Aujourd’hui,
comme toujours quand je mets en route ma plume (le matin, à Lumière montante),
mes premières pensées sont pour mes parents, ouvriers de filature des Vosges.
Ils m’ont transmis les valeurs essentielles qui sous-tendaient leur vie :
amour du travail quotidien et bien fait, sens du service civique et de la
citoyenneté, respect des conventions sociales (l'orthographe en est une) et des règles (dont celles de grammaire). Dans leurs traces, je me considère depuis toujours et pour
toujours comme un ouvrier des Lettres.
Mes
pensées matinales vont aussi à mes maîtresses et maîtres d’école qui, par leur talent
de pédagogues et leur amour de la
République ont contribué, à leur tour, à faire de moi ce que
je suis.
J’aime
me souvenir d’eux, solliciter encore et toujours leur énergie.
Madame
Yvonne Jungen, tout d’abord, qui, dès mes premières années d’école primaire à
Igney, m’a invité à partager sa passion de la langue, m’a fait goûter ses
subtilités, sa profondeur, ses harmonies. Elle a si bien réussi que j’ai
décroché le Prix de lecture au Cours élémentaire première année, et reçu ainsi
mon premier livre (lire était considéré comme une occupation de fainéant dans
ce milieu, à cette époque) : le Don
quichotte de Cervantès, en édition illustrée pour enfant. J’ai lu, relu des
dizaines, des centaines de fois ce livre en me répétant que j’aimerais, un
jour, pouvoir écrire des histoires comme celle-là ! Dans sa classe, je
suis tombé amoureux de notre langue (peut-être aussi de la maîtresse !)
J’ai
eu la chance, ensuite, de rencontrer des professeurs remarquables. Joseph
Martynciow, professeur de français au collège de Thaon-les-Vosges, arrivé de
Pologne pour aimer passionnément notre langue et la faire maîtriser avec
élégance et efficacité par ses élèves… Le philosophe Raymond Ruyer à la faculté
de Nancy, Vosgien lui aussi, l’un des penseurs les plus prestigieux de notre
temps, dont les nombreux écrits sont malheureusement oubliés aujourd’hui. Par
l’intensité et la clarté de sa réflexion, ce maître à élargi à l’infini le
champ de vision de plusieurs générations d’étudiants.
Qu’ils
soient remerciés, avec les nombreux enseignants que je n’ai pas cités auxquels
je dois beaucoup.
Souvent,
lors de mes nombreuses interventions en milieu scolaire –rencontres pour moi
très importantes car prolongement de mon acte d’écriture en direction de celles
et ceux qui prendront notre relève- la question m’est posée :
« Pourquoi écrivez-vous ? » Ma réponse est toujours :
« Je n’écris pas pour distraire mes contemporains, pour les aider à
s’endormir s’ils souffrent d’insomnie. Mes livres ne sont pas un substitut du Lexomil. Je n’ai pas, non plus, la
prétention de délivrer un ou des messages. J’écris pour mettre en scène
l’Histoire, témoigner et participer, par ma plume, à la marche en avant de
notre société, pour apporter ma pierre à l’édifice social commun, pour, dans la
délirante évolution de notre temps, contribuer à la survie de la prodigieuse et
vitale aventure du livre.
Délirante
évolution de notre temps…
Hier
(1853), au retour d’une visite de centre de détention, Victor HUGO
écrivait ces vers :
Chaque enfant qu’on enseigne est un
homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui
sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une
croix !
Il
répétait sans cesse à la tribune de l’Assemblée nationale, et partout où il le
pouvait : « Ouvrez une école, et vous fermerez une
prison ! »
Que
penser d’une époque, la nôtre (accent circonflexe sur le O) qui préfère
construire des prisons (devenues entreprises privées, donc marché à développer !) à
ouvrir des écoles ?
Que
penser d’une époque qui sabote la langue en massacrant l’orthographe au
prétexte de faciliter l’expression écrite aux jeunes illettrés régurgités
chaque année, malgré le courage des enseignants, par un système scolaire à bout
de souffle ?
Or
la langue est le lien social premier. La maîtriser (accent circonflexe sur le
premier I) est le premier acte d’un « Vivre ensemble » à construire chaque jour, mais devenu argument électoral imprécatoire tellement rabâché (accent circonflexe sur le 2ème
A) qu’il finit par diviser plutôt que rapprocher.
Perdre
la forme de ses mots, c’est très souvent en perdre le sens, c’est toujours
perdre l’histoire de la langue, c’est être condamné à l’inculture !
J’ose espérer encore que l'abêtissement (accent circonflexe sur le premier E) des citoyens ordinaires (ceux qui ne forment pas les rang des "élites !") n'est pas le grand objectif de nos dirigeants depuis une trentaine
d’années, toutes couleurs partisanes confondues.
J'ose espérer...
L’élu
d’une démocratie digne de ce nom a le devoir d’élever la société dont il est
issu, pas de s’abaisser avec elle. Dans le premier cas, il prouve qu’il la
respecte ; dans le second, il prouve qu’il la méprise, qu’il ne se
respecte pas lui-même !
Le
pouvoir devrait s’exprimer et s’exercer d’abord par la maîtrise de la langue, ensuite
seulement par la maîtrise des flux
financiers. Bossuet, Hugo, Jaurès, de Gaulle l’ont bien démontré, si besoin
était, qui guidaient l’évolution fondamentale de la société par le Verbe.
Priver
le peuple de toutes les qualités de sa langue, de toutes ses richesses, de
toutes ses harmonies, de toute son énergie, c’est lui interdire de participer à
l’exercice du pouvoir, c’est vouloir exercer ce pouvoir sans lui, de manière
exclusive et définitive, c’est avoir choisi un mode d’action politique plus
proche de l’asservissement que de l’élévation. N’avoir plus voix au chapitre,
pour le citoyen ordinaire, c’est n’avoir plus que le droit de se taire, et de
marcher ou de crever. C’est ainsi qu’ont fonctionné et que fonctionnent toutes
les dictatures dans le monde.
Ne nous y trompons pas : la réforme de
l’orthographe n’est pas que la question de l’accent circonflexe ou du F de
nénuphar, c’est aussi et surtout, celle du mode d’exercice du pouvoir dans une
société qui se prétend démocratique, celle du respect et de la liberté
fondamentale du peuple.
On peut noter, au passage, que Jean d’Ormesson s’est
opposé à cette arme de destruction massive de la langue dès sa première
apparition (1991) avec de très nombreux défenseurs de notre patrimoine
linguistique, dont Bernard Pivot, Philippe Sollers, Frédéric Vitoux. Noter
aussi que ce projet de réforme visait plutôt les néologismes qui, par nature,
n’ont pas d’histoire, dont on peut donc choisir l’orthographe comme bon nous
semble. Noter enfin que si ce projet n’a pas abouti, c’est parce qu’il a
soulevé une vague d’indignation et d’opposition dans le pays dont même les
syndicats enseignants étaient porteurs. On peut se demander pourquoi c’est
aujourd’hui le ministère de l’Education nationale qui prend l’initiative d’un
tel chambardement, comme s’il n’avait pas plus d’urgence sur la table (comme,
par exemple, de ne pas produire 30% d’illettrés dans chaque contingent annuel
d’élèves.) J’ose espérer que ce n’est pas seulement pour faire plaisir à
quelques copains concepteurs des livres scolaires qui voient ainsi s’ouvrir des
perspectives lucratives de rentrée. J’ai la faiblesse de penser qu’on ne lutte
pas contre le chômage en tuant sa langue ! Mon esprit est sans doute
tordu, mais j’associe cette « réforme » qui vise à supprimer toute
référence à l’histoire des mots, à celle qui vise à retirer des programmes
scolaires l’enseignement de périodes complètes de notre Histoire jugées
subversives par les trafiquants gouvernants de tout poil. Tuer la mémoire,
c’est décérébrer le peuple afin de mieux le manipuler !
En serions-nous là ?
Relisons,
pour conclure, cet extrait de discours prononcé par le poète espagnol Federico
Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de son village natal Fuente
Vaqueros en septembre 1936 :
Des livres !
Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: "Amour,
amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du
pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe
Fédor Dostoïevski était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre
murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par
courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres,
des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait
froid, ne demandait pas le feu ; il
avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau… il demandait des livres,
c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de
l'esprit et du cœur ! Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle
d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu,
mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie !
"La
devise de la République
doit être : la Culture !".
La culture,
parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes
auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière.
N'oubliez pas que l'origine de tout est
la lumière.
"Des livres, des livres" s'exclamait-il. Or les livres sont faits de... mots chargés d'histoire, liés entre eux par des règles.
L'oublier serait prendre le risque redoutable, toujours et partout, avec son âme d'y perdre son... latin !
Salut
et Fraternité !
8 commentaires:
De tout cœur avec toi !
entièrement d'accord avec ta rubrique et ce que tu dis , je suis contre le fait de réformer l'orthographe , il ne s'agit pas de soutenir la médiocrité ...
j'ai dit! bises à toi et amitiés
Je suis heureux que nous partagions cette indignation citoyenne. Merci. A bientôt. Amitié et bises.
Je vois que je ne suis pas le premier à être d'accord et a apprécié ton bel éditorial sur l'orthographe. Comment ne pas être d'accord. J'espère que des professeurs résisteront à cette infamie ! Comment peut-on enlaidir une langue qui depuis 1453 n'a cessé d'embellir au point de devenir le langage diplomatique de toutes les cours d'Europe et même au-delà ? Pourquoi les élèves de maintenant seraient-ils frustrés ? Alors que comme tu le soulignes, de nombreux étrangers sont devenus Français par amour pour elle.
Je vous embrasse tous deux, à bientôt. J.C.
Mon cher Gilles, j'adhère totalement et sus à ceux qui veulent changer notre orthographe, j'ai aimé l'orthographe grâce à mon institutrice d' Igney Madame Françin qui disait " ceux qui ne savent pas bien écrire le français seront des ignares" Elle avait tout à fait raison.
Merci à vous de participer à cette "résistance" salutaire. Amitié.
Bonjour,
Ce fut un réel plaisir, difficile à interrompre, que de visiter ces paysages de notre belle région et contempler cette galerie de portraits si finement ciselés !
Pour la forme, j'ai aimé:
"...des volets assoiffés de peinture..."
"...des femmes serties dans le satin..."
"...elle confia son anatomie à un voltaire..."
" Paris ne peut donc survivre sans boire dans les égouts de la province ?"
...et bien d'autres encore et des meilleures !
et quelques audaces surannées :
"le lieutenant de louveterie n'a pas voulu insister, à cause qu'il ne voulait pas qu'on le remarque." p369
Pour le fond, j'ai aussi apprécié :
que le thème, mille fois repris de "la Bête des Vosges", ne soit que le simple fil rouge d'un roman d'amour sur fond d'irresponsabilité des médias par rapport à leur mission première d'information.
Nous nous sommes rencontrés à La Bresse 3 jours après la sortie du livre. Nous avions évoqué le rôle du poète "qui voit plus loin que l'horizon". J'espère rompre mon anonymat lors d'une prochaine rencontre.
Daniel
Merci Daniel. Vos impressions de lecture me touchent. Oui, j'espère avoir le plaisir de vous revoir prochainement. A bientôt donc. Très cordialement. Gilles (M'autorisez-vous à reproduire vos appréciations concernant mon roman ?)
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