mardi 16 avril 2019

Notre-Dame de Paris et le Veau d'or...



Hier, les fumées d’encens montaient dans le ciel de Paris, à la verticale de l’Île de la Cité.

Et la nef de Notre-Dame bruissait des pas de ses visiteurs et fidèles.

Aujourd’hui, 16 avril 2019, les fumées d’incendie occultent le ciel, et les cendres jonchent le sol de la même nef !

A la fin d’un jour, et durant une pleine nuit, un incendie a ruiné la cathédrale millénaire, cœur battant de l’histoire de notre pays, lieu d’élévation pour les croyants et visiteurs de l’intérieur, trait d’union entre ciel et terre, entre passé et présent, pour les passants et touristes de l’extérieur.

Des flammes ont tout dévoré, le chêne des charpentes, le plomb des toitures, les boiseries et ornements, les œuvres d’art offertes à notre méditation, confiées à notre garde par des siècles de dévotion, de générosité, d’amour du Beau et du sacré.

Puissent-elles avoir dévoré et détruit aussi les racines du mal humain qui les a allumées !

Mal humain…

Durant plus de huit siècles, Notre-Dame de Paris a traversé toutes les convulsions sociales et politiques de la France presque toujours concentrées sur son nombril : Paris.

Durant plus de huit siècles, les femmes et les hommes, croyants ou mécréants, aristocrates, bourgeois, ou humbles du peuple… ont respecté ce monument dont la verticalité et la célébration de la Lumière rappelaient sans cesse en cœur de ville à la société humaine son Essentiel.

Nos anciens du Moyen-âge ne l’ont jamais abandonnée au feu !

Ceux de la prétendue « Renaissance » ont su la protéger !

Ceux de la Révolution française ne l’ont pas offerte aux flammes, malgré les terrifiants effets de la colère populaire engendrée par les excès d’une monarchie devenue étrangère à son propre peuple.

Ceux de l’Empire lui ont redonné toute sa dignité et la protection contre les feux qui couvaient encore partout.

Ceux de la Commune -que des historiens chargent de l’incendie des Tuileries… un palais !- nous l’ont transmise telle qu’ils l’avaient reçue et que l’avait chantée Victor Hugo, radieuse et accueillante.

Les deux Guerres mondiales l’ont gardée de tous les désirs de ruine nourris par les sbires d’un empereur prussien délirant et d’un criminel caporal bavarois.

Pourtant aucun de tous ceux-là ne disposait des moyens techniques de prévention ou de lutte contre les incendies.

Durant près d’un millénaire, tous ont su, à l’aide de dérisoires vaches à eau de toile et pompes à bras, à mains nues, nous transmettre ce trésor architectural, ce lieu de révélation de la Lumière, ce temple de l’Esprit.

Et voilà que, au temps des ordinateurs et systèmes de surveillance automatiques, des caméras thermiques, des grandes échelles et lances de grosse artillerie, des protections individuelles et collectives des « soldats du feu » ultrasophistiquées, des drones de surveillance… Notre-Dame de Paris flambe !

Mal humain !

Que s’est-il donc passé pour en arriver là, en notre temps de « grande modernité » qui prétend être capable de tout maîtriser, les êtres, les phénomènes et les choses ?

Ne serait-ce pas que…

- la défiance affichée depuis trop longtemps par nos dirigeants de tout poil politique envers notre Histoire (au point de l’amputer dans nos programmes scolaires)

- le mépris affiché par nos « grands institutionnel » de l’apprentissage qui nous proposait de remarquables ouvriers charpentiers, couvreurs, maçons, ferronniers, tailleurs de pierres souvent issus du beau compagnonnage

- la promotion constante d’une réussite -seul objectif de vie- qui ne se gagne que par l’affrontement avec l’autre, concrétisée par l’exhibition de fortune dont le symbole serait la montre Rolex ou le 4X4 chromé

- la dépense publique de l’Etat chaque jour alourdie par le renforcement des armées administratives trop souvent séjours dorés de copains-coquins issus de la même école énarchique ou reconverti après échec politique

- la stratégie développée sans cesse par les tenants d’une économie de marché devenue folle… consommé-jeté

- la mode nouvelle -très parisienne- de l’aller vite pour posséder vite, au détriment du temps pris pour alimenter réflexion et mise en application du précepte socratique « Connais-toi toi-même » qui invite au respect

- l’encadrement de la pensée érigé en principe de gouvernement, héritier d’un très vieux moyen à disposition du maître pour soumettre l’esclave : « qui ne pense pas comme moi est contre moi ! »

- l’orientation des regards obligée par les manipulateurs de toute forme de « communication » vers tout ce qui brille, organisateurs d’une nouvelle -plus terrifiante à cause des moyens mis en œuvre !- ruée vers l’or

- la disparition des vraies démarches d’information et d’invitation au partage des connaissances au profit de tous les conditionnements par voie de papier imprimé ou d’ondes, par les « experts » autoproclamés omniprésents

Ne serait-ce pas que tout cela -bien autre chose encore dont se nourrit l’ambition, le désir de pouvoir, le besoin de dominer, l’envie de posséder et le plaisir de paraître- nous a détournés de nous-mêmes et, par voie de conséquence, de notre devoir envers le monde et sa réalité profonde, envers les autres, tous les autres, d’hier, d’aujourd’hui, de demain ?

Mal humain !

Ne serait-ce pas tout cela -et le reste- qui nous a rendus aveugles à la beauté de Notre-Dame de Paris au point de la laisser se dégrader trop longtemps jusqu’à… l’irréparable, qui nous rend sourd aux appels de quelques veilleurs rendus inquiets par l’état d’abandon d’autres grands témoins de notre passé ?

Ne serait-ce pas tout cela qui nous pousserait à accepter les décisions politico-administratives de soutien aux activistes d’un néo-libéralisme, adorateurs du veau d’or, adeptes de la loi de la jungle, plus prompts à ouvrir des prisons que des écoles, des banques que des maisons de la culture ?

Tous les bonimenteurs de foire appellent aujourd’hui à leur secours Victor Hugo qui avait su faire de Notre-Dame de Paris le lieu de toute vie spirituelle et citoyenne, mais oublient de le citer quand il nous indique la direction à prendre pour aller vers un monde plus digne :

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.

Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne,

Ne sont jamais allés à l’école une fois,

Et ne savent pas lire, et signent d’une croix !

lui qui, en son temps, répétait à qui voulait bien l’entendre -nous répète toujours… sachons l’entendre- : ouvrez donc une école, et vous fermerez une prison !

La dignité humaine qui obsédait Hugo est celle dont la disparition entraîne les pires tourments.

Près de quarante générations de femmes et d’hommes auront su bâtir, entretenir, protéger, embellir avec passion et nous transmettre par amour, vivre et mourir pour elle, la merveille de chêne et de pierre que le feu vient de dévorer !

Nous sommes la génération qui l’a perdue.

Pas de quoi être fiers !

J’ai honte, honte, honte !

Après cette catastrophe du 15 avril 2019, premier jour de la Semaine sainte, et la ruine de Notre-Dame de Paris, continuerons-nous à accepter de croire qu’il suffit d’organiser un jeu d’argent, un loto, pour faire croire au peuple que la puissance publique -nous !- s’occupe du patrimoine et gère correctement les trésors de matière et d’esprit légués par nos anciens ?

Si oui… à qui le tour ?
Nous avons tous, aujourd'hui, par notre choix de société, à répondre de cet incendie. Sachons en retenir le terrible avertissement.
Et... que la Lumière soit !
Salut et Fraternité.

                                              Photos : WSWS.org (int.) et L'Express/Reuters/Philippe Wajazer (ext.)