mercredi 20 août 2008

Promenade à Sion - 13


Au fond de sa baie, Saxon semble assoupi sous la bise sifflante et soufflante qui vient de se lever. En un tournemain, les airs tranchants du grand nord ont nettoyé le ciel et garni ma moustache de stalactites de givre que j’effleure du bout de la langue. Sur mes lèvres, une délicieuse fraîcheur… Je remonte mon col, aspire à pleins poumons ce souffle vivifiant de la terre, engage mes pas dans les ornières gelées de la route, dépasse les premières maisons du village. L’une d’elles, aux volets clos, me remue profondément. C’est là que, au temps de mes recherches sur le schisme de l’autre siècle, j’ai rencontré la Marie et son frère Henri. Jamais je n’oublierai leurs mots chuchotés, ni leurs regards inquiets de l’un à l’autre et ensemble vers moi à l’évocation des frères Baillard, ni leur affection douloureuse pour ces prêtres dont les colifichets sacrés hantaient encore les armoires, ni la vague d’émotion qui m’avait submergé à la découverte des missels de la communauté réfractaire étalés sur le lit, dont la page de garde portait de leur main le nom du grand François, celui griffonné de sœur Thérèse, l’autre en lettres rondes de sœur Lazarine… tous là, reliques de fond de placard tirées d’un carton que la Marie avait ouvert sur le lit comme elle aurait ouvert un tabernacle ! Et les larmes du vieil Henri… et ma promesse de ne pas utiliser dans mon film quelques confidences qui, m’avait-il dit, « pourraient encore faire du mal à mes enfants ! » Promesse tenue !
Je vois encore leur visage… elle, de bonne pomme crâpie aux yeux vifs… lui, aux joues veinées de coulasses bleues de collyre pour, m’avait-elle expliqué, que les paupières de son frère ne se soudent pas durant le sommeil ! Je les verrai toujours !

Comme une forteresse, la maison Jory se dresse face à Chaouilley dont le nom me plaît au point que j’aime le répéter sans raison -pour sa douceur peut-être, pour sa rondeur sucrée de mirabelle-, face à Thorey-Lyautey où survit l’étrange salon marocain du Maréchal, face au val de Tabourin qui, juste avant sa rencontre avec le mystérieux Brénon, sépare le plateau de Hartondu de la pointe escarpée où se cache le château d’Estrewaulx*
, l’Étreval moderne, face aussi au Bois d’Anon qui, au loin, pose sa calotte sur la banquise. Face à la France ! Voulait-elle résister, la forteresse Jory, à l’époque où, ferme-école des Baillard adoubés par l’empereur d’Autriche, duc de Lorraine, elle défiait les lois imposées par des maîtres d’ouest qu’elle ne reconnaissait pas ? Aujourd’hui encore, par ses murailles dressées sur la plaine, veut-elle s’affirmer comme un ultime symbole de résistance ? N’était la ruine de la maison Sellier, un jet de pierre plus haut dans la côte, on pourrait se prendre à croire, sur cette place suspendue, au devenir toujours possible de la culture de Lorraine !
La maison Sellier !
Une ruine encore partiellement couverte… une pièce éventrée qui fut la chambre mortuaire du grand François et de Léopold… des épaves de linteau, de poutrages, de placards qui flottent sur la houle givrée des chicots d’orties et des ronces… des tessons de carafes d’où a coulé leur vin, des éclats de vaisselle dans laquelle ils mangeaient, des ferrures de portes que personne n’ouvrira plus jamais… Ces vestiges se souviennent-ils des souffrances d’hier, des mots de réconfort de la Marie-Anne pour ses hôtes, du ton du grand François quand il refusa la main de l’Église, des murmures épuisés de Léopold et du secret de son abjuration ? Ces pierres ont-elles confié à Maurice Barrès le secret de l’origine du schisme : les six mille francs offerts aux Baillard sur sa fortune personnelle par leur évêque monarchiste**
… confisqués par son successeur bonaparto-républicain*** ? « Quel symbole, que cette ruine ! me répétait André Jacquemin… allez la voir et l’entendre souvent… elle peut encore parler ! »
Je vais la voir souvent… elle me parle…
A suivre...
GL

* Les noms de lieux de Meurthe-et-Moselle Aude Wirth éd. Gérard Louis 2004
** Charles de Forbin-Janson
*** Alexis-Basile Menjaud
A propos du schisme des Baillard, on peut lire, de Jean Castelli :
"Autour des Baillard, chronique de la Colline offensée" éd. Gérard Louis 2005
références publication voir billets précédents
image Mirabelliers en fleurs au pied de Sion 26 04 08 photo GL

7 commentaires:

Gavroche a dit…

Il y a une telle tonalité lyrique dans chacune de vos phrases que l'on ne peut qu'affectionner l'ensemble. On sent que vous écrivez avec passion, c'est réellement impressionnant. On reste médusé par vos textes. Compliment.

diplodocus continental a dit…

Gavroche a trouvé les mots pour dire cette intense "tonalité lyrique" de vos textes .Je le remercie,je vous remercie de me faire revivre cette France que j'ai connue où l'on faisait son pain soi-meme tous les quinze jours,cette France où l'on partageait sa peine et ses combats...Il y avait du temps pour tout...

Gilles LAPORTE a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Gilles LAPORTE a dit…

Merci, Amie, Ami,
Vos mots, vos émotions me sont précieux.
La moindre parcelle de terre de tout pays contient l'univers, espace et temps, horizontale et verticale. Vous parlant du mien, je visite le vôtre !
C'est sans doute pour ce mystère partagé que nous nous sentons... si bien ensemble !
Amitié.
Gilles

Rénica a dit…

Chaouilley...moi aussi j'aime beaucoup la sonorité de ce nom ! Il y a des mots comme ça qu'on aime répeter à voix haute, celui-ci est doux et moelleux à souhait...
amicales pensées.

Anonyme a dit…

Cher Gilles. Bien que nos opinion sur les Baillard dffèrent beaucoup, je suis d'en l'émerveillement de votre texte. J'apprécie énormémént votre élégance (qui vous est naturelle et votre honnêteté (ce dont je n'ai jamais douté) qui vous fait inciter les lecteurs à lire un livre iconoclaste. Jean Castelli.

Anonyme a dit…

Je rectifie : je suis DANS l'émerveillement. C'est un effet de l'âge J.C.