« Paysage à la Hazemann ! »
Spontanément, je pense à lui, Alain Hazemann, beau peintre connu dès l’enfance, complice de collège, ami fidèle qui a décidé de consacrer tout son talent et d’offrir tout son amour à ce cœur de notre Lorraine, la Colline ! Il a repris le pinceau que la mort a fait tomber des mains d’anciens maîtres, peint à l’aquarelle ou à l’encre, et dessine au pastel toutes les âmes de ce lieu aux quatre saisons. Je l’ai vu, en petite tenue à l’aplomb de Forcelles, transpirant le soleil d’août sous son grand chapeau, frotter le jaune acide des colzas sur le papier… je l’ai vu dans les hauteurs de l’Alouène, emmitouflé comme un explorateur de Grand Nord, cramponné à son chevalet chargé d’automne que la bise s’acharnait à lui arracher… je l’ai vu sous la pluie battante charmé par l’effervescence laiteuse des mirabelliers en fleurs ou dans la neige, seul ou au côté de son superbe compère « Pyl »*. Le musée qu’il a suggéré d’ouvrir là-haut rassemble déjà, et rassemblera chaque jour davantage, les meilleurs témoignages -et les plus élevés- de la grandeur de ce site. Grâce à lui, et au soutien du Département, notre mémoire vivra !
Seul ! Je suis seul comme un fou d’échecs sur l’étrange damier tracé par l’ombre des pattes de bancs sur la neige devant l’auditorium vide. L’esplanade est déserte. Sans doute la neige et le froid ont-il eu raison de l’ardeur des fidèles ! Le tympan du portail semble une pièce d’or dans l’ombre de la tour monumentale que je m’efforce toujours de trouver gracieuse, sans y parvenir ! Pièce d’or dont l’avers porte une Vierge assise en majesté devenue trône pour son Fils. Notre duc Charles IV, le paria des Français, fondateur du couvent des Tiercelins comme de l’admirable chartreuse de Bosserville, y paraît en humble serviteur offrant sa couronne ducale au Roi des rois. Je salue, en passant, ce prince courageux que l’histoire écrite par les vainqueurs salit toujours, pénètre dans l’obscurité ambrée de la nef. Une douce chaleur me gagne d’emblée, maternelle, onctueuse, délicieusement parfumée à l’encens de Palestine. Droit devant, les six travées de la nef et, au fond, l’abside pentagonale qu’éclaire la présence de la Vierge à la colombe couronnée de son diadème de vermeil. C’est Elle qui, depuis 1669, sur décision de Charles IV, veille sur notre Maison ducale et sur tous les sujets de Lorraine. Combien sont-ils à s’être agenouillés devant Elle, à l’avoir priée, implorée, suppliée comme, dans un lointain hier, les assiégés de La Mothe priaient, imploraient et suppliaient la Dame-du-Cloître qui veille désormais dans la petite église d’Outremécourt ? Combien ? Sont-ils venus Lui offrir leurs larmes, celles et ceux qui posèrent au-dessus de l’autel latéral gauche la croix de Lorraine brisée, symbole du partage du pays après la honteuse guerre de 1870, et La supplier de leur donner malgré tout des raisons d’espérer ? Je remonte la nef latérale, vers l’émouvant oratoire… une plaque de marbre noir, pour le deuil… une couronne blanche d’immortelles, pour la pérennité de notre culture… la croix brisée, coupée en deux par l’inconséquence française et la furie prussienne… et ce cri jailli des poitrines, en patois de notre terre « Ce name po tojo !** ». Il en aura fallu des souffrances, des larmes, et du sang répandu sur notre sol martyre de Verdun et d’ailleurs, pour qu’un ruban tricolore -que j’aurais préféré d’or et de gueules***-, couvert d’une palmette d’or offerte par les dames de Vézelise, rassemble les morceaux après l’indescriptible victoire de 1918 ! Avec ces mots de soulagement, toujours en patois de notre terre « Ce nato me po tojo !****» Autel de la Victoire, nous dit-on, élevé après les furies meurtrières de Gravelotte et du Chemin des Dames pour célébrer la réunion de nos peuples… mémorial de la paix… adossé à une muraille à la porte maudite !
** Ce n’est pas pour toujours !
*** Métaux du blason de la Lorraine
****Ce n’était pas pour toujours !
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