samedi 18 mai 2013

Un hobereau perdu...


Un hobereau perdu
Qui, hier encore, hantait les rives du pouvoir,
Convaincu de mensonge et de forfanterie,
Se trouva, un beau jour…
En passe de retour !
Eh, quoi… hurlaient les uns, il nous a tous trompés !
Alors… disaient les autres, n’avez-vous pas chez vous
Quelque autre malandrin amoureux des affaires,
Quelque baron suspect, ou quelque élu ripoux
Coupable au quotidien des pires avanies ?
D’un mur à l’autre de la Chambre,
On se jetait des mots qui ne valaient pas l’ambre,
Des noms d’oiseaux, des railleries, des invectives,
De salaces injures d’écoliers attardés.
Quand soudain la nouvelle parcourut les couloirs :
Ce hobereau perdu, par un soutien fidèle
D’électeurs trop heureux de tenir un modèle…
Recouvrait son pouvoir !
Les ennemis d’hier attachés au fauteuil,
Les Panurge, Cassandre… endormis d’un seul œil,
Pressés de l’accueillir,
Prièrent leur Conscience de savoir… en finir
Avec ses préventions !
Alors,
D’un mur à l’autre de la Chambre,
Et du sol au plafond,
Convaincus que chacun et tous comme un seul homme,
Exposés au désir de planquer grandes sommes
D’euros bien mal acquis dans un pays martyr,
Pourraient être conduit à vivre ainsi un jour…
On se tut, on ouvrit les bras, on exulta !
On le reçut !
La vie parle-ment-taire valait bien qu’on pardonne
A celui qui avait plus d’un tour dans son sac,
Et qu’on l’autorisât à présenter son cul
Au velours de la Chambre ! Il reprit son fauteuil…
Il devint exemplaire en repenti utile aux services d’Etat.
Si soumis, si docile enfin qu’un beau matin
Le Prince lui refit cadeau d’un… maroquin !
On le revit sourire aux étranges lucarnes,
Et donner des leçons de morale à ses gens
Condamnés par misère à manger de la carne !
Il avait recouvré… fortune et entregent.
De cette affaire enfin, l’Histoire fit son deuil.
On l’appelle, depuis, dans les rues du pouvoir,
Avec onction, respect,
Secouant l’encensoir…
Le cas Huzac !
Salut et Fraternité.

Image : couverture de Au plaisir d'ENA Gilles Laporte éd. DGP Québec 2001

lundi 6 mai 2013

Le Livre et... la Vie !

Discours de Federico Garcia Lorca
à la population de Fuente Vaqueros pour l’inauguration de la bibliothèque
Province de Grenade - septembre 1931.

Quand quelqu'un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu'elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s'en désole: "Comme cela plairait à ma sœur, à mon père!" pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu'avec une légère mélancolie. C'est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu'est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C'est pour cela que je n'ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l'offre. J'en ai donné une infinité. Et c'est pour cela que c'est un honneur pour moi d'être ici, heureux d'inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L'homme ne vit que de pain. Moi si j'avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j'attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles: ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu'ils profitent de tous les fruits de l'esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l'état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.
J'ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu'un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d'apprendre et n'en a pas les moyens souffre d'une terrible agonie parce que c'est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?
Des livres! Des livres! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: "Amour, amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. - Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski - père de la révolution russe bien davantage que Lénine - était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau, il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du cœur. Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie !
La devise de la République doit être la culture.
La culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière.
N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière.
Federico Garcia Lorca
Poète espagnol tombé sous les balles des complices de Franco en 1936.