Il nous écrit d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...
Un temps de moindre agitation présidentielle, d'"humanités enseignées" dans les écoles, de vrais artistes dans les palais nationaux, de justice soucieuse de présomption d'innocence...
Un temps sans bouclier fiscal, de plus grand respect de l'autre, toutes conditions confondues, de l'autre et... de la vie sous toutes ses formes, y compris... végétale !
Mais, en ce temps-là, le Président était... poète !
Lettre du Président Georges Pompidou
au Premier Ministre (M. Chaban-Delmas)
17 juillet 1970
Mon cher Premier Ministre,
J'ai eu par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement -Direction des Routes et de la Circulation Routière- dont je vous fais parvenir photocopie.
Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence.
Elle appelle de ma part deux réflexions : la première, c'est qu'alors que le Conseil des Ministres est parfois saisi de questions mineures telles que l'augmentation d'une indemnité versée à quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d'un Ministère en dehors de tout contrôle gouvernemental ; la seconde, c'est que, bien que j'aie plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder "partout" les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C'est que là il y a des Administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas.
La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. D'ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de l'éducation des conducteurs, de l'instauration des règles simples et adaptées à la configuration de la route, alors que complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d'alcoolémie, et je regrette à cet égard que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.
La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes -et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes- est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain.
Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées, et de donner des instructions précises au Ministre de l'Equipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d'esthétique, problèmes financiers que posent l'entretien des arbres et l'abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner satisfaction d'apparence.
La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !
Cette lettre "d'Outre-tombe" a été lue, ce dimanche matin, 31 janvier, sur France Inter, par Alain Baraton, le jardinier de Versailles, en compagnie du journaliste exemplaire Stéphane Paoli. Merci à eux de nous l'avoir rappelée, en ces temps d'amputation de la mémoire ! On peut, bien sûr, (on devrait...) la faire circuler le plus largement possible !
Salut, Président, et... Fraternité !
Images Arbres en Lorraine photos copyright GL
7 commentaires:
Voilà un homme qui savait écrire.
Evidemment, nous n'attendons pas, nous n'imaginons même pas, que cette lettre puisse être écrite aujourd'hui, de surcroît par le locataire actuel, qui n'en est pas à une faute de syntase,une faute de Français près.
Elle aurait pu être écrite par François Mitterrand également.
C'est un temps révolu, j'avais juste 20 ans !
Comme vous avez bien fait de rappeler cette lettre d'un président qui ne parlait pas pour ne rien dire.
J'ai fait durant ma vie active presque deux millions cinq-cent mille kilomètres. Dans des circonstances souvent difficiles ; notamment en Libye, en Egypte, ou en montagne l'hiver avec beaucoup plus de neige que de nos jours. Je peux certifier que je n'ai jamais vu un arbre venir au devant d'une voiture.
J'ajoute que par brouillard épais, j'étais bien content d'avoir des arbres délimitant la chaussée.
"La responsabilité ne se partage pas" disait Kipling, que les automobilistes s'en persuadent, car leur sécurité et celle des autres, c'est d'abord leur affaire et non celle des arbres ! Amitiés à tous deux. J.C.
je viens de découvrir un bien "joli" mot pour décharger les conducteurs de véhicules de leur responsabilié:
des routes sont "accidentogènes" et pourquoi pas des arbres accidentogènes?? "ces pelés, ces galeux d'où viendrait tout le mal"
effectivement le discours est différent...
mais reconnaissons aussi que beaucoup d'autres choses ont changé depuis...
Le président de la République actuel n'a certes rien à voir avec celui-ci...mais tellement d'autres éléments ne sont plus les mêmes...
je pourrais m'amuser à en faire la liste mais elle serait bien trop longue...
Pour savoir écrire, encore faut-il avoir voulu l'apprendre, chère Joelle ! La langue se respecte, comme le reste ! Eux la respectaient, comme ils respectaient leurs compatriotes.
Terribles, vicieux ces arbres qui se jettent sur les voitures, cher Jean ! Il faut les raser, tous ! Les bons paieront pour les mauvais, comme les contribuables !
Accidentogène,l'arbre ! Oui... rions ensemble, chère Micheline, avant d'avoir à en pleurer ! Et nos élus, parfois... incidentogènes ?
Oui, tout change, cher Vuparmwa, sauf les valeurs de référence qui, elles, depuis la nuit des temps, sont immuables. Il ne faudrait pas prendre la proie pour l'ombre, et croire ceux qui tentent de nous persuader que... Disneyland, c'est comme... le Louvre !
Amitiés à toutes et tous.
Gilles
A Nice, avec la venue du tramway, tous les arbres ont été abattus de la Place Masséna, en remontant l'avenue Jean Médecin, Malausséna et Borriglione. Quelques kms. Ne vous faites pas de soucis, ont dit les maires.
Longues avenues minérales, froides, où poussent des petits arbres qui ne peuvent abriter les oiseaux dont les chants sont Vie, dont la présence est Vie.
Sur la place piétonne Masséna, il n'y a pas un arbre, venez-vous y asseoir un jour d'août, sans ombre d'une branche feuillue.
Plus d'arbre, plus d'oiseau, et la vie s'en va.
Il est certain que le président actuel à d'autres chats à fouetter que de perdre du temps à manier la langue française sous un arbre comme le sous-préfet aux champs.
Bonjour Monsieur,
je viens de "copier" et publier cette lettre sur mon blog.
Je vous remercie donc de cette publication...
Cordialement, A.L.
http://leliepvre-alain.blogspot.fr/2018/04/lettre-du-president-georges-pompidou-au.html
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