lundi 24 octobre 2016
Frédéric, le roman de Chopin
Frédéric,
le roman de Chopin
par Christophe de
Jerphanion (Joyeux
Drille)
Frédéric Chopin, né en 1810, mort en 1849, c'est le
thème de notre roman du soir.
Gilles Laporte, auteur de "Frédéric, le roman de Chopin",
chez MA Editions, retrace ce destin particulier, tragique et romantique, depuis
la fondation de sa famille, au début du XVIIIe siècle, en Lorraine, jusqu'à sa
mort prématurée, rongé par la tuberculose, en passant par Majorque et son fameux
séjour sur l'île, pas du tout idyllique, aux côtés de George Sand...
Une
lecture à faire en musique pour découvrir ou redécouvrir le destin d'un génie
fulgurant...
"Chapeau bas, Messieurs, un
génie !" (Robert Schumann).
Avouez que le compliment
n'est pas mince, surtout lorsqu'il émane d'un musicien aussi talentueux que
Robert Schumann... Celui qui reçoit un tel éloge est un autre pianiste, dont le
destin tragique est au coeur de notre livre du jour. Vous connaissez tous son
nom, certains morceaux qu'il a composé. Ses origines, sa vie, son peut-être
moins connues. Des biographies de Frédéric Chopin, c'est donc de lui dont il
s'agit, il en existe sans doute beaucoup. En voici une qui adopte le ton
romanesque pour retracer le parcours éclair de cet homme passionné, rongé par
la maladie, à la vie tourmenté, tant professionnellement que sentimentalement.
"Frédéric, le roman de Chopin", de Gilles Laporte (paru chez ESKA/MA
Editions), revient sur ce destin qui semble épouser parfaitement la définition
du romantisme. Et ceux qui connaissent l'auteur et son oeuvre ne seront pas
surpris, la Lorraine
et les femmes sont très présentes dans ce livre.. Le 1er mars 1810, à Zelazowa
Wola, en Mazovie, Fryderyk Franciszek Chopin. Nicolas, son père, Lorrain
d'origine, a quitté la France
en 1787 pour venir vivre en Pologne, où il gagné sa vie comme précepteur, et sa
mère, Justyna, qu'il a rencontrée lorsqu'il travaillait pour la famille Skarbek.
Il est leur deuxième enfant et leur seul garçon.
La famille s'installe à
Varsovie, Nicolas, devenu Mikolaj, enseigne le français, mais Frédéric, lui, se
sent Polonais, dans une période où le pays peine à exister, régulièrement
envahi par ses encombrants voisins, Autrichiens et Russes en alternance... Tout
en commençant sa carrière musicale, c'est donc un garçon concerné par le sort
de sa Nation que l'on découvre, qui s'engage pour la Pologne.
Et, en 1830, lorsqu'il
quitte son pays natal, tombé aux mains des Russes, il sait que c'est pour
longtemps, peut-être pour toujours... Malgré tout, il restera Polonais dans
l'âme, entretenant la flamme avec des amis d'enfance et des compatriotes eux
aussi en exil à Paris et qui l'accompagneront au long de son existence.
Mais, Chopin a beau être
considéré comme un virtuose hors norme, un génie, même, par nombre de ses
contemporains, il lui faut travailler énormément pour vivre décemment. Un
rythme de vie qui n'est pas favorable à sa santé fragile. Depuis longtemps,
Frédéric tousse, mais hors de question de parler de phtisie, non, ses problèmes
n'ont rien à voir...
Drôle de façon
d'exorciser le mal qui va le ronger lentement et finira par l'emporter, comme
il emporta sa jeune soeur, Emilie, en 1827... Suivre la vie de Chopin, c'est
aussi suivre l'évolution de cette maladie pernicieuse, en une époque où l'on
meurt encore souvent très jeune. La vie de Chopin sera marquée par ces morts
prématurées et par l'épée de Damoclès que représente la maladie...
La famille, la
nationalité, la musique, la santé... Il faut maintenant parler des femmes. On
pourrait s'imaginer le ténébreux Frédéric en séducteur invétéré, ce n'est pas
le cas. Il est timide, notre Frycek (son diminutif), mal remis de premiers
émois douloureux, lorsqu'il était encore en Pologne. Chat échaudé craint l'eau
froide, il est assez prudent, désormais, lorsqu'il s'agit de sentiments...
Et, lorsqu'on évoque le
compositeur, bien sûr, on l'associe à George Sand... Evidemment, ce fut la plus
longue relation de sa vie, passionnée, mouvementée, tumultueuse, douloureuse...
Mais surtout, très longue à naître. Car, si l'écrivaine a été rapidement
séduite par Chopin, elle a dû faire le forcing, pardonnez-moi cette expression,
pour le conquérir...
La liaison entre Chopin
et Sand est un des éléments centraux du roman de Gilles Laporte, on s'en doute,
mais ne vous attendez pas à une romance lisse et douce, c'est un vrai chemin
cahoteux que les deux amants ont suivi, pendant une décennie, malgré un
attachement sincère et réciproque. D'idylle, il n'y eut pas vraiment, en tout
cas, pas celle que peut véhiculer l'imaginaire collectif, romantique en
diable...
A l'image du fameux
séjour à Majorque, qui n'eut rien d'une sinécure, dans tous les sens du mot.
Que dire de ce voyage, censé apporter calme et sérénité aux deux artistes,
permettre à Chopin de composer et à Sand d'écrire, mais aussi de ménager la
santé du pianiste ? Ce fut un vrai cauchemar où rien ne se passa comme
espéré...
Là encore, il faut
oublier toute dimension romantique à ce séjour, tant l'île et ses habitants
vont se montrer hostiles. L'accumulation des soucis est ahurissante, j'en
sourirais presque rien que d'y repenser, alors que ça n'a rien de drôle. George
Sand va maintenir à flot sa maisonnée pourtant sévèrement secouée par les
événements et sa forte personnalité empêcha sans doute le pire.
Mais je dois dire que,
sur la durée, le portrait que fait Gilles Laporte de George Sand est assez
terrible ! Un vrai tyran domestique ! Son caractère, on l'imagine, était très
fort, anticonformiste, sans complexe, se moquant du regard des autres. A côté d'elle,
Frédéric Chopin, déjà très affaibli par la maladie et tourné entièrement vers
la musique, fait pâle figure.
Dans la dernière partie
de leur relation, c'est un personnage dur, insensible, intransigeant que l'on
découvre. Et pas seulement avec Chopin, mais avec tout le monde, y compris ses
proches, sa fille, en particulier. Mais, la rupture, inévitable, n'arrangera
rien et, dans les derniers mois de la vie du musicien, elle conservera cette
posture très brutale...
Mais Gilles Laporte est
un malin : décrire ainsi un personnage féminin, cela ne lui convient pas, mais
pas du tout ! Alors, il fait de l'auteur de "la Mare au diable", par
exemple, un personnage ambivalent, sorte de Janus littéraire : lorsqu'elle se
montre chaleureuse et aimante, elle est Aurore, lorsqu'elle devient impossible,
aigrie, méchante, presque, alors, c'est George qui parle...
Masculin-féminin,
l'ambiguïté dans laquelle la romancière a voulu s'établir joue à plein sous la
plume de Gilles Laporte. George Sand semble habitée par ces deux personnalités
diamétralement opposées qui s'affrontent en elle, en une époque où être femme
n'a rien de facile... Mais quelle dureté, pour finir, quelle inexplicable
posture !
Pour être honnête, George
Sand n'est pas la seule à en prendre pour son grade : Marie d'Agoult, l'épouse
de Franz Liszt, a elle aussi droit à un traitement de faveur... Jalouse,
aigrie, elle aussi, elle joue les commères avec perfidie dans sa correspondance
et n'épargne pas Chopin et Sand, pourtant parmi ses plus propres amis...
Pour autant, n'allez pas
croire qu'il y a le martyr Chopin et les horribles harpies. C'est plus délicat
que cela, évidemment. Mais, force est de reconnaître que sa vie amoureuse fut
difficile, pleine de revers et de déceptions, et qu'on ressent, finalement, une
grande solitude chez cet homme, qui ne réussira jamais à s'épanouir dans sa vie
sentimentale.
Les femmes sont toutefois
très présentes, dans le livre. J'ai un peu construit ce billet à l'envers,
comme un entonnoir renversé, mais je reviens donc à des éléments qui
apparaissent rapidement : Gilles Laporte a choisi de donner à ses chapitres le
nom de femmes marquantes dans l'existence de Frédéric Chopin.
Des parentes, à commencer
par sa mère mais aussi sa soeur Ludwika, la seule présente au début et à la
toute fin de l'existence de Chopin, des proches, des amies, des amoureuses,
qu'il ait pu nouer ou non de liaison avec elles... Toutes ont été présente au
fil de la courte existence du musicien, mort à 39 ans seulement, emporté par
cette impitoyable tuberculose...
N'imaginez pas pour
autant Chopin vivant entouré de femmes et seulement de femmes, il a aussi ses
amis proches, dont Eugène Delacroix et ses amis de jeunesse, originaires comme
lui de Pologne. La maladie affaiblira aussi sa vie sociale, mais le Chopin qui
débarque à Paris juste après les Trois Glorieuses, cette révolution de 1830 qui
met fin au règne de Charles X, est un joyeux luron.
L'image, là encore,
j'insiste, très romantique, du musicien souffreteux et dévoré par le mal,
pressé de composer avant l'inéluctable et fatale échéance, a quelque chose de
vrai, mais elle occulte une personnalité qui aurait certainement été bien
différente s'il avait été en bonne santé sur une plus longue période.
Je continue ma
progression à rebours sur le livre de Gilles Laporte. Avec la dimension
lorraine. Gilles Laporte est Lorrain, Vosgien et fier de l'être. Et, outre,
j'imagine, une admiration pour le musicien et le compositeur que fut Chopin,
c'est pour une autre raison qu'il s'est attelé à raconter la vie du pianiste :
parce que ses racines sont en Lorraine.
"Frédéric, le roman
de Chopin" ne commence pas à la naissance du musicien, ou juste un peu
avant. Non, le livre débute en... 1705, plus d'un siècle avant ! Gilles Laporte
a fait le choix de retracer toute l'histoire lorraine de la famille Chopin, qui
commence donc au début du XVIIIe siècle, à l'arrivée d'un certain François,
dont le patronyme varie, de Chapin à Chappenc mais finira par se fixer en
Chopin.
Venu du Dauphiné, l'homme
est un contrebandier, venu en Lorraine, qui est alors un Duché indépendant,
pour y organiser un trafic de tabac avec la France ! Eh oui, le génial pianiste a eu pour
ancêtre un bandit ! Mais, il fonda aussi une famille et, au cours du XVIIIe
siècle, celle-ci va connaître une lente mais réelle ascension sociale qui nous
est racontée dans la première partie du roman.
Quand je dis roman,
évidemment, je devrais plutôt dire "biographie romanesque". Il y a,
derrière ce livre, un important travail de recherches, et Gilles Laporte a choisi
d'intégrer à son récit des passages entiers de correspondances, émanant de
différents personnages, dont Chopin lui-même, tout en racontant à sa manière la
vie du compositeur.
J'ai d'ailleurs trouvé le
style de Gilles Laporte très dynamique. Beaucoup de phrases très courtes,
l'impression, par moment, de voir les mots venir au rythme des doigts de Chopin
sur le clavier, une vivacité présente d'un bout à l'autre du récit et qui est
très agréable à lire. On se dit aussi qu'on a là une vie qui s'égrène comme si
on voyait le sable s'écouler dans un sablier...
L'urgence, l'urgence
d'une vie qu'on sait d'emblée très courte, trop courte. Il faut agir vite, même
lorsque rien ne va. Lorsque la toux et la fièvre terrasse l'homme, lorsque le
moral flanche, que les mauvaises nouvelles s'accumulent. Et puis, toujours,
c'est la musique qui relance tout, comme un ichor merveilleux coulant dans ses
veines malades et lui redonnant un semblant de vie.
Et n'oublions pas la
musique de Chopin. Comme je l'ai fait récemment à propos d'un roman consacré à
Jean-Sébastien Bach, je vous encourage à lire en musique, au gré des
compositions évoquées dans le récit. Une musique extraordinaire, dans laquelle
il a parfaitement su retranscrire ses émotions et nous en donner, tellement...
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
2 commentaires:
Ce commentaire n'est pas de circonstance ni de faire valoir. On sent bien que "Christophe Gerphanion" l'a lu et même disséqué, on peut donc lui faire confiance et comme lui en recommander la lecture. Bravo !
Je vous embrasse tous deux. J.C.
Bonjour,
J'aimerais savoir si ce livre est le même roman que celui écrit il y a quelques années, en 2011, je crois.
Avec mes remerciements.
MC ANTOINE
Enregistrer un commentaire