mercredi 8 octobre 2008

Vigne, vin et... guerre de 1914-18

Je dédie ce texte aux mutins de Craonne
et aux fusillés de Vingré
La surproduction est telle dans le midi, à la fin du 19ème siècle, que plusieurs crises éclatent chez les vignerons. La jacquerie de 1907 est si terrible que Paris envoie contre les Biterrois et les Narbonnais le 17ème régiment de ligne. Mais soldats refusent de tirer…
Le chansonnier anarchiste Montéhus écrit alors :
Salut, salut à vous
Braves soldats du dix-septième.
Salut, braves pioupious,
Chacun vous admire et vous aime.
Salut, salut à vous,
À votre geste magnifique.
Vous auriez, en tirant sur nous
Assassiné la République !

De cette épreuve sortira la première tentative de réglementation de la production : l’administration aurait pour mission de délimiter les zones de production qui bénéficieraient d’une appellation d’origine. Mais la pression professionnelle est telle que… échec ! C’est que… le Languedoc, qui pratique une monoculture intensive avec des plants à haut rendement mais de qualité médiocre, est devenu une véritable « usine à vins ». En même temps que, par habitude prise durant la ruine du vignoble par le phylloxera, on continue à fabriquer des vins artificiels, et que betteraviers et céréaliers produisent maintenant un alcool moins cher !
La crise dure. Elle est générale ! La colère a gagné toutes les régions de France (même la Champagne s’est enflammée : à Bar-sur-Aube, Ay, Damery…) Pourtant, Pasteur y avait mis du sien en déclarant quelques années plus tôt :
Ce qu’il faut tenter, c’est de porter à bas prix sur la table de l’ouvrier (…) le bon vin de France aliment, c’est-à-dire le vin naturel, celui dont Dieu a largement gratifié le beau pays de France (…) Le vin peut être, à bon droit, considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons !
On peut difficilement être plus lyrique et plus rigoureusement scientifique à la fois ! De quoi faire réfléchir l’ex-ministre Claude Et-vin !

Pour éviter une aggravation de la situation, renouant avec leur tradition terrienne de solidarité, les vignerons s’organisent eux-mêmes et créent, à l’image des autres Européens (Espagne, Portugal, Hongrie, Suisse, Italie…) les premières coopératives. Première de toutes, l’alsacienne de Ribeauvillé !
1914 : avec la nouvelle organisation (soixante-dix-neuf caves coopératives) le calme est revenu !
Mais…
28 juin 1914 : L’étudiant Gavrilo Princip tue à Sarajevo l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie. L’empereur François-Joseph déclare la guerre à la Serbie…
3 août 1914 : Par le simple jeu des alliances, l’Allemagne déclare la guerre à la France et pénètre en Belgique…
On connaît la suite !

Selon l’historien anglais, Thédore Zeldin (encore lui !)
Le vin a joué dans la vie des Français un rôle aussi considérable et aussi complexe que celui joué par les idées politiques ou sociales !

On l’a vu avec la Révolution de 1789 ! On va le voir avec cette guerre mondiale qui vient d’éclater…
Le premier souci de l’état-major sera en effet que le soldat soit constamment ravitaillé en vin : le fameux bidon de deux litres, habillé de bleu horizon, et son quart de fer blanc, sont aussi précieux que le fusil.
Guillaume Apollinaire (Alcools, Calligrammes…) grièvement blessé à la tête en 1915, écrit dans sa tranchée :
J’ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différences entre nous et les Boches !


Il boit, le Poilu, pour oublier qu’elle ne sera pas aussi courte qu’il le croyait, cette guerre… oublier l’horreur du camarade mort dont le cadavre pourrit à côté de lui dans la tranchée… oublier la folie des assauts répétés face aux mitrailleuses prussiennes ! Il boit pour tenter de croire à un monde futur moins imbécile ! Il boit son pinard (mot formé au 17ème siècle à partir du nom de cépage pinot), le Poilu de 14, pour espérer une victoire rapide et définitive, il trinque à « la der des der ! », ainsi que l’écrit Henri Margot :

Et toi, pinard ? Qui donc es-tu ?
Quel soleil a mûri ta vigne ?
Toi qui vins avec nous en ligne,
Toi qui, comme nous, t’es battu ?
(…)
Viens-tu d’Auvergne, d’Algérie,
Viens-tu de l’Hérault, de la Brie,
D’Ouest ? Du Sud ? De l’Est ? Du Nord ?
Je ne sais… mais joyeux à boire,
Emplissant nos quarts jusqu’au bord,
Tu nous a donné la victoire…

Ce pinard, même médiocre, même s’il « pue le purin », stimule le courage et l’imaginaire en même temps que la mémoire… il parle au Poilu de son pat’lin, de sa p’tite maison, il redonne de l’énergie…
Marc Leclerc écrit en 1915 :
Salut, Pinard
Vrai sang d’la terre :
Tu réchauffes et tu rafraîchis,
Grand élixir du militaire !
Plus ça va, et plus j’réfléchis
Qu’si tu n’existais pas,
En somme,
Il aurait fallu t’inventer :
« Y a pus d’pinard…
Y a pus d’bonshommes ! »
C’est l’nouveau cri d’l’humanité.
T’es à la fois plaisir et r’mède.
Et quand t’es là on s’sent veinard ;
Tu nous conbsoles et tu nous aides :
Salut pinard !

Il stimule aussi le désir, ce pinard, lui parle de sa p’tite femme, très souvent encore « promise » (ils sont très jeunes) qu’il croit reconnaître dans la personne de la cantinière ou de la servante de l’auberge. Charles-Joseph Pasquier, de son nom d’artiste Bach , écrit dès 1914 la célébrissime Madelon :
Quand Madelon vient nous servir à boire,
Sous la tonnelle on frôle son jupon…

Nous avons tous au pays une payse
Qui nous attend et que l’on épousera…

La Madelon pour nous n’est pas sévère
Quand on lui prend la taille ou le menton…

Cette Guerre de 1914-18 laissera des séquelles terribles dans notre société : familles décimées, régions anéanties (Picardie, Lorraine « Terre la plus usée de France » selon Maurice Barrès), gueules cassées, travail forcé des femmes pour remplacer les hommes morts ou estropiés, et… l’alcoolisme ! Un alcoolisme national, voire nationaliste !
Même le beau poète Jean Richepin, pourtant nourri hier encore au râtelier de l’anarchie, invite, dès la fin de la guerre, à l’Union sacrée autour du Pinard de la Victoire :
Dans des verres de paysans, ainsi que dans des calices touchés d’une main tremblante, qu’ils y boivent le pinard des Poilus, versé par nos cantinières silencieuses et payé le plus cher possible au bénéfice des veuves et des orphelins de France.

Après avoir donné la victoire, le vin va donc devoir subvenir aux besoins des survivants du massacre !
Il sera entendu, Richepin.
Même les femmes vont se mettre à boire sans modération ce vin sacré (ou ce sacré vin !), elles qui poussent maintenant des deux bras sur la charrue, manient la faux, attellent les bœufs, et triment dans les manufactures à la place de leurs hommes, tout en élevant les enfants nés de l’amour d’hier !


Alors, pour bien montrer qu’elle occupent désormais une autre place dans la société, elles boivent le vin et… vont se faire… couper les cheveux !

image du site guerre 1914-1918.fr

3 commentaires:

micheline a dit…

Boire un petit coup c'est agréable
Boire un petit coup c'est doux
Mais il ne faut pas rouler dessous la table
Boire un petit coup c'est agréable
Boire un petit coup c'est doux.

et merci pour tout ce rappel de l'endroit et de l'envers du décor d'hier et d'aujourd'hui.

Lorrain a dit…

Bonjour M. Laporte,
Vos connaissances sur La Mothe sont impressionnantes, nous serions honnorés de pouvoir discuter via ce forum de la Lorraine : http://lorraineindependante.meilleurforum.com
Bien cordialement.

diplodocus continental a dit…

J'ai visité le champ de bataille du "Linge" en Alsace...Tant de morts au kilomètre carré ...Vive le vin s'il a pu alléger leur peine à ces soldats!Inimaginable tant de souffrance!