vendredi 15 mars 2013

FLAUBERT : Bouvard et Pécuchet...

Une oeuvre du 19ème siècle, à redécouvrir, pour le plaisir et... la permanence des comportements : Bouvard et Pécuchet.
Bel et bon... Gustave FLAUBERT !
Bouvard et Pécuchet se plongèrent dans l’archéologie celtique. D’après cette science, les anciens Gaulois, nos aïeux, adoraient Kirk et Kron, Taranis, Ésus, Nétalemnia, le Ciel et la Terre, le Vent, les Eaux, – et, par-dessus tout, le grand Teutatès, qui est le Saturne des Païens. – Car Saturne, quand il régnait en Phénicie épousa une nymphe nommée Anobret, dont il eut un enfant appelé Jeüd – et Anobret a les traits de Sara, Jeüd fut sacrifié (ou près de l’être) comme Isaac ; – donc, Saturne est Abraham, d’où il faut conclure que la religion des Gaulois avait les mêmes principes que celle des Juifs.

Leur société était fort bien organisée. La première classe de personnes comprenait le peuple, la noblesse et le roi, la deuxième les jurisconsultes, – et dans la troisième, la plus haute, se rangeaient, suivant Taillepied, les diverses manières de philosophes c’est-à-dire les Druides ou Saronides, eux-mêmes divisés en Eubages, Bardes, et Vates.

Les uns prophétisaient, les autres chantaient, d’autres enseignaient la Botanique, la Médecine, l’Histoire et la Littérature, bref tous les arts de leur époque. Pythagore et Platon furent leurs élèves. Ils apprirent la métaphysique aux Grecs, la sorcellerie aux Persans, l’aruspicine aux Étrusques – et aux Romains, l’étamage du cuivre et le commerce des jambons.
Mais de ce peuple, qui dominait l’ancien monde, il ne reste que des pierres, soit toutes seules, ou par groupes de trois, ou disposées en galeries, ou formant des enceintes.

Bouvard et Pécuchet, pleins d’ardeur, étudièrent successivement la Pierre-du-Post à Ussy, la Pierre-Couplée au Guest, la Pierre du Jarier, près de Laigie – d’autres encore !
Tous ces blocs, d’une égale insignifiance, les ennuyèrent promptement ; – et un jour qu’ils venaient de voir le menhir du Passais, ils allaient s’en retourner, quand leur guide les mena dans un bois de hêtres, encombré par des masses de granit pareilles à des piédestaux, ou à de monstrueuses tortues.
La plus considérable est creusée comme un bassin. Un des bords se relève – et du fond partent deux entailles qui descendent jusqu’à terre ; c’était pour l’écoulement du sang ; impossible d’en douter ! Le hasard ne fait pas de ces choses.

Les racines des arbres s’entremêlaient à ces rocs abrupts. Un peu de pluie tombait ; au loin, les flocons de brume montaient, comme de grands fantômes. Il était facile d’imaginer sous les feuillages, les prêtres en tiare d’or et en robe blanche, avec leurs victimes humaines les bras attachés dans le dos – et sur le bord de la cuve la druidesse, observant le ruisseau rouge, pendant qu’autour d’elle, la foule hurlait, au tapage des cymbales et des buccins faits d’une corne d’auroch.
Tout de suite, leur plan fut arrêté.

Et une nuit, par un clair de lune, ils prirent le chemin du cimetière, marchant comme des voleurs, dans l’ombre des maisons. Les persiennes étaient closes, et les masures tranquilles ; pas un chien n’aboya. Gorju les accompagnait, ils se mirent à l’ouvrage. On n’entendait que le bruit des cailloux heurtés par la bêche, qui creusait le gazon. Le voisinage des morts leur était désagréable ; l’horloge de l’église poussait un râle continu, et la rosace de son tympan avait l’air d’un œil épiant les sacrilèges.
Enfin, ils emportèrent la cuve.
Le lendemain, ils revinrent au cimetière pour voir les traces de l’opération.

L’abbé, qui prenait le frais sur sa porte, les pria de lui faire l’honneur d’une visite ; et les ayant introduits dans sa petite salle, il les regarda singulièrement.

Au milieu du dressoir, entre les assiettes, il y avait une soupière décorée de bouquets jaunes.
Pécuchet la vanta, ne sachant que dire.
-C’est un vieux Rouen reprit le curé, un meuble de famille. Les amateurs le considèrent, M. Marescot, surtout. Pour lui, grâce à Dieu il n’avait pas l’amour des curiosités.
Et comme ils semblaient ne pas comprendre, il déclara les avoir aperçus lui-même dérobant le font baptismal
Les deux archéologues furent très penauds, balbutièrent. L’objet en question n’était plus d’usage. N’importe ! Ils devaient le rendre.
Sans doute ! Mais au moins qu’on leur permît de faire venir un peintre pour le dessiner.
-Soit, messieurs.
- Entre nous, n’est-ce pas ? dit Bouvard sous le sceau de la confession !
L’ecclésiastique, en souriant les rassura d’un geste.

Ce n’était pas lui, qu’ils craignaient, mais plutôt Larsonneur. Quand il passerait par Chavignolles, il aurait envie de la cuve – et ses bavardages iraient jusqu’aux oreilles du gouvernement. Par prudence, ils la cachèrent dans le fournil, puis dans la tonnelle, dans la cahute, dans une armoire. Gorju était las de la trimbaler. La possession d’un tel morceau les attachait au celticisme de la Normandie.
Gustave Flaubert Bouvard et Pécuchet 1881

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ce 17 03 2013
Combien y a-t-il de Bouvard et Pécuchet dans notre monde ? des gens qui prétendent tout savoir, sans n'avoir jamais rien appris !
Je vais suivre ta prestation tout à l'heure à la télé, en déplorant le peu de temps qui te sera imparti.
Je vous embrasse tous deux. J.C.