Malgré son poids (670 pages), à lire absolument
pour éviter l'indigestion des salades
que d'aucuns nous servent chaque jour...
extraits :
C'est aux premiers jours de l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis, il y a quatre ans, que je commençai à m'intéresser à la dépendance du libre marché à l'égard des chocs en tous genres. Après avoir rendu compte depuis Bagdad de la tentative avortée de Washington de faire suivre la phase "choc et effroi" de celle du traitement de choc, je me rendis au Sri Lanka, quelques mois après le tsunami dévastateur de 2004. Là, je fus témoin d'une autre version de la même manoeuvre. En effet, des investisseurs étrangers et des prêteurs internationaux s'étaient ligués pour exploiter le climat de panique et céder le magnifique littoral à des entrepreneurs qui s'étaient empressés d'ériger de vastes stations balnéaires, empêchant ainsi des centaines de milliers de pêcheurs de reconstruire leurs villages au bord de l'eau : "Par un coup cruel du destin, la nature a offert au Sri Lanka une occasion unique. De cette grande tragédie est née une destination touristique d'exception", claironna le gouvernement. Lorsque l'ouragan Katrina s'abattit sur la Nouvelle-Orléans et que les politiciens, les groupes de réflexion et les promoteurs immobiliers républicains se mirent à parler de "page blanche" et d'occasion en or, il apparut clairement que telle était désormais la méthode privilégiée pour aider l'entreprise à réaliser ses objectifs : profiter des traumatismes collectifs pour opérer de grandes réformes économiques et sociales. (P. 17)
Dans certains cas, bien entendu, l'adoption des politiques de libéralisation des marchés se fit de façon démocratique, quelques politiciens ayant été portés au pouvoir malgré des programmes draconiens : l'élection de Ronald Reagan aux Etats-Unis et, plus récemment, celle de Nicolas Sarkozy en France, en constituent des exemples frappants. Dans de tels cas, cependant, les croisés du libéralisme économique se heurtent à l'opposition du public et doivent modifier ou adoucir leurs projets radicaux, accepter les changements à la pièce plutôt qu'une reconversion totale. On voit bien que le modèle économique de Friedman, s'il est en partie compatible avec la démocratie, a besoin de conditions totalitaires pour être imposé dans son expression la plus pure. Pour que le traitement de choc économique soit appliqué sans contrainte -comme ce fut le cas au Chili dans les années 1970, en Chine à la fin des années 1980, en Russie dans les années 1990 et aus Etats-unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001-, on doit compter sur un traumatisme collectif majeur, lequel entrave ou suspend provisoirement l'application de principes démocratiques. Cette croisade idéologique prit naissance au sein des régimes autoritaires d'Amérique du Sud ; dans les territoitres nouvellement conquis -la Russie et la Chine-, elle cohabite encore aujourd'hui, sans difficulté et de façon rentable, avec un régime à la poigne de fer. (P. 20-21)
Naomi KLEIN La Stratégie du choc La montée d'un capitalisme du désastre
Essai traduit de l'anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Editions LEMEAC/ACTES SUD mai 2008
photo couv. GL
7 commentaires:
toujours des articles fort intéressants: j'en ai ai mis la référence sur mon blog avec celle de votre site., pensant que vous n'y voyez pas d'objection??
Aucune objection, chère Micheline. Vous pouvez reproduire tout ce que je publie sur mon blog, à condition de (comme vous le faites si bien) : 1/ citer votre source et 2/ m'avertir.
Merci. Votre fidélité me touche.
Très bonne journée.
A bientôt, chère Micheline.
Amitié.
Gilles
Bonjour Gilles, je ne peux pas être plus d'accord avec vous, comme toujours. J'attends votre visite sur "mes" terres.
Bien á vous.
Popelina/Cristina
Sur votre conseil, lecture en cours. Le sérieux et la bibliographie jointe ne permettent aucuns doutes sur la justesse des démonstrations, ça fait peur...
Comment contrer ???
Oui, cher Anonyme, ça fait peur !
Comment contrer ? En s'efforçant de rester conscient malgré les injections quotidiennes de morphine ! Ne pas sombrer dans le coma... conscients et responsables... ensemble !
"Calme et droit !" disent les cavaliers...
Amitié
Gilles
Encore un exemple trés pertinant qui illustre parfaitement les propos de Naomie Klein et qui pourtant n'est pas trés récent, ceci est un extrait d'une publication d'un agronome brillant Claude Bourguignon. Son analyse est particulièrement fine et pour le moins révolutionnaire, ayant travailler proche du mulieu agricole essayez de vous procurer ses publication ou des extraits de ses conférences celle ci devraient vous interpeller.
Extrait : Pourquoi a-t-on violé les agriculteurs avec les nitrates ? C’est que les nitrates avaient été fabriqués par Haber, en 1913. Haber trouve enfin la technique qui permet de prendre l’azote de l’air et de fabriquer des nitrates. C’est cette découverte qui permet à l’Allemagne de déclencher une puissance de feu phénoménale : les nitrates de synthèse permettent de fabriquer des bombes en remplaçant le salpêtre. L’Allemagne va avoir de l’azote à profusion, tant qu’elle veut. L’azote, c’est 79% de l’atmosphère. La vie microbienne du sol et certaines plantes captent l’azote de l’air, gratuitement. L’industrie, elle, développe ses usines qui coûtent horriblement chères. Et l’Occident va ainsi fabriquer ces nitrates avec ces techniques et cela va être une grande guerre mondiale. A la sortie de cette guerre, il va bien falloir pacifier ces usines qui ont coûté si chères. On ne peut pas les fermer comme ça ! Il faut les amortir !! Et comme Justus Van Liebig avait montré que c’est sous la forme de nitrates que les plantes se nourrissent, ils ont fait tout de suite l’interface. Et au début on a été raisonnable, comme dans la plupart des interventions humaines. Entre les deux guerres, on préconise 20 à 30 kilos d’azote à l’hectare. On ne viole pas les sols. Les rendements augmentent de façon spectaculaire. Et puis la loi du commerce augmentant, on est passé à 50, puis 100, et maintenant on en est à 248 kilos d’azote à l’hectare Aujourd’hui, c’est du délire. Je n’ai pas les positions extras des tenants les plus radicaux de l’Agriculture Biologique. Je trouve normal que par son intelligence l’homme comprenne les mécanismes vivants et les perfectionne. Mais quand on en arrive à mettre 248 kg d’azote à l’hectare sur le blé on délire. Du délire commercial. On abîme l’environnement et on abîme la santé des gens. Et là je ne suis plus d’accord. Et en tant que scientifique, je m’oppose à cette pratique là. On doit demander à un sol ce qu’il est capable de produire en fonction de sa fertilité naturelle. Tout le monde veut faire 100 quintaux à l’hectare en France. Cela ne tient pas debout ! On ne roule pas à 240 km/h avec une 2 CV !!
Une fois de plus pour l'intérêt de quelqu s'un la majorité subit
Bravo, et merci, cher Jérôme, pour ce rappel historique fort pertinent.
En le réservant aux marchands ("commercial"), vous employez très justement le mot "délire". Le scientifique cherche, trouve parfois... souvent le militaire exploite à des fins de conquête... mais toujours le marchand pousse outrageusement, jusqu'à la perversion, les fruits de la science (on le voit même dans le domaine médical avec, entre autres, le commerce naissant des organes à greffer, ou l'inondation du marché par les antibiotiques). Nulle part ailleurs qu'à ce délire ne mène le libéralisme (néo ou ancien) tellement vanté aujourd'hui par des politiques soumis à la dictature de l'"école de Chicago" de Friedman.
Ils sont si puissamment conditionnés (et intéressés), ces politiques, qu'il semble bien vain d'attendre un retour prochain aux valeurs d'humanité au détriment des valeurs de marché. Sauf si... (dans la suite de ce qui se passe aujourd'hui), leur château de cartes leur tombe sur la tête !
Amitié.
Gilles
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