mardi 25 avril 2017

Présidentielle 1er tour




Une fois de plus, un président de la République sortant a fait comme s’il ne comprenait rien à l’état actuel de la France.

Pourtant, la simple lecture d’une carte des résultats électoraux du premier tour de l’élection que nous venons de vivre suffit à découvrir aujourd’hui la silhouette écartelée de notre pays : face à une France de l’Ouest « en marche », une France de l’Est « en colère ».

Comme, il n’y a pas si longtemps encore, un Paris-Auteuil-Neuilly bourgeo-aristocratique cher à Thiers, confronté au Paris-Bastille-Batignolles prolétaire cher aux Fédérés de la Commune.

Il n’est pas nécessaire d’être sorti de la botte de l’ENA pour se rendre compte que la France en rose (ouest) n’est autre que celle de l’aménagement du territoire, tandis que celle en bleu (est) est celle du déménagement du territoire.

Voici deux exemples éloquents : avec l’accord du pouvoir central, Nantes soigne à Notre-Dame-des-Landes son projet d’aéroport international gigantesque dont les pistes plongent dans l’Atlantique, et la SNCF met en service son nouveau TGV Paris-Bordeaux destiné aux vacanciers parisiens en partance pour la côte d’Aquitaine… tandis que, aux portes de l’Europe, Metz et Nancy doivent se contenter d’un aérodrome régional a dimension lilliputienne, et que la SNCF ferme la ligne de chemin de fer qui desservait Mirecourt, capitale de la lutherie, et deux stations thermales de renommée mondiale : Vittel et Contrexéville.

Cherchez l’erreur !

De tels exemples prouvent, si besoin était, que le choix institutionnel est évident.

D’un côté, une façade maritime riche de son littoral, de ses côtes à plages, ports de plaisance, casinos, et de son tourisme parisien enraciné tant à Deauville, qu’à Belle-Île-en-Mer, Royan ou Arcachon… de l’autre des régions frontalières austères rabotées par toutes les guerres, disputées par l’Histoire, semées de ruines, de cimetières militaires et de friches industrielles.

D’un côté, une « élite » conquérante et dominatrice qui a fait de la politique son métier et/ou sa rente (Juppé, Chirac, Hollande, Raffarin, Ayrault, Le Drian, Sarkozy, Balkany…), conteurs d’étranges fables, au regard sans cesse tourné vers un ouest lointain dont Washington est la capitale…  de l’autre des citoyens silencieux et résistants aux occupations, ouverts sur l’Europe des peuples qu’ils fréquentent depuis la nuit des temps, dont ils partagent les valeurs économiques et sociales, culturelles et spirituelles.

D’un côté, de prétendus républicains attachés à leurs privilèges, disposés à collaborer avec l’Union européenne à condition qu’elle soit française, atlantiste et inféodée aux Etats-Unis via la nouvelle autorité de l’Allemagne… de l’autre des populations attachées à la Croix de Lorraine chère au général de Gaulle, des citoyens ordinaires qui, sur décision du Premier Consul Bonaparte impressionné par leur courage et leur conscience civique, ont donné à la belle place royale de Paris le nom de leur pays « Place des Vosges », et à l’Europe son père : Robert Schuman.

D’un côté les dominants, de l’autre les soumis.

Et que dire de la couverture de la France d’Est par les « hauts fonctionnaires » ?

Quel énarque sorti en haut rang de sa couveuse artificielle préférera la sous-préfecture de Sarreguemines à celle de Biarritz, celle de Sedan à celle des Sables- d’Olonne, la préfecture de Belfort à celle de La Rochelle ? Les derniers de promotion -qui ne sont pas les moins ambitieux- n’ont pas le choix. Il leur reste les rebuts d’affectations, et arrivent dans ce grand orient de France avec la ferme intention d’y rester le moins longtemps possible, déterminés à l’excès de zèle paralysant, condition d’une éventuelle promotion, promesse de jours meilleurs sous un soleil plus chaud.

Et que dire de la couverture de cette France d’Est par les médias qui n’y promènent leurs plumes, micros et caméras que pour des crimes, des catastrophes subies ou annoncées, comme si le beau, le grand, l’authentique, le bien vivre ne se trouvaient que de l’autre côté ?    

Telles sont les deux essences d’une France contemporaine déchirée.

Tel est l’affrontement actuel exprimé par le vote de dimanche dernier, encore pacifique et citoyen, mais… pour combien de temps ?

Car… combien de temps encore les sacrifiés de l’Est supporteront-ils de s’entendre donner des leçons de fidélité à la République par des Présidents et leurs complices qui la trahissent au quotidien en n’accordant pas à tous les territoires la même attention, et à toutes les populations le même intérêt ?

Ce qu’ont exprimé les gens du Nord, de l’Est, du Sud-Est, de Dunkerque à Marseille, en passant par Epinal, Nevers et Valence, c’est une colère légitime, une révolte naissante provoquée par le développement des zones blanches, l’abandon grave des services publics, la nouvelle désertification rurale, les inégalités de traitement en matière de soins médicaux, les privilèges éducatifs urbains, la désindustrialisation violente, la détresse paysanne, le vide culturel que ne compensent pas les ostentatoires centre Pompidou de Metz ou du Louvre Lens. Ce qu’ils dénoncent, c’est le mépris affiché par les dirigeants de droite (où est-elle ?) comme de gauche (existe-t-elle encore ?) qu’ils ressentent chaque jour davantage comme une insulte. Ajouter à ce ressenti l’invitation présidentielle à « voter républicain » dans quelques jours, c’est ajouter à ce mépris ressenti et à ces insultes une dose d’insupportable manipulation en direction de ceux que ces « élites » prennent pour de dociles imbéciles.

Nos professionnels de la politique, résidents des palais nationaux, assistés du Trésor public qui les loge, les chauffe, les nourrit, les promène (parfois les habille, les coiffe et leur cire les chaussures) doivent savoir que les gens du Nord, de l’Est, du Sud-Est qui n’ont pas voté pour eux et leurs représentants appointés ne sont pas des fachos, des anti-républicains, des anti-européens, des empêcheurs de « vivre ensemble ». Ceux qui ont recueilli leurs suffrages doivent savoir, eux-aussi, que ces électeurs ne sont pas exclusivement des leurs, qu’ils ne se réjouissent pas des perspectives de repli sur soi et/ou d’affrontements idéologiques, d’exclusion de celles et ceux qui, venus d’ailleurs, paraissent différents alors qu’ils sont des femmes et des hommes en tous points semblables à eux-mêmes, qu’ils admettent la monnaie fédérale à condition qu’elle serve d’autres intérêts que ceux des spéculateurs. Souvenons-nous : le rejet a toujours fait le nid du pire ! Et les outrances sont de partout, hélas ! Ces gens du Nord, de l’Est, du Sud-Est n’en veulent pas. A l’opposé de ce qu’imaginent les déçus ou les réjouis du premier tour : ces gens sont des citoyens qui enragent de voir la République assassinée par ceux qui prétendent la représenter, qui assènent des leçons indignées en son nom.

Tous ces comédiens de la scène politique devraient se souvenir aujourd’hui que cette grande fracture de notre pays est leur résultat de plusieurs décennies de gouvernance clientéliste, communautariste, de classe, de préférence régionale et de déficience économique et sociale, de mépris de la justice, de sabotage de l’école, de soumission à des groupes de pression trop souvent peu honorables, de manipulation imprudente de la notion de laïcité, d’ignorance de la fraternité.

N’étaient les enclaves de la nouvelle banlieue parisienne que sont la région lyonnaise et les Alpes de Megève, c’est presque toute la France située au nord et à l’est d’une ligne reliant Rouen à Perpignan qui n’en peut plus d’être reconnue comme existante seulement en période électorale, qui n’en peut plus d’être ignorée bien que payante, qui exprime sa colère dignement encore, en parfait respect des valeurs de notre République, et en toute responsabilité citoyenne.



Dans ces régions sacrifiées, on veut pouvoir aller à Vittel autrement qu’à pied ou à cheval, communiquer du Mont Aigoual au Ventoux autrement que par des signaux de fumée, se rendre chez le médecin autrement que virtuellement par le truchement de l’ordinateur, à l’école sans traîner des heures durant, chaque jour, dans des autocars improbables, chez l’opticien sans redouter le montant de la facture, à la poste, chez le boulanger, à la gare, à la mairie, au musée, au cinéma et au théâtre, à l’usine, à l’atelier, au bureau… en toute liberté et en sécurité. Les richesses produites par leurs travailleurs le permettraient si elles n’étaient pas prélevées à la source par des actionnaires toujours plus avides, ponctionnées dès leur naissance par des fonds de pension et d’investissement étrangers qui en sucent tout le sang avant d’en jeter le cadavre, ou produites par des paysans que des intermédiaires spéculateurs poussent au suicide.

Qui, aujourd’hui, peut me dire ce qu’il adviendra de Baccarat ou d’Alsthom dans les cinq années à venir, ce qu’il adviendra surtout de leurs ouvrières et ouvriers, ce qu’il adviendra demain de nos éleveurs, maraîchers, céréaliers, de nos artisans, de nos créateurs, de nos artistes… qui ?

Durant les jours cruciaux à venir, les orateurs officiels ou officieux, professionnels politiques de tous les horizons, « politologues »,  « experts » de toutes les sciences prédictives ou… addictives, auront beau changer de mots, de ton et de regard, ils ne pourront pas arracher de notre livre d’histoire contemporain les pages qui témoignent de leur responsabilité dans la situation dramatique que connaît désormais notre pays.

Ils ont, eux-mêmes, tendu le piège qui les emprisonne aujourd’hui et nous condamne à jouer la tragique comédie d’un choix électoral impossible.

Trouverons-nous, ensemble, sans eux, les clés pour en sortir ?

Il suffit de regarder la carte des résultats…
Salut et Fraternité.


 Lecture de la carte du ministère de l'Intérieur : 
rose Macron - bleu foncé Le Pen - bleu clair Fillon - ocre Mélanchon 

11 commentaires:

JIPE a dit…

Excellente analyse, mon cher Gilles, nous sommes mal barrés
Je t'embrasse JPI

Gilles LAPORTE a dit…

Merci, mon cher J-P. Mais... on s'en sortira ! Je t'embrasse.

Antoine Fetet a dit…

Analyse intéressante mais un peu à l'emporte-pièce...
Qui oserait prétendre que la Creuse fait partie de l'Ouest privilégié, et que la Côte d'Azur est devenue un désert sous-aménagé ?
Pour autant, le sentiment de relégation et d'abandon du grand Est et du Nord me semble incontestable.
Amitiés
Antoine

Christian WEISS a dit…

SANS NOUS
Ségolène Royal appelle les électeurs de Mélenchon à voter pour Macron. Valls va conduire les élections législatives pour le PS et compte peser dans le gouvernement Macron, "le candidat socialiste" selon lui. Ils ne manquent pas d'air, ils sont tellement suffisants qu'ils pensent que tout s'efface d'un jour à l'autre. Ils nous jouent la scène du vote "utile", du vote 'contre" alors qu'ils ont contribué très activement et largement à la construction de ce scénario du deuxième tour. Il ne faut pas oublier que pour ces membres de la caste politique hégémonique, tout cela est un jeu de pouvoirs de d'influence et ils comptent continuer encore de nombreuses années. Mais leurs pions sont pipés, les scénarios sont des reprises et nous ne sommes plus un public maléable après 10 ans de désillusions et de discours d'appel à l'austérité, d'installation d'une précarité et d'une insécurité sociale. Nous aussi, on peut dire "après nous le chaos" ! La France Insoumise porte bien son nom : insoumise ! Et qu'on ne vienne pas nous faire la leçon d'obéissance et de discipline, de vertu et de morale car en quelques semaines de campagne , nous avons eu devant les yeux et les oreilles des exemples de vertu, de morale, de discipline, d'obéissance, de cohérence : de beaux exemples de la part de cette caste des dirigeants ! Alors aujourd'hui, remballez vos discours moralisateurs, nous n'avons besoin de consignes de personne, assumez ce que vous avez crée, débrouillez-vous avec vos jeux de dupes, vos mensonges et revirements, vos promesses obsolètes, vos stratégies foireuses,la France que vous nous IMPOSEZ n'est pas la nôtre. Nous, c'est celle des Lumières, du partage, de la solidarité, du respect humain, des biens communs, de la justice pour tous (il y en a qui sont "au-dessus des lois, pas vrai ?), de ...de...Alors débrouillez-vous, vous les avez votés, choisis, assumez...sans nous ! Quand on crée l'hydre, elle finit par vous étouffer !

Rassemblement des Citoyens Résistants d'Hier et d'Aujourd'hui du 19 au 21 mai 2017
en Haute Savoie à THONON-Glières

ber, vosgien exilé en haute savoie apres 15 ans passés à Toulouse a dit…

ca pourrait etre interrssant, mais dès le debut ... l'opposition Est/Ouest ne tient pas sur le sujet du TGV ... Ben oui, le TGV EST, le THALYS, le TGV Mediterrannée ont été mis en place bien avant la future ligne TGV SudOuest ... Le GERS, l'Ariege , la Creuse sont egalement des territoires abandonnés... L'Alsace , La Cote d'Azur, La vallée du Rhone, La Provence , la Champagne même la region lilloise sont très dynamiques et agreables à vivre ... Quant aux Vosges : desservies par une autoroute, deux voies rapides, le TGV, une montagne très dynamique, elle a carrement plus d'atouts que le Gers .... Et pourtant...
Donc désolé, mais poser un probleme de développement du territoire pour expliquer cette carte des resultats n'est pas credible.

Unknown a dit…

France profonde? France enterrée plutôt...
Dans mon petit bled de Domremy la Pucelle, pourtant connu dans le monde entier, on n'a ni train, ni bus, ni commerces, ni réseau de gaz, ni de tout à l'égout... Et pourtant nous sommes imposés comme les autres citoyens.
Alors je comprend le sentiment d'abandon, et par là même de révolte.
Merci Gilles de cette analyse.
Robert

Gilles LAPORTE a dit…

Merci Christian. Quant aux deux autres réactions : 1/On peut toujours contester le général en se référant à quelques exemples très particuliers. 2/Dois-je rappeler que le TGV Est n'existe que parce que les Lorrains ont décidé de se le payer (après avoir contribué à tous les autres)grâce à l'emprunt citoyen de Jean-Pierre Thomas ? Venez vous faire soigner dans les Vosges, communiquer par téléphonie mobile dans les Vosges, confier vos enfants à une école dans les Vosges, prendre les eaux à Vittel, Contrexéville, Bains-les-Bains ou Plombières, créer une entreprise dans les Vosges, partager la réflexion des paysans des Vosges... Allez rencontrer les horticulteurs de Provence, les éleveurs de la Drôme, les artisans et industriels de Saône-et-Loire, et vous comprendrez peut-être mieux le désarroi -la colère- de tous les ruraux de la région peinte en bleu sur la carte. Salut et Fraternité.

Gilles LAPORTE a dit…

Et merci Robert. Votre commentaire confirme la triste, parfois redoutable, réalité de vie dans nos campagnes. Cordialement.

Lioda Gobert a dit…

Effectivement, l'analyse n'est pas à l'emporte pièce, car en ce qui concerne certaines zones roses, il faut prendre en compte la même révolte exprimée à 2 ou 3% près par le vote Mélenchon.

Merci pour cette analyse.

Gilles LAPORTE a dit…

Merci Lioda. A bientôt. Très cordialement.

Anonyme a dit…

Bonjour. J'ai pris le train en retard, mais je vais me rattraper ! Oui les "Hauts de France" et le "Grand Est" sont défavorisés par les instances parisiennes. Ce n'est pas nouveau, c'est même historique. Les Lorrains notamment le savent ! Peut-être avons nous manqué de vedettes politiques ? Certaines allant même jusqu'à renier leur parole, par exemple pour enterrer le projet : gare de Vandières. De toutes façons l'adjonction de territoires à législation différente ne pouvait créer une cohérence.Il est bien connu que l'Alsace tient à son bien-être et j'approuve les Alsaciens. Ce n'est pas parce qu’ailleurs c'est la "chienlit" qu'ils doivent en supporter les conséquences ! Et l'on s’aperçoit que les "représentants Lorrains" au lieu d'affirmer l’existence Lorraine se contentent de bêler à l'unisson ! !
A part cela, comme toujours, ton analyse est pertinente et j'y adhère.
Je vous embrasse tous deux. J.C.