lundi 26 mai 2008

Symbolisme...


Rien n’a bouleversé la société moderne comme l’apparition du mouvement symboliste de la fin du 19ème siècle. Jusque là, et depuis plusieurs siècles, on appelait un chat un chat, ne voyant dans ces quatre lettres qu’un tube digestif enveloppé de fourrure utile dans la lutte contre les douleurs rhumatismales, et deux yeux capables de déloger les souris, même la nuit. On limitait ainsi le monde connu au monde nommé. Bien des systèmes ont été conçus ainsi, dans le lit d’une langue considérée comme une maîtresse d’âge respectable, certes, mais devenue passive. Cioran affirmera même plus tard, faisant d’elle la matrice universelle de chaque être humain : On n’habite pas un pays, mais une langue !
Ce lien direct entre le mot et son objet, entre signifiant et signifié avait engendré une attitude de l’homme face à son environnement ancrée dans l’analyse et l’apparence de connaissance, mais l’apparence seulement sur fond de répétition quasi-mécanique de dogmes et préceptes.
Le mouvement scientiste et la révolution industrielle modelaient la conscience humaine au grand bonheur des faiseurs et marchands d’esclaves des manufactures et patrons d’atelier qui, jansénistes par fonction, réussissaient à convaincre la populace que, épargnée par la grâce, elle n’avait d’autre devenir que celui de les servir. Et, dans cette populace, la femme, parce que moins encore touchée par la grâce que l’homme, n’avait d’autre place que celle de servante de l’esclave ou… du prêtre. Madame Bovary et Madame de Rênal en sont des exemples que le talent de Flaubert et Stendhal, et la situation économique en même temps que l’état mental contemporains, présentent comme toujours vivants.
C’est Jean Mauréas qui jeta le pavé dans une mare où coassaient les vers de Hérédia, d’où émergeaient les mamelons dressés sur des aréoles romanes de Paul Abadie ou Viollet-le-Duc, où croupissaient les visions sociales de Zola. Dans son Manifeste du Symbolisme, daté du dix-huit septembre 1886, il déclarait :
Il faut au Symbolisme un style archétype et complexe : d’impollués vocables, la période qui s’arc-boute alternant avec la période aux défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l’anacoluthe en suspend, tout trope hardi et multiforme.
Autrement dit : donnons-nous tous les moyens de la langue capables de nous ouvrir aux réalités de notre monde tant dans son visible que, surtout, dans son invisible.
Autrement dit encore : cessons de nous comporter comme des êtres insensés (qui ont perdu les sens et le sens) seulement intéressés par le paraître, ignorants de l’essence même des êtres, des phénomènes et des choses.
C’était, en réaction contre le naturalisme scientiste ambiant, le retour à l’étymologie du mot symbole : jeter ensemble ! Jeter tout, et la terreur primale du combattant des tranchées à venir, et la madeleine de Proust, et le délicatement suggestif Déjeuner sur l’herbe de Manet, et le Dormeur du val, et la formidable Grève au Creusot du pourtant conformiste ambigu Jules Adler. Jeter tout ensemble, tous les mots de notre langue pour que, de ce chaos dynamique, jaillisse la véritable intention qui habiterait ce monde, notre monde ! Tous les mots, car rappelle Pierre Emmanuel dans Le Goût de l’Un :
Nous sommes langage incarné : jusque dans la hauteur des symboles, nous n’échappons jamais à la présence du mot. Si nous échappions, nous cesserions d’être !

Curieuse aventure que la nôtre, à nous qui ne survivons que parce que nous avons la capacité de nommer notre propre vie (comme tout à l’heure, le chat…) !
Étrange spectateur de lui-même que cet homme du philosophe Maurice Merleau-Ponty posté à son balcon qui n’a de preuve de son existence que se regardant passer dans la rue !
La Troisième république, ses école et chantre noir Jules Ferry, emprunteur peu reconnaissant à Victor Duruy de son cadre de laïcité, gratuité et obligation, auront tôt fait de remettre un ordre primaire dans des esprits que telle philosophie symboliste risquait d’ouvrir à de trop grands espaces. La liste des préfectures, la date de naissance de Jeanne d’Arc, celle de mort de Danton, l’heure de croisement des trains partis de villes toujours trop lointaines, et le développement de la bicyclette seraient donc, pour certains de ce temps-là et quelques-uns d'aujourd'hui, des fondamentaux de saine utilité pour cette œuvre de salubrité publique, sur fond de France mère des arts, des armes et des lois du fidèle Joachim du Bellay !

Foin des terreurs publiques profanes devant les perspectives du sacré… nous serions langage incarné… soit ! Mais langage de quelle origine ?
Jules Adler Grève au Creusot huile sur toile 1895 musée de Pau photo GL
photo symbole science-énergie fotosearch

2 commentaires:

diplodocus continental a dit…

Cette histoire de "verbe" qui s'est fait chair,çà ,c'est un sacré problème.La "Thora" ,je crois ,essaye d'y répondre puisque c'est le livre du questionnement!Que faire,sans comprendre ce qu'est le langage?Les juifs ont donné enormément de linguistes,voir la "Cabale", voir le yiddish.Ils vont très très loin.Notre recherche à nous sur le structuralisme n'a pas donné la clé,pourtant Lévy Strauss y a travaillé mais ses Mythologiques,restent loin du sacré!

Anonyme a dit…

Passionnante question que celle de l'être et du paraître, éblouissement de la langue que nous habitons dites-vous en invitant Cioran, que je définis volontiers comme une sorte de Groucho Marx de la philosophie, cela dit Groucho fût un bel exemple du philosophe accompli, au corps toujours en mouvement, - et le cinéma n'est pour rien dans tout cela, il fût bien au delà du cinéma -, l'être et le paraître donc, pratiquant un paraître bien organisé, autrement dit, une sorte d'art - à la Gracian - du visible en société, de l'éblouissement vestimentaire et verbal, je ne cesse de vérifier cet état notamment chez les chinois de l'époque des Thang, qu'en son temps Debord porta sur la scène littéraire, un rien endormie,( est-ce bien nouveau ? ), et cette vérification me conduit à l'être, mais cet être est-il autre que celui qui paraît, je crois que Gracian éclaircit tout cela dans ces écrits, notamment dans son "Héros", qu'il faut lire et relire comme on s'adonne à quelques passions amoureuses.
Concernant la langue cette fois, si elle m'appartient c'est bien parce qu'elle témoigne de mon savoir et des saveurs que je goûte. Saveur et savoir de la langue, à l'éthimologie commune, c'est peut-être là qu'il faut creuser.
J'aime aussi à croire que quelques "illuminés" ne sont pas pour rien dans ce que nous écrivons, ni d'ailleurs quelques fées ou autres déesses éclairées.
Fort amicalement
chauché-écrit