vendredi 30 mai 2008

Sirènes et gyrophares...


De plus en plus, la confirmation de l’arrivée à Paris, c’est… la valse des gyrophares et le concert des sirènes !
Nouveau signe de reconnaissance d’une ville qui se veut (ou se voulait) la plus belle et la plus agréable du monde ? Ou preuve que ceux qui l’administrent sont de plus en plus pressés, que ceux qui l’habitent sont de plus en plus gênants, que ceux qui gouvernent notre pays sont de plus en plus impérieux (voire impériaux) ?
De passage hier à Paris, j’ai été, dès le parvis de la Gare de l’Est, saisi, emporté, laminé, écorché, étourdi, assourdi, aveuglé par le tourbillon vociférant des voitures, certaines de couleur, d’autres d’un gris banal à faire douter de leur officialité mais bourrée d’hommes en bras de chemise, qui déboulaient du boulevard de Strasbourg, traversaient la place du 11 Novembre à grands coups de clairon en bousculant tout sur leur passage, puis filaient vers le faubourg Saint-Denis, ou dégringolaient vers le faubourg Saint-Martin. De quoi, en un clin d’œil, attraper le tournis ou la tremblante des ovins tondus trop souvent et trop court !
Clou du spectacle parisien son et volière : fin d’après-midi, même lieu (pour le retour en Lorraine)… Les voyageurs montants et avalants traînant leur sac à roulettes sur les pavés rentrent subitement la tête dans les épaules. De l’Est, vers le canal Saint-Martin montent les hurlements strident de sirènes rendues folles, sans doute, par la pollution de leur onde. L’air en est saturé. Il vibre comme une lame de ressort, brûle comme un fer chauffé à blanc. La place du 11 Novembre s’est figée, comme en attente douloureuse d’une autre drôle de guerre. Alors, surgissent de l’Est, comme autrefois les Uhlans à cheval, un cavalier bleu, puis un autre, encadrant une voiture de belle tenue, noire, vitres fumées, œil pinéal bleu collé au pare-brise, close comme un corbillard bourgeois. Le convoi gyropharant et hurlant s’engage dans la cour de la gare, longe la façade, s’immobilise devant le portail qui vit autrefois tant de jeunesse s’embarquer pour une croisière funeste. Une portière s’ouvre, une autre… apparaît une silhouette ronde, Le Monde calé sous le coude, un crâne luisant, un sourire jovial, une démarche d’apparence débonnaire: c’est le Secrétaire d’État chargé de la Fonction publique, Monsieur André Santini qui, tel le sous-préfet aux champs de Daudet… ou part en improbable voyage vers les confins orientaux de France, ou vient vérifier que le chef de gare porte bien la bonne casquette !
M’est venue alors, certainement incongrue voire anarchisante, cette pensée shakespearienne :
Beaucoup de bruit pour rien !
Et cette autre, citoyenne :
Quand commence, effectivement, pour notre État, le temps du respect de l’autre et des économies ?
Quand ?
photo fotosearch
musique distribuée par Deezer.com

mardi 27 mai 2008

Patience...

Demain mercredi, journée de repérage et d'entretiens en Alsace, pour l'un de mes prochains livres...
Jeudi, mêmes occupations, mais à Paris cette fois !
Alors, pour patienter, l'axe TERRE-CIEL, des parcelles d'AIR dans l'EAU !


Quant au FEU... celui de la passion... toujours !
A bientôt !
Etang de Bouzey (Vosges) photo GL 25 05 08

lundi 26 mai 2008

Symbolisme...


Rien n’a bouleversé la société moderne comme l’apparition du mouvement symboliste de la fin du 19ème siècle. Jusque là, et depuis plusieurs siècles, on appelait un chat un chat, ne voyant dans ces quatre lettres qu’un tube digestif enveloppé de fourrure utile dans la lutte contre les douleurs rhumatismales, et deux yeux capables de déloger les souris, même la nuit. On limitait ainsi le monde connu au monde nommé. Bien des systèmes ont été conçus ainsi, dans le lit d’une langue considérée comme une maîtresse d’âge respectable, certes, mais devenue passive. Cioran affirmera même plus tard, faisant d’elle la matrice universelle de chaque être humain : On n’habite pas un pays, mais une langue !
Ce lien direct entre le mot et son objet, entre signifiant et signifié avait engendré une attitude de l’homme face à son environnement ancrée dans l’analyse et l’apparence de connaissance, mais l’apparence seulement sur fond de répétition quasi-mécanique de dogmes et préceptes.
Le mouvement scientiste et la révolution industrielle modelaient la conscience humaine au grand bonheur des faiseurs et marchands d’esclaves des manufactures et patrons d’atelier qui, jansénistes par fonction, réussissaient à convaincre la populace que, épargnée par la grâce, elle n’avait d’autre devenir que celui de les servir. Et, dans cette populace, la femme, parce que moins encore touchée par la grâce que l’homme, n’avait d’autre place que celle de servante de l’esclave ou… du prêtre. Madame Bovary et Madame de Rênal en sont des exemples que le talent de Flaubert et Stendhal, et la situation économique en même temps que l’état mental contemporains, présentent comme toujours vivants.
C’est Jean Mauréas qui jeta le pavé dans une mare où coassaient les vers de Hérédia, d’où émergeaient les mamelons dressés sur des aréoles romanes de Paul Abadie ou Viollet-le-Duc, où croupissaient les visions sociales de Zola. Dans son Manifeste du Symbolisme, daté du dix-huit septembre 1886, il déclarait :
Il faut au Symbolisme un style archétype et complexe : d’impollués vocables, la période qui s’arc-boute alternant avec la période aux défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l’anacoluthe en suspend, tout trope hardi et multiforme.
Autrement dit : donnons-nous tous les moyens de la langue capables de nous ouvrir aux réalités de notre monde tant dans son visible que, surtout, dans son invisible.
Autrement dit encore : cessons de nous comporter comme des êtres insensés (qui ont perdu les sens et le sens) seulement intéressés par le paraître, ignorants de l’essence même des êtres, des phénomènes et des choses.
C’était, en réaction contre le naturalisme scientiste ambiant, le retour à l’étymologie du mot symbole : jeter ensemble ! Jeter tout, et la terreur primale du combattant des tranchées à venir, et la madeleine de Proust, et le délicatement suggestif Déjeuner sur l’herbe de Manet, et le Dormeur du val, et la formidable Grève au Creusot du pourtant conformiste ambigu Jules Adler. Jeter tout ensemble, tous les mots de notre langue pour que, de ce chaos dynamique, jaillisse la véritable intention qui habiterait ce monde, notre monde ! Tous les mots, car rappelle Pierre Emmanuel dans Le Goût de l’Un :
Nous sommes langage incarné : jusque dans la hauteur des symboles, nous n’échappons jamais à la présence du mot. Si nous échappions, nous cesserions d’être !

Curieuse aventure que la nôtre, à nous qui ne survivons que parce que nous avons la capacité de nommer notre propre vie (comme tout à l’heure, le chat…) !
Étrange spectateur de lui-même que cet homme du philosophe Maurice Merleau-Ponty posté à son balcon qui n’a de preuve de son existence que se regardant passer dans la rue !
La Troisième république, ses école et chantre noir Jules Ferry, emprunteur peu reconnaissant à Victor Duruy de son cadre de laïcité, gratuité et obligation, auront tôt fait de remettre un ordre primaire dans des esprits que telle philosophie symboliste risquait d’ouvrir à de trop grands espaces. La liste des préfectures, la date de naissance de Jeanne d’Arc, celle de mort de Danton, l’heure de croisement des trains partis de villes toujours trop lointaines, et le développement de la bicyclette seraient donc, pour certains de ce temps-là et quelques-uns d'aujourd'hui, des fondamentaux de saine utilité pour cette œuvre de salubrité publique, sur fond de France mère des arts, des armes et des lois du fidèle Joachim du Bellay !

Foin des terreurs publiques profanes devant les perspectives du sacré… nous serions langage incarné… soit ! Mais langage de quelle origine ?
Jules Adler Grève au Creusot huile sur toile 1895 musée de Pau photo GL
photo symbole science-énergie fotosearch

samedi 24 mai 2008

lente marche...

Les filles doivent être élevées exclusivement sur les genoux de... l'Eglise ! écrivait et prêchait, vers 1860, Félix Antoine Philibert Dupanloup, évêque d'Orléans, député, sénateur inamovible, membre de l'Académie Française. Au "nom de l'Amour", la lente marche vers...
Maurice BOUTET de MONVEL Le pensionnat de Nemours huile sur toile 1909
musée des Beaux Arts Pau photo GL
musique distribuée par deezer.com


vendredi 23 mai 2008

Le feu...

Qu'entretient-il, ce jeune paysan de Grenade, en soufflant sur les braises... Le feu sacré du poète ?
Vestale-Imaginale en haillons sous les yeux de Misère ! Quelle lune soulagera
Ta douleur de citron et de bouton de rose ?
Terre de lumière
Ciel de terre.
Federico Garcia Lorca
El paso de la Sigiriya - Le pas de la Seguirille (extrait) Traduction Gilles de Seze
Achille ZO Grenade 1860 musée des Beaus Arts Pau photo GL
musique distribuée par Deezer.com

jeudi 22 mai 2008

Sonata... pour un délassement

Imaginales sous un ciel gris, en bord de Moselle fraîche, mais avec des perspectives... lumineuses !
Fernand Allard l'Ollivier vous tient (bonne) compagnie, avec le violoneux fou... de vie !
A demain !
Fernand ALLARD L'OLLIVIER Le Délassament huile sur toile 1920
Musée des Beaux Arts PAU photo GL
musique distribuée par deezer.com

mercredi 21 mai 2008

Imaginales...


Quatre jours durant (de ce matin à dimanche soir), je vais signer mes livres à Epinal, et rencontrer mes lecteurs (et les autres) au salon Imaginales (http://www.imaginales.com/). Rencontrer aussi mes amis écrivains et illustrateurs (ermites, nous n'avons pas si souvent le plaisir de partager de bons moments d'échange... profitons-en !) Alors, en attendant, je vous propose de redécouvrir, avec Dufy pour l'image, et Arno pour le son... les filles d'Adamo, celles du bord de mer. Mais, promis, je vous fais un signe au plus tard... demain matin !
Bonnes heures à vivre... dans les rues de la citoyenneté, et... sur la plage de... notre Océan intérieur !
Raoul Dufy La mer à Sainte-Adresse musée des Beaux-Arts Nancy photo GL
Arno - album Idiots Savants (extrait) - Deezer.com

mardi 20 mai 2008

Et si...


Et si le printemps naissait en décembre, dans la neige des cerisiers en fleurs…
Et si les poules avaient des dents…
Et si les vaches portaient des cornes, donnaient du vin blanc et chantaient le yodel…
Et si Bill Gates avait découvert la pénicilline…
Et si l’hiver offrait du muguet aux pauvres des quartiers riches…
Et si les oreilles des palais nationaux n'avaient pas de murs...
Et si les eaux des ruisseaux, rivières et fleuves remontaient jusqu’à LA source…
Et si le vent, le vent fripon s’engageait sous tous les jupons…
Et si la Bible avait inventé James Bond, Arsène Lupin et Rouletabille…
Et si les poules portaient des cornes…
Et si son plat pays voulait sans la nommer nous parler d’Elle
Et si Camus avait trouvé son Sens en Facel-Vega…
Et si les députés siégeaient de temps en temps…
Et si le vent, le vent fripon pénétrait dans tout’les maisons…
Et si les moutons reniaient Panurge...
Et si Jésus avait vraiment banni les marchands de notre Temple...
Et si l’automne se prenait pour l’été, veau, vache, cochon, couvée…
Et si la neige de printemps couvait cerisiers roses et pommiers blancs...
Et si Pascal n’avait pas été aussi joueur…
Et si le Sénat partait vraiment au Luxembourg…
Et si la guerre n’était que le gant retourné de la paix…
Et si ce soir à la brume nous allions ma brune cueillir des serments...
Et si les pêcheurs pêchaient la pêche en péchant…
Et si Descartes n'avait pas tenu pour vrai que ce qui paraît évident...
Et si la route de Sens avait mené au ciel…
Et si la mer dansait encore le long des golfes clairs
Et si Molière siégeait à l’Assemblée Nationale dans les rangs de cet Illustre Théâtre
Et si le vent, le vent fripon s’engouffrait dans tous les salons…
Et si Mc Cain découvrait, debout, les damnés de la terre
Et si Vivaldi en avait marre d’attendre au téléphone…
Et si Hugo rentrait de Guernesey pour nous dire, un jour, quel lait pur, que de vœux, que de soins, que d’amour
Et si les riches des quartiers pauvres offraient du muguet à l'hiver…
Et si, au temps des cerises, les belles avaient la folie en tête
Et si Van Gogh, en Facel-Vega sur la route de Sens, avait rencontré…
...Louise Michel !
image : Raoul DUFY La mer à Sainte-Adresse (détail)
musée des Beaux-Arts Nancy photo GL

lundi 19 mai 2008

Gaston-Paul EFFA

Il avait ému ses lectrices et lecteurs avec
A la vitesse d'un baiser sur la peau...
Il revient avec un livre largement autobiographique, lumineux, terrible et chaleureux à la fois :
Nous, enfants de la tradition.
Il... c'est Gaston-Paul EFFA.

D’origine camerounaise, cet écrivain vit en Lorraine où il enseigne la philosophie, et s'active dans un restaurant associatif qu'il a créé dont tous les bénéfices partent à Yaoundé où ils servent à développer la bibliothèque d'un collège. Dans ce nouveau livre très émouvant, Osele, le narrateur, remonte le cours de sa mémoire. Aîné de trente-trois enfants, il a été envoyé en France où il a fait de brillantes études d’ingénieur. Mais, marié à une Française, il doit expédier tout son salaire en Afrique. Choc des cultures diraient les uns sans bien savoir ce que pensent les autres : la rupture conjugale est inévitable… Menacé de mort, frappé par la maladie, Osele livre un combat inégal : il est un homme seul face à la tradition !
Quelle histoire !
Et quelle langue, au service de... quel coeur ! Gros comme ça !
A lire, pour nourrir... l'Esprit !
Gaston-Paul EFFA Nous, enfants de la tradition roman 166 p. éd. Anne Carrière

dimanche 18 mai 2008

EAU...

Autre extrait de mon livre Les Anneaux de la Fiancée 1 EAU
Toujours pour le divertissement, voire plus si... affinités !

C’est au moment où Charles-Edouard accéde au pouvoir suprême que survient la pénurie d’EAU, suite à sécheresses à répétition et terrible pollution…

On eut l’impression que… le monde entier s'était coalisé pour assurer le plein succès des affaires bordelaises !
Comme par enchantement, les industriels libéraux avaient rejoint les paysans intensifs, qui avaient rejoint les pétroliers, qui avaient rejoint les grandes entreprises publiques, qui avaient rejoint les collectivités locales, elles-mêmes liées (contrat renouvelable par taciturne reconduction) aux électeurs consommateurs qu'elles caressaient nuit et jour et jour et nuit dans le sens du poil.
Les premiers crachaient dans les ruisseaux, rivières, fleuves et océans, des détergents, colorants, stabilisants, gélifiants, sels de chrome, saumures, sulfures et sulfites, des charges minérales de kaolin, carbonate de calcium, oxyde de titane, organiques d'amidon et latex (résidus de bandages herniaires et préservatifs de petite taille), des métaux lourds, chrome de pare-chocs, cadmium de peintures, zinc de toitures, et cuivres de fanfares communales dissoutes par excès incontrôlé d'exode rural. Les cours d'eau en goûtaient de toutes les saveurs, en voyaient de toutes les couleurs, en charriaient de toutes les teneurs.
À cela s'ajoutaient les rejets riches et variés de leurs complices consommateurs derniers maillons de la chaîne, restes de pâtes alimentaires, jus de lessive, arêtes de poissons, vieilles chaussettes, tubes cathodiques implosés suite à trop grand vide intérieur, poignées de cheveux gras, écorces d'oranges, serviettes périodiques garnies, peaux de bananes, glaires de phtisiques, selles molles de bébés roulées dans les couches à petit élastique anti-fuites et, selon la saison, queues de cerises, crème solaire, canettes de bière, pépins de pastèque, débris de planches à voile ou coques de noix.
Les poissons crevaient, le ventre en l'air. Les rats prospéraient, le ventre rond. Les hommes regardaient ailleurs, le ventre tourmenté, en évitant de respirer.

Quant aux seconds, les paysans, ils consacraient chacune de leurs semaines d'ouvrage à arroser, pulvériser, traiter, épandre, éradiquer et saupoudrer.
La vache trop avare de son lait, le blé trop tendre, le cochon trop maigre, la luzerne trop tardive, la pyrale trop active, les coquelicots trop rouges, le temps trop humide, l'hiver trop froid, l'été trop chaud, le printemps trop précoce, l'automne trop roux, le colza trop pâle, les endives trop molles, l'Etat trop lent, les journées trop longues et les primes trop courtes déclenchaient des opérations physico-chimiques frénétiques qui phosphataient les prairies, azotaient les sols, gonflaient les bêtes, coloraient les fruits, boursouflaient les légumes et, par percolation sournoise, nitrataient les nappes phréatiques au point que le sous-sol se hâtait d'en cracher les eaux pestilentielles dans des mers qui, alors, se couvraient inéluctablement d'algues tueuses capables d'étouffer la planète. Et les champignons des prés, coprin chevelu, psalliote champêtre, hypholome des tourbières, mousseron de la Saint-Georges, entolome soyeux, boule de neige à pied jaune et petits rosés au chapeau blanc, disparaissaient sous les pissats d'antibiotiques… Et, ivres d'imidaclopride, les abeilles devenaient folles sur les champs de tournesol au point d'oublier que le pollen se trouve dans les fleurs, les fleurs dans les champs, les champs à la campagne, et la campagne… autour des villes !

Les pétroliers, eux, jouissaient d'un statut particulier.
À force d'explorer les bas-fonds géologiques de la planète, ils avaient fini par devenir les spécialistes des actions souterraines, notamment pour le financement des parties de trône-qui-veut que se jouaient régulièrement les prétendants aux pouvoirs subalternes et suprême. À trop manipuler un or dit « noir », épais et poisseux, ils étaient eux aussi devenus noirs, épais et poisseux, des mains au regard, en passant par l'âme. Ils répétaient sans cesse au peuple que l'énergie solaire ne vaut que pour le bronzage, que le vent n'a d’utilité que pour les girouettes, que l'hydraulique n'a de raison d'exister que pour les nostalgiques des murmures de source, et… la reproduction des moustiques !
Le pétrole coulait à flots dans tous les tuyaux du monde, circulait dans des citernes multicolores sur toutes les routes, et flottait sur toutes les mers dans des caisses pourries servies par des équipages esclaves sous des pavillons aussi clairs et propres que des serpillières de toilettes publiques. Tout était bon pour qu'il circulât dans tous les sens et arrosât la société humaine pourvu qu'il coûtât peu et rapportât beaucoup !

Les grandes entreprises publiques, elles, administrations et collectivités locales, se contentaient d'arroser copieusement à l'atrazine les chemins de fer, routes, chemins de halage, allées de cimetière et autres voies de succès politique. Le poison s'infiltrait dans la terre, touchait les racines des plantes, remontait avec la sève pour bloquer dans les feuilles la fonction chlorophyllienne. Les herbes, fleurs et arbrisseaux crevaient comme crèvent encore les forêts du Vietnam après les arrosages occidentaux. Ainsi traitées, les allées du pouvoir étaient nettes, propres et sans bavures.

Mais les ruisseaux, fleuves et rivières, charriaient des nappes irisées, belles comme des arcs-en-ciel de fin d'orage, des langues de gazole, des cheveux de phénol et mille autres produits benzéniques sournois.
Et les mers déglutissaient les vomissures collantes de coques pétrolières pourries qui passaient par le fond à la première brise du large. Alors, les tadornes de Belon, les sternes Pierregarin, cormorans, fous de Bassan, courlis corlieux, barges rousses, macreuses noires et garrot à œil d'or plongeaient dans la glu, s'enduisaient les ailes, le corps et les tripes, et partaient crever sous les rochers, loin des hommes. Alors les thons, plies, espadons, mérous, morues, anguilles, raies manta, éperlans et anges des mers nageaient dans la marmite infernale en se colmatant les ouies, tandis que les moules, coques, huîtres et palourdes cramponnées à la roche ou cachées sous des sables puants, tentaient de digérer la soupe industrielle.
Les phytosanitaires, les métaux lourds, le pétrole, les effluents urbains et ruraux tuaient l'eau sauvage et stimulaient l'eau domestique.
Pour le plus grand plaisir de réussite de Charles-Édouard…
La Bordelaise Universelle des Eaux et le Ministère des Finances n’y voyaient que de la croissance économique…

Tout était pour le mieux dans… le pire des mondes !
photo GL La Moselle à Bainville-aux-Miroirs (Lorraine) 23 02 08

samedi 17 mai 2008

Miroir...


Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera accusé par vous d'être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former.
Stendhal Le Rouge et le Noir livre II chap. 19
photo GL 15 05 08
Cygne sur le Madon à Xirocourt - Vosges (l'un des villages des ancêtres de F. Chopin)

jeudi 15 mai 2008

EAU

Extrait de mon livre Les anneaux de la Fiancée 1 EAU.
Pour le divertissement, voire plus si... affinités !


Un couple d'illustre famille (les Demontsac, ci-devant Fermoar de Montsac) découvre dans les temps dits modernes (nos temps !) que, parce qu’elle est l’essence même de la vie (plus précieuse que le pétrole !), l’EAU est ce par quoi il accédera au pouvoir ! Lui, Charles-Edouard va créer la Bordelaise Universelle des EAUX qui lui permettra de contrôler la distribution de l’EAU au robinet dans tous les foyers. Elle, Anne-Amélie, sa femme, fonde P2A, une société qui va s’approprier le marché des EAUX minérales et de source en… bouteilles !


Nulle autre ville ne lui parut plus indiquée que Bordeaux pour le siège de sa nouvelle société.
Pas tant pour son passé commercial triangulaire qui lui rappelait la tradition fauconnière familiale -la vente des esclaves ne s'y pratiquait plus de même manière-, que pour son mariage naturel et éternel entre la douceur Gironde et l'amertume océanique qu'il voyait comme un authentique symbole d'universalité de sa démarche (ainsi, s'épongeant le front qu'il portait haut, l'avait-il expliqué à ses associés médusés par une telle profondeur hydro-spirituo-technico-économique).
Pour son nom surtout, Bordeaux, que, malgré les remontrances préceptorales et paternelles, il avait toujours écrit en deux mots : "Bord d'eaux" (La faute lui avait valu un renvoi à l'oral de contrôle du baccalauréat -échec, cuisant pour un Fermoar, qu'il avait juré de transformer un jour en victoire-). Le moment était venu ! À Bordeaux !

De la place des Quinconces aux quais de la Garonne, en passant par l'église Saint-Seurin et la cathédrale, Charles-Edouard arpenta la ville, la respira, vibra à son rythme, s'en imprégna, s'y fondit. Le vin l'y aidait et les bonnes tables où se dégustaient le court bouillon de lamproie, l’anguille à la persillade, et le salmis de palombe accompagné de sa sauce au vin et de croûtons aillés. D'emblée, il s'y sentit bien ! Même, il l'aima !


« BORDELAISE UNIVERSELLE DES EAUX »

Le nom gazouillait comme une flûte de l'Opéra-Théâtre, glougloutait comme un Médoc dans son col voilé de vieille poussière, claquait comme une bannière sur le cuivre de l'hôtel particulier à chapiteaux corinthiens acheté à prix astronomique près des colonnes de la Bourse. « BORDELAISE UNIVERSELLE DES EAUX » (B.U.E.) Fier, Charles-Edouard du Fermoar de Montsac ! Tellement fier que, à chaque passage du portail forgé rehaussé de dorures, il ne pouvait s'empêcher de se mirer dans la plaque de cuivre grande comme un mouchoir d'évêque, frottée chaque matin par une femme noire d'origine baoulée -il y avait tenu pour bien montrer son exceptionnelle ouverture d'esprit et son soutien à la théorie nouvelle de l’immigration choisie-, plaque dont le métal brillait comme son crâne, et qui, sous son nom, portait le logo de la Bordelaise : deux vagues bleues ondulantes surmontées d'un soleil rayonnant.
Fier, Charles-Edouard ! Fier et actif !
D'emblée, il définit sa stratégie.
Dans un premier temps, s'appuyant sur l'expérience de pollution de la rivière Sibelle par les rejets de son père, persuader toutes les populations de la ville, de la région, du pays, voire d'Europe et du monde, que toutes les eaux connues et inconnues, qu'elles soient profondes, de ruissellement, de source, de pluie, de Lourdes, même cuites et bénites, transportent des matières en suspension, en dissolution, en décoction, en infusion, des végétaux en décomposition, des déjections animales et humaines, crottes de castors, étrons des villes et fientes des champs, des bestioles microscopiques, amibes à cils vibratiles, bactéries à crochets venimeux, œufs d'anophèles, trypanosomes malins, et que, de ce fait, elles sont impropres à la consommation, voire dangereuses ! Tout juste propres à la toilette, sauf des dents !
Charles-Edouard lança la campagne d'information par quelques communiqués ministériels bien sentis, issus de son équipe promue depuis peu « Secrétariat d'Etat à la Valeur Ajoutée et à l'Environnement ».
La presse spécialisée réagit par des titres pointus comme « À propos de l'obésité des eaux stagnantes », ou « Du phénomène de nitrification dans les zones de piémont », puis la presse périodique avec « Notre dossier : l'EAU ! », ou encore, en lettres rouges à la une « Quelle eau buvons-nous ? ». La quotidienne enfin, avec des relations répétées d'intoxications locales, de crises de dysenterie aiguë dans des écoles maternelles, du risque de choléra, d'hépatite XYZ ou de fièvre aqueuse à prolongement méningo-spinal dans les stations balnéaires du littoral à la veille de la grande transhumance.

Dans un deuxième temps, envoyer ses hordes de faucons commerciaux dans les mairies de toutes les communes du pays, d'Europe, voire de la planète, avec mission d'informer les maires des risques encourus par leurs administrés à ne consommer que de l'eau sauvage, et leur responsabilité à eux, leurs élus, à les laisser se comporter de manière aussi irréfléchie. Prière d'insister sur les plaintes possibles contre eux, les maires, émanant de victimes de négligences avérées ou supposées, puisqu'ils sont dorénavant responsables de tout, et de chacun.
En cas d'incompréhension, d'incrédulité, de mauvaise volonté avérée ou de résistance anormalement infondée, les faucons commerciaux de la Bordelaise Universelle des Eaux avaient ordre de dégainer sans sommation le chéquier et, sous la table à tapis vert des délibérations municipales, de signer autant de chèques au porteur garnis d'autant de zéros qu'il serait nécessaire pour assurer définitivement la santé du corps social dans son ensemble. Il y allait du bon état physique et mental de la Nation !
Beaucoup eurent recours à cette forme de dialectique peu socratique mais compréhensible par tous et redoutablement efficace !


Dans un troisième temps, lancer à l'assaut des campagnes les armées bordelaises d'hommes blancs casqués et harnachés de jaune bouton d'or, juchés sur des machines de chantier (excavatrices, pelleteuses, marteaux piqueurs et autres monstres pétaradants aux dents longues), et d'hommes noirs à cheveux crépus armés de pelles et de pioches (toujours l’immigration choisie !), avec mission d'ouvrir la terre jusqu'à ses entrailles les plus intimes, d'y enfouir des artères de fonte, des veines de polyvinyle extrudé, des capillaires de cuivre, en vue d'acheminer jusque dans la campagne la plus profonde, à la maison la plus éloignée de la famille la plus isolée l'eau filtrée, javellisée, ozonisée et ionisée qui ferait ronronner les compteurs de la grande maison à colonnes sise près de la Bourse, au cœur de la bonne ville de Bordeaux.

L'affaire fut rondement menée.
Le plan réussit au-delà de toutes les espérances !

Partout, les populations terrorisées se jetèrent sur les eaux minérales et de source produites par P2A, la monopolistique société d'Anne-Amélie. Et, guettés par les juges, secoués par leurs administrés, exhortés par les curés en civil entourés de leurs ouailles, et des escouades d’avocats en soutane, incités par une proche fin de mandat, les maires s’employèrent à convaincre des bienfaits de la concession les conseils municipaux parfois récalcitrants qui refusaient l’obligation de la Bordelaise de raser les fontaines publiques, transformer les lavoirs de village en ridicules pots de fleurs, et condamner définitivement toutes les sources naturelles, donc dangereuses. Tous signèrent ainsi avec la Bordelaise des contrats d’assèchement du pays, d’éventration du sol, et de distribution triomphale du précieux liquide traité et garanti contre tout risque bactériologique, virologique et chimique.
Tandis que, de son côté, P2A multipliait les embouteillages, couvrait terre et mer de milliards de cadavres de bouteilles en plastique résistant au chaud, au froid, à l'ombre, à la lumière, au temps qu'il fait et à celui qui passe, et pulvérisait ses records de recettes au grand bonheur de ses actionnaires, la Bordelaise Universelle des Eaux bordelisait le village, la ville, la région, le pays, l'Europe, le monde entier !
Ensemble, elles avaient gagné la guerre de l'eau !

Alors les Fermoar de Montsac possédèrent la plus grosse fortune du monde après Bill Gates et ses fenêtres magiques, loin devant la reine d'Angleterre et… les Maîtres-Pieds du Real de Madrid.
Alors, la famille rayonnante put enfin offrir au patriarche cacochyme Louis Demontsac, ex-roi du blanchiment, ex-empereur de la teinture, ancien député et fumeur invétéré de cigares de Havane, refondateur de la dynastie, le voyage en navette spatiale russe dont il rêvait depuis toujours.
Et Charles-Edouard, au terme d'une épuisante course poursuite avec quelques intrigants de seconde zone dans les sombres couloirs de la Présidence du Conseil, reçut en grande pompe le marocain de Ministre du Développement Local, des Affaires innovantes et de l'Environnement, avec le titre et les attributions y afférentes.
Ministre d'État, doté de voiture blindée avec sirène, gyrophare, gardes du corps et de la parole, escorte à cheval et, clou des clous, place de premier rang dans la tribune officielle du Quatorze Juillet !


Le père dans la lune, le fils sous les lambris du Roi-Soleil, chacun était désormais à sa place dans un monde ordonné où, à la plume de paon, sur un antique papier de chiffe du Moulin des Trois Rus marqué au fer froid du Faucon surmonté du double C couronné, s'écrivait la plus fascinante histoire d'eau !

Les Anneaux de la Fiancée 1 EAU roman 285 p. éd. ESKA Paris 2005
Premier volume de la tétralogie Les Anneaux de la Fiancée
AIR paru en 2006. TERRE et FEU à paraître prochainement.

mercredi 14 mai 2008

Printemps...

C'est le printemps !
Mais... où sont donc passées... les abeilles ?
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Merci à Joël Shiro pour son éclairage technique et serein.

mardi 13 mai 2008

Désert...


Sous l'or vert des colzas...
la tragédie rurale française !
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En Lorraine (Lebeuville-Gripport) photo GL 13 05 08

lundi 12 mai 2008

Parfum de... Grasse !

Un jeune homme de 22 ans est mort, à Grasse, la belle cité mondiale des fleurs et des parfums, durant son interpellation par la police. Sous les yeux de témoins qui attestent des conditions particulièrement musclées de cette interpellation : le jeune homme maintenu à terre par trois policiers, dans une position conduisant à l’étouffement, son transfert au commissariat d'une manière peu compatible avec son état…
Rien, pour l’heure, ne permet de déterminer avec exactitude les causes de cette mort, ni les responsabilités.
Toutefois, il est permis -de notre devoir !- de se poser quelques questions concernant le respect dû par l’autorité nationale à tout citoyen. D’abord, se demander si la présomption d’innocence, base de notre droit, n’est pas devenue pour les gardiens de notre ordre républicain une systématique présomption de culpabilité (Outreau -qui n’a eu aucune conséquence pour les fauteurs de troubles, voire de drames- en est une preuve terrible). Ensuite, interroger ces mêmes gardiens et leur hiérarchie sur les conditions de leur recrutement, leur formation, les valeurs qui sous-tendent leur action, et les méthodes préconisées pour faire mettre au pas social un délinquant. Enfin (il y en aurait d’autres !) rechercher, derrière de tels comportements, dans un pays éternel donneur de leçons en matière de droits de l’homme, les motivations sociales et politiques de nos dirigeants, traduites en consignes et objectifs, qui génèrent de telles dérives…
En outre, il convient de se poser courageusement cette question : pourquoi appellerait-on crime partout ailleurs ce que, chez nous, nous nommons généralement et pudiquement bavure ?
Certes, un cas isolé ne fait pas généralité. Mais une mort d’homme, au moment précis ou cet homme est placé sous la responsabilité directe de notre pays (par ses fonctionnaires de l’ordre), donc sous notre responsabilité directe de citoyens, pose un problème que nul n’est autorisé à évacuer d’un mot dérisoire. Chacun de nous, parce que cette action policière s’est faite en notre nom, est concerné par cette mort !
La vigilance est de mise car, d’après la presse, le préfet, représentant de l’État, aurait déjà donné le ton, du genre : « Aucun élément ne permet actuellement de mettre en cause l’action des fonctionnaires » !
Il faudra que les témoins soient sérieusement entendus, que l’enquête soit menée par d’autres fonctionnaires que ceux de la grande famille, que la justice agisse en toute indépendance et conscience de sa mission (oubliant les promotions possibles et souhaitées), que les sanctions (si sanctions il doit y avoir) soient exemplaires et connues, pour que nous puissions nous dire que, dans notre pays des droits de l’Homme, c’est le délinquant qui est à craindre, pas… le policier !

samedi 10 mai 2008

Birmanie... droit d'ingérence

Victime d’un accident météorologique exceptionnel, la Birmanie souffre. Plusieurs dizaines de milliers de morts, de disparus et de blessés, des populations menacées de famine et d’épidémies, des détresses physiques et morales si intenses qu’il est difficile de les nommer, dans un pays que gouvernent des militaires accusés de dictature par une opinion internationale pourtant très intéressée par leur « partenariat » économique (TotalNestlé…). Des militaires qui refusent l’aide occidentale directe.


Alors, sous prétexte de droit d’ingérence, les humanitaires s’activent à leur feuille de route, et le grand pacificateur et démocrate exemplaire président des États-Unis parle d’intervention forcée, comme des parachutages de vivres et de médicaments sur les zones concernées. Alors les militaires birmans se fâchent et ferment davantage encore leurs frontières, condamnant leurs populations à des détresses encore plus terribles ! Alors, agité par la planète médiatique, le monde bien pensant s’alarme comme, autrefois, les bigotes sur le parvis d’après messe, qui achetaient des petits pains au profit (disait-on !) des petits Chinois !
Méfions-nous de la mémoire sélective qui pousse souvent à des jugements à l’emporte-pièce !
Sans remonter au déluge, n’oublions pas la désastreuse colonisation britannique de ces régions d’Asie, si désastreuse que ce pays, la Birmanie, à fui le Commonwealth voilà quelques dizaines d’années… N’oublions pas la véritable nature de l’« humanisme » anglo-saxon démontré avec force en Palestine ou à Bagdad et ses mensonges à propos des armes de destruction massive qui n’existaient pas (en revanche, le pétrole, lui, existait bel et bien !)… N’oublions pas les paroles de Condoleezza Rice arrivant sur les lieux du tsunami asiatique de décembre 2004, selon laquelle cette catastrophe était « une belle opportunité » pour l’économie de son pays… N’oublions pas que Bernard Kouchner lui-même, si ami aujourd’hui avec le même président états-unien, écrivait dans son rapport de 2003 sur la Birmanie (destiné à blanchir les activités de Total dans ce pays), et si farouche partisan avec lui d’une intervention par la force : « Seules les victimes ont le droit de juger si l’aide doit se poursuivre ou cesser »… N’oublions pas que la très courageuse femme birmane Aung San Suu Kyi (prix Sakharov, prix Nobel de la Paix 1991, prix Simon Bolivar) exhorte la communauté internationale à « ne rien faire qui renforce le régime des généraux » !
N’oublions pas que… les tragédies humaines, où qu’elles se produisent, n’ont pas à devenir le prétexte (sous couvert de l’ONU aux ordres de Washington) à inonder le monde de hamburger et de boisson pétillante venue d’Atlanta. Les Jeux Olympiques y suffisent largement !
Oui, les responsables politiques ont le devoir de tout mettre en œuvre pour éviter les souffrances des peuples ! Oui, l’être humain a le devoir de porter assistance à son semblable en détresse, où qu’il soit, quel qu’il soit. Mais nul n’a le droit de profiter de l’état de faiblesse de l’autre pour le soumettre temporairement ou définitivement.
La générosité vraie n’attend rien en retour, surtout pas des parts de marché !
Entre l’obstination aveugle des militaires dans leur refus d’aide directe et le désir de forcer les portes d’un pays encore traumatisé par le vieux colonialisme, la possibilité d’action est mince car… le nouveau colonialisme économique est à l’affût.
La tâche est donc difficile.
Elle ne redeviendra facile que si les uns, oubliant leurs vieilles lunes, se laissent gagner par la juste compassion, et si les autres, tordant le cou à leur désir de conquête, acceptent de fournir sans signature ni conditions (notamment de distribution) leurs moyens de survie !
On peut toujours l’espérer !
photo Fotosearch

Licht !



Licht... mehr Licht !

Ces mots sont les derniers prononcés par Goethe mourant.

Lumière...
plus de Lumière encore !



Portrait de Goethe par Joseph STIELER
Bayerische Staatsgemäldesammlungen Munich


jeudi 8 mai 2008

Lumière...

A vous, cette Lumière montante, ce jour naissant, cette ouverture !
Avec un clin d'oeil complice à Rénica
(adresse dans mes blogs amis)

photo GL

Matin de printemps...

Lilas mauve de mon jardin, en ce matin de printemps rayonnant...
Paix, générosité, humilité !

photo GL


lundi 5 mai 2008

MAI 68






Je dédie cet extrait de mon roman Le Verre de moisson à toutes celles et tous ceux qui, en ce moment, sur les antennes et dans les feuilles, se font mousser en participant au grand cirque de quarantaine, s’amusent et rient de Mai 68, en font un gigantesque lupanar, dénaturent cette époque en manipulant l’histoire et, souvent… mentent !
En ce temps-là, j'étais enseignant, comme et avec Jean-Marie...

Le général de Gaulle avait confié une mission d’importance à son ministre de la jeunesse et des Sports, François Missoffe : « Regardez la jeunesse, cherchez… il y a quelque chose… un problème… »
Dans notre collège (…) nous y avons cru. Tu te souviens, Jean-Marie ? Nous avons cru que le temps était enfin venu de réfléchir tous ensemble pour, ensemble, tenter de résoudre LE PROBLÈME, de travailler tous ensemble à la naissance d’une nouvelle ère, de vivre tous ensemble, d’AIMER… Nous avons cru qu’enfin la devise républicaine allait prendre corps dans nos vies, pour la première fois de l’histoire, que nous saurions partager la Liberté, reconnaître et confirmer l’Égalité, vivre, vivre, vivre en Fraternité ! Nous l’avons cru, Jean-Marie, tu te souviens, et nous avons offert cette croyance à ces gamins, à ces filles qui nous faisaient confiance. Tu avais horreur de la violence, tu ne supportais pas l’injustice. Là où un être souffrait, tu souffrais, mais en agissant pour extraire le mal. Tu savais, Jean-Marie, que c’est par le cœur que l’homme peut s’élever, par ces vibrations qui rapprochent, par ces énergies qui attirent et fusionnent. Le cœur… Nous avions été frappés, en ce temps-là, par l’acharnement de quelques-uns à remplacer les cœurs malades. Tu te souviens, Jean-Marie ? Barnard au Cap, Shumway aux États-Unis, Négre à Montpellier. Ils voulaient soigner les hommes malades du cœur en leur greffant un cœur sain. Ils taillaient, taillaient, taillaient dans les chairs à tour de bras, à grands coups de scalpel ! Une véritable frénésie ! L’obsession du cœur sain, du cœur bon… C’était la nôtre aussi, Jean-Marie, mais (…) nos outils à nous n’étaient ni pointus, ni tranchants, jamais traumatisants. Notre champ opératoire n’était que le champ du château. Nous y rassemblions les jeunes des écoles, des lycées et collèges de la région. Platon, Montaigne, Rousseau, Hugo, Lamartine, Jaurès, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Vian, Camus étaient nos invités permanents, avec quelques autres que tu aimais ou que j’aimais très fort. Te souviens-tu ? Nous y avons chanté Le Plat Pays de l’Ami Jacques, La Montagne de l’Ami Jean, et la fille toute nue sous son pull de l’Ami Léo. Sans oublier, bien sûr La Lettre que Monsieur le Président lira peut-être si vous avez le temps. Je viens de recevoir mes papiers militaires…
Tandis que Paris arrachait ses pavés, tronçonnait ses platanes et, malgré l’humanisme du Préfet de Police Grimaud, torturait ses étudiants dans les commissariats encore fortement imprégnés de la culture Papon, nous débattions, nous, dans notre champ, de la démocratie, de la liberté, de l’organisation de l’enseignement, du sens du travail et de la relation homme-femme. Parfois, nous descendions dans la rue avec nos banderoles et nos slogans pour y interpeller des tortues en hibernation.
(…) Un jour, devant le portail de l’usine où travaillaient mes parents, j’ai voulu serrer la main de mes copains en grève, ceux de mon village, ceux de l’école, de la communion solennelle et des courses dans la campagne derrière les pies, les filles et les nuages… et ils ont refusé ! Ils m’ont repoussé comme, au Moyen-Âge, on repoussait les pestiférés (…) Pour la première fois, j’ai cru voir de la haine dans leurs yeux. Jamais je n’oublierai ce face à face. Sa douleur est toujours vive, trente ans après. Lorsque je t’ai retrouvé, Jean-Marie, le soir même, tu m’as donné l’information que je n’avais pas entendue à la radio, et j’ai compris. La veille au soir, à Paris, la coalition Mitterrand-Seguy-Krasucki-Marchais-Waldeck Rochet avait cru ramasser les clés du pouvoir dans le caniveau en prenant la tête du million de manifestants qui avaient arpenté le pavé toute la journée. Ils avaient décidé de nous combattre, nous les enragés et nos idéologies anarchistes, pour ne plus parler que hausse des salaires. Du fric contre le rêve ! Ordre était donné de ne plus fréquenter les infréquentables ! La chaîne des hiérarques l’avait répercuté jusqu’aux piquets de grève. Le piège se refermait une nouvelle fois ! Les appareils progressistes d’opérette venaient d’interrompre à coups de poings la gestation de la nouvelle société que tous pourtant continuaient d’espérer !

Tu n’as pas supporté, mon cher Jean-Marie.
(…)
Les autorités militaires ont déclaré que tu avais choisi. Elles ont raconté comment tu avais pris ta voiture dans cette caserne de Belfort où, depuis un an, tu servais de secrétaire en uniforme à un officier, comment tu avais roulé jusqu’à une forêt proche, comment tu avais raccordé l’échappement à l’habitacle, comment tu étais mort…
MORT, mon bon Jean-Marie ! Mort, après ta dernière permission partagée avec ta femme, tes deux enfants, tes parents et tes poètes ! Mort !
Comme un écorcheur de chats à peine repenti ! Au fond d’un bois fouillé par les sangliers, voleur de poules, violeur de vierge, renégat, fugitif… comme un reste d’homme qui ne te ressemblait pas ! Ils ont dit, tes chefs, à tes parents, que tu avais eu «la délicatesse de faire ça en dehors de la caserne… » Je te connaissais délicat, mon cher Jean-Marie, mais à ce point ! Je sais des ironies insupportables. Celle-là en est. Ils ont aussi proposé de te rendre les honneurs. Et ta famille a justement refusé. Ils ont insisté, voulu détacher un peloton, d’honneur encore, à ton enterrement. Et ta famille a encore, justement, refusé. Alors ils t’ont renvoyé dans tes foyers, en uniforme, au fond d’un cercueil trop beau pour être honnête et, sur le ventre, une croix que tu n’aurais pas voulue.
Le village muet t’a reçu. Il t’a couché dans l’école de ton enfance, tout contre ce théâtre construit par tes parents que ta passion habitait, ce temple où les enfants de paysans venaient se prendre d’amour vrai pour Shaw, Brecht, Arden… Je me souviens de ta mise en scène fulgurante du Baladin du monde occidental. Éblouissante ! Synge pouvait ne pas en revenir ! Tu te souviens ? C’est là, dans l’ombre de ce théâtre que tu as dormi tes dernières heures au milieu des hommes, de leurs murmures, de leurs poings serrés dans les poches, de leurs sanglots. J’en ai vu beaucoup, tu sais, pendant ces deux jours terribles, qui s’éloignaient dans la rue, seuls, pour te parler encore, pour te parler toujours, pour tenter de t’entendre, pour pleurer en silence, puis revenaient dans l’école-reposoir où tes enfants ne quittaient la main de Michèle que pour jouer avec les fleurs. Sur ton cercueil, couvrant la croix, les plus belles pages de Camus et des pommes de pin ramassées quelques mois plus tôt à Lourmarin, sur sa tombe, par ton père et ta mère, pâles de fatigue et de douleur.
Lorsque vint l’heure de t’emporter, un grand silence se fit. Tu quittas la maison simplement, comme tu y avais vécu, sans discours, ni psaumes, sans eau bénite. Seul t’accompagnait le roulement continu des pas dans le gravier. Il n’était pas long, le chemin de l’école à la fosse. Le temps de quelques souvenirs. À peine celui d’une prière profane, d’un mouvement de colère retenu. Puis, à mi-parcours, le plus bel hommage tomba soudain du ciel. Les cloches de l’église se mirent à sonner, elles qui n’avaient jamais sonné pour toi. Elle se mirent à sonner, mon bon Jean-Marie, pour toi le mécréant, toi l’anarchiste, toi le libertaire, rien que pour toi. Elles sonnèrent jusqu’à ta descente en terre, jusqu’au chant de l’Ami Fontaine, jusqu’au retour à l’école, sans toi. Elles sonnent toujours maintenant, dans ma tête et sur la pierre levée de ta tombe que prolonge, à l’horizon, pour une protection tardive et dérisoire, le clocher du village. Pour une élévation, peut-être… Elles sonnent pour accompagner tes derniers mots collés sur le tableau de bord de ta voiture :
Qui suis-je ?
Qu’y puis-je ?

Il avait pourtant été si beau, ce mois de mai…
Qu’y puis-je ?

Et puis… merde !
Le Verre de moisson roman p. 293-301 éd. ESKA Paris 1998

vendredi 2 mai 2008

ART...




S'il y a des frontières en art, elles sont moins des barrières de races que des barrières de classes. Je ne sais pas s'il y a un art français et un art allemand ; mais il y a un art des riches, et un art de ceux qui ne le sont pas.

Romain Rolland, l'ermite rayonnant de Vézelay.
Extrait de Jean-Christophe livre VII (Dans la maison)


Portrait : Musée d'Art et d'Histoire CLAMECY