirmer comme un ultime symbole de résistance ? N’était la ruine de la maison Sellier, un jet de pierre plus haut dans la côte, on pourrait se prendre à croire, sur cette place suspendue, au devenir toujours possible de la culture de Lorraine !
La maison Sellier !
Une ruine encore partiellement couverte… une pièce éventrée qui fut la chambre mortuaire du grand François et de Léopold… des épaves de linteau, de poutrages, de placards qui flottent sur la houle givrée des chicots d’orties et des ronces… des tessons de carafes d’où a coulé leur vin, des éclats de vaisselle dans laquelle ils mangeaient, des ferrures de portes que personne n’ouvrira plus jamais… Ces vestiges se souviennent-ils des souffrances d’hier, des mots de réconfort de la Marie-Anne pour ses hôtes, du ton du grand François quand il refusa la main de l’Église, des murmures épuisés de Léopold et du secret de son abjuration ? Ces pierres ont-elles confié à Maurice Barrès le secret de l’origine du schisme : les six mille francs offerts aux Baillard sur sa fortune personnelle par leur évêque monarchiste**
… confisqués par son successeur bonaparto-républicain*** ? « Quel symbole, que cette ruine ! me répétait André Jacquemin… allez la voir et l’entendre souvent… elle peut encore parler ! »
Je vais la voir souvent… elle me parle…
A suivre...
GL

* Les noms de lieux de Meurthe-et-Moselle Aude Wirth éd. Gérard Louis 2004
** Charles de Forbin-Janson
*** Alexis-Basile Menjaud
A propos du schisme des Baillard, on peut lire, de Jean Castelli :
"Autour des Baillard, chronique de la Colline offensée" éd. Gérard Louis 2005
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image Mirabelliers en fleurs au pied de Sion 26 04 08 photo GL

samedi 16 août 2008

Promenade à Sion - 12

19 avril 1978…
Jour marqué d’une pierre blanche dans cet univers d’huile noir ! Maubeuge, docteur ès Sciences que l’Académie des Sciences d’URSS invitera à présider l’une de ses réunions à Moscou et Oumlianosk… Maubeuge, auteur de près de cinq cents publications, cartes, mémoires et d’une importante cartographie lorraine… Maubeuge, chercheur passionné et passionnant, à force de ténacité et de courage, fait jaillir pour la première fois le pétrole « à l’ombre des mirabelliers », au pied de la colline de Sion. Maubeuge, que les journaux de France surnommeront le père du pétrole lorrain, mais que les grandes compagnies, avec la complicité passive des pouvoirs publics, finiront par… étrangler !
Alors que j’aperçois au loin les toits brillants de Chaouilley -le village de La Revenante*
- qu’il a si souvent observés en surveillant ses forages, je tire de ma mémoire la conclusion lucide et généreuse de Pierre-Louis Maubeuge :

J’ai pu, souvent, (…) constater combien l’argent était en soi un simple outil de travail. Et constater aussi combien il est consternant que face au grand capital les Français restent inertes quant à trouver des ressources et solutions en eux-mêmes. (…) Je ne suis pas devenu un milliardaire de l’or noir ! simplement resté un milliardaire du courage (…) Un de ces chardons lorrains (le Circium), plante superbe elle, aux dards acérés, dont les racines sont si profondément ancrées dans le sol des friches de Vaudémont qu’il est impossible de les extirper.*

A suivre...
GL
* Légendes Lorraines de mémoire celte Roger Wadier éd. Pierron Sarreguemines 2004
** L’aventure du pétrole… op. cit. p.192

réf. publication voir billets précédents
image Vaudémont depuis Plaimont avant l'orage 29 04 08 photo GL

jeudi 14 août 2008

Promenade à Sion - 11


À elle seule, la Tour Brunehaut exprime toute la tragédie d’un peuple fier de sa culture exterminé pour n’avoir pas voulu se soumettre à la France. Cénotaphe de pierres que rongent les intempéries, elle rappelle que le génocide n’a pas attendu son baptême récent pour exister. Authentique précurseur des correspondants de guerre de notre temps, Jacques Callot en a fixé dans le métal toutes les atrocités. Dès 1636, date de la Brèche de Vaudémont, pour notre mémoire ! Se trouvera-t-il un parlementaire, aujourd’hui, pour proposer une loi qui subordonnerait le maintien de la France au sein de l’Union Européenne à la reconnaissance officielle par elle du génocide lorrain d’hier ? Une règle qui se veut universelle ne saurait être tournée pour le confort de quelques-uns… jamais ! La politique a sa noblesse, que diable !

Rentrer par le pied d’occident de la Colline est une expédition, certes, surtout en hiver, mais qui mérite d’être vécue ! Je dégringole la rue de la Fontaine, dépasse la source de la Saussotte où se perd le chemin, traverse les Entes où paissent à la belle saison des harems de vaches que surveillent des taureaux susceptibles. Le froid cristallise les buissons et les herbes hautes. Le ciel s’est ouvert. Il fait bel et bon. Le Tabourin gelé me mène jusqu’à sa rencontre avec le ruisseau de Volgé, sous les murs de Saxon. Je regagne le village fumant par la montée des Chapons. Une expédition… aux confins d’un monde impitoyable, celui des maîtres de l’or noir !
« C’est là, nous raconte le géologue Pierre-Louis Maubeuge, que (…) j’allais rencontrer ma future épouse, à bicyclette, sur une route ombragée par nos célèbres peupliers et montant vers la Colline… là que (…) ma fille est née, presque à l’ombre de la Colline, dans l’ancienne capitale du Xaintois… là que (…) en Lorrain obstiné (…) j’avais fait une analyse scientifique d’un problème géologique général et de ses détails. Les découvertes ont été faites exactement là où je les avais annoncées* »
La Découverte : le pétrole lorrain !

A suivre
GL
*L’aventure du pétrole lorrain – Ces étonnants fous de l’or noir ! Pierre-Louis Maubeuge éd. Pierron Sarreguemines 1991
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image au pied de Sion automne 2007 photo GL

dimanche 10 août 2008

Promenade à Sion - 10


Gérard est là. Ses yeux brillent de la fierté simple d’avoir partagé la visite. Nous nous serrons la main sous les deux minuscules croix de Lorraine de l’imposte peinte. Il me parle. Je m’éloigne. Il me salue encore de la main levée. Je pousse le portail du cimetière. Il a refermé l’église et file dans la rue de la mairie. Un vol de pigeons s’abat sur le clocher. Je contourne la tombe des Oblats, passe sous le grand pin, marche droit vers la tombe de l’artiste… Victor Guillaume. Elle est là, de terre nue, marquée d’un buis contre le mur et d’une croix de Lorraine en pierre grossièrement taillée, presque brute encore, comme si l’homme qui repose là avait voulu dire que, malgré sa communion de peintre avec l’univers et son travail de chaque jour, sa pierre personnelle restait encore à polir ! Trois mots, deux dates : Victor Guillaume peintre 1880-1942. On a dit de lui, le comparant à Cézanne, qu’il avait trouvé en Sion-Vaudémont « sa montagne Sainte-Victoire ». Pourquoi vouloir comparer les incomparables et faire d’un suivant un suiveur ? L’un a été le témoin émerveillé d’une montagne blanche à la cime déserte que les lumières du midi rhabillent sans cesse de pastels changeants… l’autre a raconté sur la toile avec sa rude affection de paysan du Saintois notre Colline couronnée d’histoire et son intime relation à l’homme depuis des millénaires ! Si l’un a consacré sa vie au paraître de Provence… l’autre a voué son travail à l’être de Lorraine ! Et les deux, ensemble, ont célébré la grandeur de l’âme humaine ! À deux pas de Guillaume, au plus éloigné d’une tombe de député couverte d’arguments électoraux qui leur tourne le dos, à l’endroit précis où Léopold Baillard aurait passé la nuit (il fuyait la maréchaussée après la messe clandestine dans la grange du Pierre Mayeur), marquée d’une croix de Lorraine en fer, une autre tombe simple, une dalle gravée d’une épitaphe tirée de Maurice Barrès « Au pays de la Moselle… », et un nom Jules-Antoine Flauder. Je ne connais pas cet homme inhumé là en 1972, mais je le trouve… beau ! Il a sa juste place dans ce cimetière conservatoire aux allures de verger où, parmi les humbles morts de chez nous, j’aime aller respirer les effluves vitaux de notre terre.

A suivre
GL
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image Automne dans le ciel de Sion 10/07 photo GL

mercredi 6 août 2008

Promenade à Sion - 9

C’est Gérard qui vient m’ouvrir la porte de l’église. « On la ferme, m’explique-t-il, à cause du vandalisme et des risques de vol. Un matin, récemment, on a trouvé des morceaux de verre sur le sol du chœur. Des fragments du vitrail aux grandes armes de Lorraine… » Quoi… la guerre de Trente Ans ne serait pas finie ? Le roman de l’histoire propose parfois des chapitres curieux ! « Un atelier de Nancy nous l’a restauré. Alors, depuis… » Je comprends. Mais que voler dans ce sanctuaire peuplé seulement de figures sulpiciennes en plâtre bariolé ? Le seul vrai trésor du lieu est hors de portée des cambrioleurs ! C’est l’Esprit de Lorraine, qui survit là par les mânes de Gérard d’Alsace fondateur de notre Maison ducale et, partout dans l’Europe moderne en gestation, par l’action courageuse de Son Altesse Impériale et Royale Otto de Lorraine-Habsbourg, son descendant notre Duc. Pour la millième fois peut-être je refais le tour de la petite église, foulant dans l’allée centrale les pierres tombales usées par les semelles des fidèles, comme si les pas des vivants devaient toujours effacer les traces des morts, évitant du regard la date portée sur la clé de voûte -1748- et le maître-autel en faux marbre-vrai Louis XV trop révélateurs de la volonté d’annexion de notre pays par un roi qui ne rechignait pas à se faire immortaliser dans la pierre par Nicolas Coustou en… Jupiter ! La lumière des armes de Lorraine et du blason des Vaudémont baigne le chœur d’une douceur dorée à saveur de miel. Je m’assieds un instant au premier rang, côté Joseph. Bon ce silence ! Profonde cette paix qui me gagne ! Vitale cette énergie qui sourd du sol, rayonne du ciel, et me pénètre. La cloche sonne une heure que je ne connais pas. Je me lève, me retourne. Sur le seuil, immobile et silencieux dans le contre-jour, Gérard m’attend. Il m’attendra encore quelques minutes, le temps que je salue l’admirable pietà au fond de sa chapelle blanche, derrière les fonds baptismaux. Comment le modeste sculpteur de chez nous a-t-il pu rendre à ce point sur un même visage de femme l’intensité de la douleur et la sérénité de l’être qui sait ? Comment ? Miracle de la création… vérité attestée par les siècles pour les siècles !
A suivre
GL
réf. publication voir billets précédents.
image Sion sous le soleil d'août 05 08 08 18h photo GL

dimanche 3 août 2008

Promenade à Sion - 8


Il faut une belle imagination pour voir dans le village d’aujourd’hui ce que fut Vaudémont. Des bribes de remparts, une poterne couverte de lierre, la base d’une tour que fréquentent des chats noir et blanc, une Vierge à l’enfant enchâssée dans une façade, la dépression d’un fossé autrefois douve infranchissable, un bastion devenu potager… tout en ces lieux paraît dérisoire maintenant à qui ne cultive pas son jardin d’histoire. Mais tout exprime encore la grandeur d’autrefois ! Les rues au cordeau, l’allure des maisons, leurs linteaux trilobés, portes à moulures, niches ornées, et l’équilibre des façades renseignent sur l’importance d’une population qui, blottie en les murs, avait donné à son cadre de vie des airs de palais en plein ciel. On dansait autrefois, au son des flûtes à bec et des sacqueboutes, sur ces places et courtines d’où se découvre l’un des panoramas les plus grandioses de Lorraine. Chaque jour, du petit matin au grand soir, les femmes allaient puiser l’eau du grand puits, s’interpellaient sur la margelle, d’une fenêtre à l’autre d’en face, riaient, brocardaient les gaillards que retenait le verjus de l’auberge ; les enfants couraient, s’accrochaient aux cottes de leur mère, se chamaillaient, filaient gaûiller* aux abords du gayoir* où les hommes de l’art, dans de grands nuages de vapeur chuintante, immergeaient des roues cerclées de fer porté au rouge. La vie chatoyait dans la cité, même lorsque frappait la mort, sa compagne ordinaire !
C’était avant la guerre jetée sur cette terre par la France !
Ouverte sur ordre de l’évêque crotté de Luçon par les armées d’un roi étranger, la brèche de 1636 a vidé la ville comme un sac éventré.
Du Vaudémont de ces temps-là, il ne reste ce matin, autour de moi, sous la neige craquante, qu’un… souvenir !
Mais quel souvenir !

A suivre...
GL
* Patouiller dans la boue, dans un liquide.
** Pièce d’eau aménagée où l’on menait baigner les chevaux après le travail.

Réf. publication voir billets précdents
image Sion en hiver 06 02 08 photo GL