samedi 17 novembre 2012

RIMBAUD - Les assis


Les assis

Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée
Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S’écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

- Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage…
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves,
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l’oeil du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue :
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l’oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales
Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever.

Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières,
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisière
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;


Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s’agace à des barbes d’épis.

Arthur Rimbaud - Poésies

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce poème de RIMBAUD est le cri d'une révolte sur la sénescence des corps..ces vieux sur des vieilles chaises, avachis sur la paille...
C'est aussi sa période de haine et de colère.
Ce poème est une diatribe contre les êtres racornis, contre le fait de vieillir , pour lui tout vieilli, le corps et l'esprit.
Il ne mâche pas ses mots , les loupes ( excroissances sous la peau)
sinciput ( crâne déformé)
hargnosité (hargneux , mauvais vieux
percaliser ( leur peau est diaphane)
tors ( tordus, difformes)
jusqu'aux calices qui ici sont des récipients des bassins à urine...
bref il emploie beaucoup de néologismes de manière volontaire
pour marquer sa révolte , pour imager son propos.
Cela rappelle " les vieillards" de BEAUDELAIRE
je ne connaissais pas ce poème, et j'ai cherché à la suite de la lecture , tout le sens que celui-ci avait.
merci Gille de m'avoir fait découvrir une facette de cet IMMENSE poète.
KatyL

Anonyme a dit…

merci Gilles j'en oublie ton" s"
et voilà comment je suis troublée par la poésie
katy