samedi 19 juillet 2008

Promenade à Sion - 2

Petit matin fragile comme une lame de cristal.
J’ai quitté le couvent dans les dernières traînées bleues de la nuit. Resserré l’écharpe. Remonté le col. Tendu l’oreille vers le silence vertigineux du grand puits couronné de neige. Regardé le ciel par-dessus les toits cristallisés. Des brumes laiteuses le couvraient comme un pallium. Voulais-je y découvrir des images, surprendre des mânes vêtus du froc de bure brune ceint d’une corde de poils de chèvre, apercevoir l’ombre blanche de la chouette chevêche dont les chuintements m’avaient tenu éveillé ? N’y ai vu que le fond du grand puits !
Frisson.
J’ai marché vers le portail ouvert sur une baie lunaire, caressé du plat de la main l’abside glacée de la basilique, frôlé le chevet du cimetière.
On dit que, sur décision d’Église, les restes des Baillard y furent jetés sans ménagement. Le grand François par-dessus le mur, comme une dépouille de pestiféré, pour n’avoir pas abjuré sa foi schismatique ; pour une éternité d’excommunié, il reposerait là, avec sa mère, la Marie-Anne Boulay, sous une dalle d’ardoise noire fendue en deux, mangée par le lierre, à peine gravée de leurs noms. L’aîné Léopold, par qui tout est arrivé : la brillante réussite tant au spirituel qu’au temporel, puis la chute dans le laminoir politique actionné par un évêque français dont l’ambition profane ne supportait pas le rayonnement lorrain ! On dit qu’il ne serait pas là, le cadavre de Léopold, sous la croix marquée de sa devise Spes mea Deus, que, malgré son reniement d’hérésie arraché par Rome dans son dernier souffle, il aurait été enterré sans repère de reconnaissance sous un contrefort de la basilique… « Ils n’ont même pas voulu qu’il ait une croix su’l’ventre ! » m’avait murmuré entre deux portes la vieille femme de Saxon rencontrée lorsque j’enquêtais pour mon film à eux consacré Les Chardons de la Colline*
. Étonnante persistance de la haine politique envers des hommes de coeur ! On dit que le jeune Quirin, dernier des frères Baillard, prêtre comme les deux autres, aurait été englouti par les brumes de l’histoire, du côté de Rosières-aux-Salines, mort sans abjuration, sans témoins et… sans sépulture !
On dit…

GL
A suivre...
*Les Chardons de la Colline dramatique 52’ FR3 1983 aut. G. Laporte réal E. Logereau
avec Bernadette Le Saché, Louis Arbessier, Claude Brosset , Jean-Claude Arnaud, Jacques Campain…

Texte publié en 2006 dans "Sion : une colline d'histoire"
ouvrage collectif dirigé par le professeur Philippe Martin
Editions Conseil Général de Meurthe-et-Moselle/Annales de l'Est/Université NancyII
Image : Sion au crépuscule 02 08 photo GL

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est certain que vivre dans les campagnes quand elles sont déstabilisées,offre une source d'histoires surprenantes.Des personnages insolites et fabuleux sortent de la nuit,de la brume et se mettent à peupler la campagne de bruits mystérieux...Que de poésie et de force dans votre façon de dire et de parler de votre région !

diplodocus continental a dit…

"Chèvre...Chouette chevèche...Chuintements "Tous ces petits bruits qui me terrifient,la nuit,toute seule dans la campagne glacée ,l'hiver...En plus,tous ces complots où les pouvoirs s'affrontent et qui vont tous dans le meme sens:punir,écraser,jeter dans l'oubli,ternir une image,fustigeant celui qui n'est pas rentré dans le rang et toute sa famille...