lundi 1 septembre 2008

Les Anneaux de la Fiancée - 3 - TERRE (suite)

C’est dans la bulle glacée de Saalbach-Hinterglemm que je t’ai aperçue pour la première fois. Dans la bulle verte pendue à son fil d’acier, en lente ascension vers la piste noire des sommets noyés dans les brumes.
En bas clignotaient les fermes du pays de Salzbourg blotties autour de saint Etienne à croix de Lorraine, luisaient les toits couverts de neige entre les rues à manèges. En bas, les odeurs de vin chaud, de saucisses au feu, les cavalcades de calèches couvertes de fourrures tirées par des frisons frisés empruntées par des élégantes à manches ballon et caracos brodés posés sur des jupes fleuries.
En haut, ciel, montagne et nuées sombres étirées par le vent d’altitude. En bas, la ville, les touristes en fuseau fluo, les paysans en culotte de cuir, les chapeaux verts ornés d’une plume de geai. À mi-pente, la bulle verte pendue à son fil d’acier suspendu au sommet noyé dans les brumes d’altitude, mon regard dans la bulle, et toi, pendue au fil de ton portable qui sonne, sonne encore, sonne toujours. Depuis la gare du téléphérique, il n’a pas cessé de jouer la partition électronique de la Lettre à Élise*. Pour rien. Pour moi peut-être. Pour moi sûrement. Tu es si belle ! Trois fois déjà tu l’as tiré de ta poche, ton portable, tu as tapoté ses touches, tendu l’oreille vers sa sonnerie, claqué son volet bleu. Trois fois, tu l’as fourré nerveusement dans ta poche. Trois fois. Sans me voir. Moi qui ne voyais plus que toi.
En bas, les rues s’égarent dans des masses de neige et les flots d’une foule excitée par les vapeurs de vin chaud à la cannelle et le parfum suave du crottin. En haut, la brume s’entrouvre sur des espaces aveuglants. À mi-pente, là où tu es, je suis. Dans la bulle verte pendue à son filin d’acier. Avec les autres sans couleur, sans regard et sans voix**, des silhouettes, rien que des silhouettes, à peine des silhouettes, des ombres d’ombres révélées par ta seule lumière, ces autres ballottés dans la bulle verte comme un pendule à son fil d’acier. Bras noués sur les skis, je suis des yeux tes yeux, tes gestes, tes mimiques, tes soupirs agacés par la mélodie électronique de la Lettre à Elise. Où que tu ailles… quoi que tu fasses… je te suis désormais, toi la Petite Marie du grand Germain*** de mes années collège ! Je te suis comme je suivrais le diable à sa mare mystérieuse.
* Pièce pour piano de Ludwig van Beethoven.
** Victor Hugo Ce siècle avait deux ans…
***
George Sand La Mare au diable

(...) Nous avons sauté sur les galets, tiré les machines, escaladé la falaise, lâché les machines au pied du phare, ouvert les bras sur le ciel, la mer et leurs oiseaux blancs. Il était grand temps ! Déjà les eaux grondaient, plus bas, dans la passe aux galets sur nos traces humides. Déjà l’île voguait au large, sans voiles ni attaches, ni autres passagers que nous deux. Nous étions seuls, le temps d’une marée. Absolument seuls !
Puis tu as sorti tes couleurs et la toile. Puis le soleil nous est tombé droit sur la tête. Alors, j’ai vu tes doigts bleus, jaunes, verts fouiller dans les sacs ventrus, sortir le pain, le vin, le fromage, les crevettes de l’île et les fruits de partout. Et les galettes du continent. Dans mon creux de pelouse d’où je comptais les plongeons de cormorans, sans perdre du regard le phare naissant de ta toile, j’ai su qu’il faisait faim. Je me suis approché, t’ai volé un baiser, puis deux, puis trois, ai mordu le pain blanc de ton cou salé que j’ai léché jusqu’à plus sel. La mer papotait sous nos pieds. Dans l’ombre de midi et les vapeurs d’océan s’estompaient les créneaux de sainte Sarah tout proches. Les mouettes rieuses tournaient autour de notre festin. Tu leur fis des signes, lança des boulettes de pain qu’elles gobèrent en plein vol. Puis, à plat dos sur la pelouse rose d'arméries, rassasiée, tu as offert aux nuages en lente croisière vers la terre le plaisir de te prendre.
J’ai eu envie de toi. Comme toujours.
Agenouillé dans l’herbe rase de la lande, comme un nuage doux, j’ai posé un baiser de ciel sur tes lèvres fraîches. Puis un autre. Un autre encore.
Les mouettes rieuses jouaient dans le vent. Les pipit maritimes s’étonnaient de notre présence. Au loin, ronronnait la houle infinie...
Ce roman Les Anneaux de la Fiancée - 3 - TERRE sera en librairie à partir du 15 septembre.



2 commentaires:

Rénica a dit…

je vais commencer par celui-ci. J'attends ma livraison "fnac" avec impatience...
à bientôt

Gilles LAPORTE a dit…

Merci, chère Rénica. J'attends vos impressions de lecture... avec impatience.
A bientôt.
Amitié.
Gilles