De l’époque où je ne la connaissais pas encore, j’ai gardé de la colline de Sion-Vaudémont l’image qu’en donnait aux enfants du catéchisme le curé de mon village. Un homme impotent d’une rare érudition, autrefois professeur de théologie qui, entre le récit de ses voyages en Terre Sainte (il en avait rapporté une très grande palme qu’il brandissait le dimanche des Rameaux) et un cours sur le style rococo, nous entretenait de ses rencontres à Rome avec le Saint-Père dont il avait l’oreille, et… des pèlerinages de septembre à Sion. Le gamin d’ouvriers de filature que j’étais alors, trop jeune pour aller à la mer en colonie de vacances, trop pauvre pour oser imaginer une quelconque évasion, confiné comme les autres de même condition entre Moselle et Bois de l’Âtre, buvait ses récits merveilleux d’escalade de la Colline entre les vergers dorés d’automne, imaginait la foule sous les tilleuls, les hymnes à la Vierge, les victuailles partagées sur la prairie, les salutations à la Dame couronnée de la tour, puis le retour de nuit en autocar. Je la voyais, cette Colline, élevée jusqu’au ciel, vaste comme une planète, peuplée de personnages fantastiques vêtus de brocard qui parlaient une langue mystérieuse. Avec les paysages de La Mancha parcourus par un Don Quichotte prix de lecture à l’école, elle était le lieu mythique de toutes mes libertés, celui de tous mes combats contre tous les moulins à vent de la terre !
Mes souvenirs d’enfance m’ont occupé l’esprit tout le temps de la marche Sur la Côte. La distance m’a paru bien courte jusqu’à la croix de Vaudémont, les congères modestes malgré la neige dans mes chaussures, le vent du Bois de la Conge -vent de France qui a toujours engourdi la Lorraine- presque doux ! Mes souvenirs d’enfance et… leurs écrits : Barrès toujours, le chanoine Martin*, le tiercelin Ange Trouillot**, le professeur Mangenot*** et quelques autres dont la lecture avait nourri ma curiosité d’adolescent. Leurs phrases me revenaient à chaque pas. Quant aux images d’André Jacquemin… En marchant, j’entendais sa voix. Il me parlait si souvent des autres amoureux de notre terre, ses amis peintres Ventrillon, Monchablon, Husson, Colin, l’admirable Victor Guillaume dont les cendres reposent sous le buis dans l’ombre de la petite église. Il me racontait ses hivers de morsure du cuivre par l’acide et de ses doigts par le gel, sur les flancs de la Colline dont il voulait coûte que coûte exprimer la majesté. Il est là, à mon côté, à deux pas de la Tour du Guet en ruines… sa voix, ses intonations de conteur, ses frasques d’enfant à Dombrot-sur-Vair -il précisait toujours « le Bouzey d’avant Révolution !»- chez son oncle « l’Ours », son trait dans le métal pour la célébration esthétique, et son amour de la vie ! André Jacquemin, le Maître toujours présent !
A suivre...
GL
*Notre-Dame de Sion en Lorraine éd. Librairie Letouzet et Ané Paris 1923
** Histoire de l’Image miraculeuse de Notre-Dame de Sion, en Lorraine, avec une pratique de dévotion éd. Charlot et Messin Nancy 1757
***Sion, son pèlerinage, son sanctuaire éd. Ancienne Imprimerie Vagner Nancy 1919
réf. publication voir billets antérieurs
image Sion, soir d'orage 29 07 08 photo GL
4 commentaires:
Je me suis surprise à attendre ce nouvel extrait avec impatience...embarquée toujours par votre écriture et une jolie découverte aujourd'hui: celle de André Jacquemin sur le site qui lui est dédié....merci Gilles.
J'oubliais : toujours de magnifiques photos...à quand une peinture de l'artiste ?
amicales pensées
Oui, André Jacquemin !
Quel bel artiste ! Et quel ami !
En ai-je passé des heures (trop courtes!)à son côté, à l'observer, à l'écouter, à m'imprégner de son amour du BEAU...
Il m'accompagne toujours...
avec vous, Rénica, vous dont j'aime la "fusion des encres et des pastels" !
Merci !
Amitié.
Gilles
Un vrai conteur, que de belles phrases!! Elles vont résonnées dans ma tête toute la soirée!!
Enregistrer un commentaire