dimanche 13 janvier 2013
DES FLEURS A L'ENCRE VIOLETTE... extraits.
Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs, sur cent qui sont au bagne,
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix…
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
Victor Hugo Les Quatre vents de l’esprit I, 24 - 1881
DES FLEURS A L'ENCRE VIOLETTE
Extrait 1
Une nouvelle fois, on avait changé de régime.
Ce matin, le temps était à l’orage.
-Cherche, vas-y, cherche ! Je l’avais caché derrière les livres bleus, là, tu vois, le Moniteur des communes…
Enervé, luisant de sueur, col de celluloïd dégrafé, le maire Honoré Dieudonné encourageait l’homme comme il aurait encouragé un chien.
La mort en Angleterre du «dernier Bonaparte » lui avait redonné de l’énergie, lui qui pourtant n’en manquait pas ! Au point que, à l’arrivée de la nouvelle au pays, il avait même pensé faire chanter un Te Deum pour « remercier le Créateur d’avoir délivré le monde de cette drôle d’engeance ! » La rage au ventre, il avait dû renoncer à son projet, personne ne connaissant assez l’hymne pour ne pas l’estropier. « Dieu nous préserve du Prince Impérial », répétait-il en privé et en public, aux cérémonies civiles qu’il présidait flanqué de son état-major municipal, comme aux fêtes religieuses qu’il suivait avec dévotion dans la grande église à colonnes. « Les Anglais l’ont voulu… qu’ils le gardent ! »
-Moniteur des Com… Je te demande un peu !
Il s’était mis à grogner.
-Tout juste bon à allumer le feu et nourrir les rats !
Il entrouvrit l’œil de bœuf qui donnait pleine face sur l’église pour aérer. Un courant d’air souleva aussitôt des tourbillons de poussière. Il referma d’un geste brutal.
La fuite récente du roi d’Espagne, les faillites bancaires autrichiennes provoquées par une gestion imbécile du crédit, leur extension à toute l’Europe, et le refus du comte de Chambord de monter sur le trône sans le drapeau blanc, lui nouaient les tripes depuis de longs mois. Toujours sur les nerfs, fiévreux, parfois agressif, souvent injuste, il ne décolérait pas. Débarrassé des Bonaparte, certes, mais pas encore heureux sous le sceptre d’un nouveau Roi dans un pays redevenu monarchie !
-Cherche ! Je l’avais roulé dans une toile serrée aux deux bouts par une ficelle. Il n’a pas disparu tout de même ! Allons, cherche !
-Han ! Han ! Han… faisait le colosse cassé en deux sous la charpente, qui remuait des piles d’archives tachées de chiures jaunâtres de loirs.
Une odeur âcre le prenait à la gorge. Il toussotait, aurait voulu cracher, n’osait pas devant le maire.
-T’en fais pas ! Dès que tu l’auras retrouvé, tu pourras aller descendre une chopine à ma santé chez la Justine. Je l’ai prévenue.
Le soleil d’automne tapait dur sur les tuiles de la mairie. Surtout en plein midi. « C’est l’été de la Saint-Martin ! » disaient certains qui voulaient étaler une science rapportée de la ville ; « C’est la lune ! » ripostaient les autres en jetant un coup d’œil inquiet vers le ciel couleur d’acier.
La sécheresse avait blanchi les cailloux dans le lit des Bollottes, fait pourrir les dernières truites entre les lames de sabre des iris d’eau grillés tout droits.
Dans le grenier surchauffé, l’air de la mairie était irrespirable.
Rues vides, champs déserts, tous les paysans à table, Honoré avait choisi ce moment de mort clinique du village pour faire ses recherches du drapeau blanc...
Extrait 2
Rose-Victoire sursauta ; le bébé en perdit le sein, pleura ; elle le lui rendit ; il le reprit à bouche avide, le retint à pleines petites mains potelées.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Va savoir ! lui répondit la mère devenue soudain très pâle.
La porte s’ouvrit avant qu’elle eût pu faire un pas vers l’entrée. Le maire de Fontenay se tenait sur le seuil. Derrière lui, la silhouette du père.
-Mais… que se passe…
-Vas-y, Justin, entre donc chez toi.
Le maire tira dans la cuisine un père au visage décomposé. Hermance se précipita.
-Mon Dieu ! Mais qu’est-ce…
Incapable de dire un mot de plus, elle se jeta vers Justin, le prit aux épaules, se mit à le secouer en hurlant.
-Aimé… not’Aimé !
Le maire s’approcha d’elle, lui prit le bras.
-Non, l’Hermance, on n’a pas eu de mauvaises nouvelles de l’Aimé ! Rassurez-vous ! Il n’a pas du mal à la guerre ! Ne vous mettez pas dans des états pareils. Il n’a rien à voir là-dedans, Dieu merci !
-Qu’est-ce que c’est, alors ? Dis-moi…
Sa vareuse tachée de sang, et ses mains, et ses chausses, l’homme restait muet devant elle, pantelant, comme frappé de stupeur.
Rose-Victoire avait reculé jusqu’au coin du fourneau où ronronnait la soupe, juste sous l’araignée. Dans ses bras, insensible aux cris de la mère et à la grosse voix du premier magistrat, rassasié, l’enfant s’était endormi, des étoiles de lait sur les lèvres.
-Asseyez-vous, Hermance. Je vous explique. Voilà…
La pendule sonna la demie de neuf heures du soir.
Dehors, les martinets avaient fini leur ronde infinie autour de la maison, les merles finissaient leur conversation, les chats commençaient leur chasse. Minnie la blanche demanda la porte. On la lui donna.
-Voilà… en redescendant du Bois de la Maie, avant la fontaine de l’embranchement de Méménil, dans les broussailles, Justin est tombé sur…
Le maire demanda d’un signe s’il pouvait s’asseoir. D’un signe, Hermance l’y invita, puis Justin à côté de lui, en face d’elle, de l’autre côté. Son enfant dans les bras, Rose-Victoire s’était laissée glisser en silence sur la caisse à bois.
-Voilà… il est tombé sur… un mort !
Justin fit « oui » de la tête.
-Et quel mort ! Coupé en deux, les parties tranchées, les tripes à l’air, les deux jambes cassées à coups de gourdin, la bouche déchirée jusqu’aux oreilles comme d’un coup de sabre, égorgé. Pas beau à voir ! Pour sûr, pas beau !
Justin regardait fixement ses mains. Il tremblait. Les traits figés de son visage exprimaient une infinie douleur.
-Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite pensé au Cosaque que me racontait mon père… vous savez, celui qui a été retrouvé sur le chemin des Coucheux, en 1814. Mais, là, c’était la guerre… alors que, aujourd’hui…
Extrait 3
Par toute la ville, on avait bientôt su que la maîtresse d’école venait de donner le jour à un fils prénommé Paul. On s’en était réjoui. Mais, quand ils avaient appris que, avec la complicité du médecin, Monsieur Delhuis, le père, maître d’école lui aussi, avait assisté à la naissance, les hommes haussèrent bien vite les épaules d’un air de dire : « De quoi je me mêle ! », et les femmes manièrent une ironie de lavoir ponctuée de tranchants : « C’est pas l’même monde que nous autres ! ».
De la ferme du Joly à la Fontaine des Capucins, et des faubourgs de Poussay à la chapelle du Bon Saint-Pierre Fourier plantée sur la butte du four à chaux de Mattaincourt, on avait entendu des voix féminines tranchantes : « J’te d’mande un peu ! C’était pas sa place ! C’est pas l’affaire des hommes, ces choses-là ! Déjà qu’un médecin… au lieu de notre matrone… », et des ricanements jaloux de mâles : « Un homme c’est fait pour le mettre dedans, pas pour le faire sortir ! J’t’en foutrais, moi… »
Des fleurs à l'encre violette Gilles Laporte roman éd. Presses de la Cité 10 01 13
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8 commentaires:
ces trois extraits donnent encire plus e,vie de le lire, je viens de l'acheter je commence la lecture ce soir....
"les étoiles de lait sur les lèvres du petit bébé" joli , joli.
j'y vais! lire
bisous
katyL
Ah ! je suis heureux, j'aurai prochainement de la bonne littérature à lire. A bientôt.
Je vous embrasse tous deux. J.C.
je l'ai lu et je suis heureuse de cette lecture, j'ai trouvé des similitudes entre Rose-Victoire et moi , je te dirai cela de vive voix Gilles..lors d'une rencontre littéraire.
j'ai choisi quelques passages
-"les perce-neige avaient tout juste fait leur apparition au moment où, fatiguées, les roses de noël commençaient à tirer une molle révérence, l'aubépine avait fleuri à point pour annoncer la fin d'un hiver ni trop méchant ni trop mièvre, les saints de glace avaient bien tordu le cou aux ultimes gelées, et ouvert la voie au réchauffement de la terre par un soleil de plus en plus généreux."
c'est de la poésie à l'état pur!
et l'âme du violon quel beau passage.....p230/231
un autre passage
:"leur bavardage avait quelque chose du babil des mésanges dans les arbres, des jacasseries des pies dans le jardin de l'oncle ....des murmures de la bise aux grands frênes de la Moselle adossée au canal.."
très beau passage aussi p 342 343 sur l'école "tout enfant porte en lui dès sa naissance, toutes les sciences du monde."....
bref je ne vais pas citer tous les passages aimés, mais j'espère donner l'envie de le lire.
Comme tu le dis si bien il n'y a pas de hasard , je n'y crois pas non plus, écrire ainsi demande du travail mais aussi de la poésie, de l'intelligence, un don d'observation particulier, et tant d'autres qualités qui font qu'un écrivain est un écrivain , toute une vie.
merci Gilles et bons baisers d'amitié
katy
des bisous à l'encre violette
amicalement
une fan anonyme
Merci JC, merci Katy pour vos mots chaleureux. Et merci à vous, lectrice mystère, pour vos bisous que je reçois avec émotion. Je vous embrasse tous les trois. Amitié. Gilles
c'est super de retrouver les gueniches de mon enfance ainsi que de vivre l'episode de la catastrophe de Bouzey
Merci, anonyme qui avez retrouvé des souvenirs dans mon bouquet de Fleurs... et qui me l'avez confié ! A bientôt. Amitié.
Great readd
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