L’horizon qui cerne cette plaine, c’est celui qui cerne toute vie ;
Je retire mon gant, laisse courir mes doigts sur la pierre, dans le creux de ces lettres gravées qui, après l’admiration du Saintois, invitent à l’exploration du soi. Et je lis, encore et encore, avec le tailleur de pierre d’autrefois : L’horizon qui cerne cette plaine… Je ferme les yeux. J’inspire profondément. Les airs sont immobiles. En bas, c’est le chien qui a pris maintenant la relève du coq, un chien à grosse voix éraillée, comme d’un vieux fumeur pilier de bistrot ; il aboie sans conviction, pour s’entendre seulement, pour se prouver par l’énervement des vaches qu’il provoque, dont on perçoit les cliquetis de licol, qu’il est toujours de ce monde. Et les ordres du maître qui pose des seaux vides sur un pavé sonore. Traces de vie éternellement simple au cœur du silence d’un lieu en étrange apesanteur …en même temps qu’il nous rappelle nos limites ! J’ouvre les yeux. Le ciel a pris des nuances d’acier. Je marche jusqu’au nez de la falaise, descend de quelques marches scabreuses les roches posées sur le Cul-de-Jatte, m’appuie à la paroi. Le spectacle est grandiose. Jamais il ne m’en est apparu de plus beau, ni en Grèce dans les perspectives infinies du Péloponnèse, ni dans la houle saharienne du sud tunisien, ni sur le large d’océan que fend pour l’éternité l’Île Belle à la Pointe des Poulains ! Jamais !
Juste à hauteur de regard, comme voulue là par un metteur en scène de génie, une fine lame de nuages coupe en deux le monde. Au-dessus, le jour. En dessous, la nuit. Au-dessus, la Lumière. En dessous, les ténèbres. Au-dessus, posés sur le rayonnement du matin comme un portrait découpé, les Vosges outremer, puis, surplombant le Mont Curel, les crêtes du Jura, verdâtres et argentées… puis, à main droite, flottant sur le Bois de Gugney, proches à toucher du doigt : les Alpes ! L’émotion me saisit. Je détourne le regard… me protéger de la lumière trop intense… reprendre pied et me garder du vertige… essuyer quelques larmes d’un revers de gant… le froid ! Alors, je vois, en dessous, comme un jeu d’enfant dans sa boîte, les taches jaunes des réverbères sur la neige, un faisceau de phares sur une route en pointillé derrière les croix noires du cimetière, quelques fenêtres éclairées sur des cours encore vides.
Le chien s’est remis à gueuler. Et le coq. Et le maître qui appelle la femme qui secoue ses enfants qui traînent et vont rater l’autobus pour l’école ! Une autre voiture sort d’un garage… une autre encore… un tracteur s’ébranle… la pétarade des moteurs monte vers ma crête de Lumière tandis que leurs ombres se tassent.
Un nouveau jour vient de naître !
Ce soir, peut-être… la fouine…
2 commentaires:
Où va donc se nicher la "philosophie" ? Elle est là partout: dans le mouvement ,dans l'absence de mouvement,dans les bruits ,si simples et si compliqués,puis les couleurs,nées de la distance,de la distanciation... On n'en peut plus tant il est beau cet "outremer",ce vert, ces jaunes sur la neige...La nuit,lejour...la lumière,les ténèbres,la lumière...Le dualisme de Manès...
A noter que l'homme est au centre de cet "impressionnisme" intérieur.Cela fait penser à Husserl et à la "Phénoménologie de l'Esprit".C'est le Moi qui analyse ce qui l'environne...sons,odeurs,couleurs,mouvements...monde de la perception et de l'expérience...Tout cela renforce le "Moi" idéaliste..Hegel, Jean- Paul Sarthe...
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