vendredi 17 janvier 2014

La Clé aux âmes



Je vous l'avais promis... le voici, cet extrait de mon nouveau roman, La Clé aux âmes. Une partie du premier chapitre... 
Bonne lecture !
                                  
-Cet enfant est mon neveu, chère Mathilde ! Faut-il que je vous le rappelle ? J’aurais même pu être son parrain si vous lui aviez fait donner le baptême.

Victor regardait sa belle-sœur par-dessus ses fines lunettes cerclées d’acier.

-J’aurais dû l’être ! Si vous n’aviez pas ces idées…

Il chercha ses mots. D’ordinaire si sûr de lui, il donnait soudain l’impression de manquer de vocabulaire, comme toujours quand il s’apprêtait à balancer une vacherie. Il avait refusé de s’asseoir.

-Ces idées… imbéciles ! Je dirais même… criminelles !

Il bouscula une chaise qui couina sur le parquet, la repoussa d’un geste vif.

Assise en bout de table, bras croisés, Mathilde attendait la fin de l’avalanche. En face d’elle, debout comme son mari, Alix, ci-devant de Saint-Prancher, malmenait son manchon de zibeline. Gantées d’agneau blanc finement surpiqué, ses mains délicates pétrissaient la fourrure.

-Asseyez-vous donc, ma chère Alix. Vous me faites mal de rester ainsi debout ! lui glissa Mathilde d’une voix calme qui parut ajouter de l’agacement à l’irritation de Victor.

Alix tira une chaise, écarta les pans de son manteau, arrangea les plis de sa robe, s’assit du bout des fesses.



-Comment peut-on admettre tout ce que racontent les bouffeurs de curé ? Pouvez-vous me dire ? Elle en a de bonnes, votre religion de la liberté qui voudrait faire croire que tout le monde pourrait tout faire, et… n’importe quoi ! Et cette égalité que vous mâchonnez en permanence comme de la guimauve. Savez-vous ce que disait Hugo lui-même, votre demi-dieu mécréant, de cette égalité ?

Il se planta devant la fenêtre, dos tourné à la lumière. Mathilde ne voyait plus que sa silhouette rongée par un cru soleil d’hiver.

-Il dit : « Une égalité d’aigles et de moineaux, de colibris et de chauves-souris, qui consisterait à mettre toutes les envergures dans la même cage, et toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n’en veux pas.[1] »

Il savoura son effet, rajusta sa cravate de soie nouée à la sauvage domestiquée, se rapprocha de la table. Mathilde se dit qu’il avait dû passer un temps fou à chercher dans toute l’œuvre de Hugo, publiée ou inédite, les mots qui le poseraient comme un sage.

Il avait vieilli. Son corps s’était épaissi. Quant il souriait, il donnait davantage l’impression de vouloir mordre que de s’apprêter à dire des mots aimables. Son front s’était dégarni. Il en usait comme d’un outil de séduction en se le frottant souvent de la paume, à la manière d’un intellectuel. Il donna un coup d’œil circulaire à la pièce.

-D’ailleurs… où est-il, cet enfant ?

-A son cours de violon !

Mathilde avait répondu sans hésiter, de sa voix assurée de maîtresse d’école. En face d’elle, Alix malmenait toujours son manchon. Elle crut voir passer dans son regard une lumière fugitive.

-Cours de violon ! Vous ne lui avez pas trouvé d’autre activité que de gratter des peaux de chat pour faire du bruit ? Ce n’est pas le crin-crin qui le nourrira, croyez-moi ! Ce n’est pas avec ça qu’il trouvera une place honorable dans la société. Des cours d’architecture ou de physique appliquée lui seraient plus utiles !

Il tira une chaise, s’assit à côté de sa femme qui s’écarta.

-Que voulez-vous donc en faire ?

-Ce qu’il voudra être !

Il prit un air outré.

-Depuis quand les enfants décident-ils de ce qu’ils seront ? C’est la responsabilité des parents de choisir pour eux, en fonction de leur conception de la réussite sociale, et des attentes du pays. La volonté de réussite n’est pas votre fort, je le sais, hélas. Vous avez partagé ce manque d’ambition avec mon frère -paix à son âme !-, mais ce n’est pas une raison pour continuer avec mon neveu. Quant aux attentes du pays… ce ne sont pas les saltimbanques qui reconstruiront notre Lorraine d’après-guerre ! Nous avons besoin d’architectes, d’ingénieurs, de techniciens, de gens capables de rebâtir des maisons, de redessiner des villes ! La musique peut attendre ! Il y aura toujours bien assez de dilettantes pour taper sur un piano ou souffler dans une trompette… trop même !

Alix avait rentré la tête dans les épaules. La mode des cheveux coupé ne l’avait pas encore atteinte. De son chapeau tenu par un ruban de satin noué sous le menton, coulaient de longues boucles argentées qui frémissaient à chaque levée de ton de son mari.

-Mon neveu… je m’occuperai de lui !

Il posa les mains à plat sur la table, comme pour en prendre possession, sa manière à lui de marquer son territoire.

-Je dois bien cela à mon frère !

Jusque là, Mathilde avait dompté ses poussées de colère. Mais l’évocation de la guerre par Victor avait fait remonter de telles images dans sa tête, rallumé de telles souffrances, qu’elle se sentait sur le point d’exploser. 

-C’est mon fils qui décidera de son propre avenir. Personne d’autre !

-Décidément, vous êtes buttée, ma chère belle-sœur. C’est une idée fixe ! Réfléchissez un peu, que diable ! Observez le monde qui nous entoure. Y voyez-vous de la place pour des violoneux, des poètes, des barbouilleux ? Nous sortons d’une guerre terrible et…

Il dut sentir qu’il s’engageait dans une voie scabreuse avec cette évocation trop appuyée de la guerre, conclut en baissant un peu le ton :

-Vous en savez quelque chose, ma chère Mathilde, avec la mort de mon frère, voilà deux ans, des suites des gaz respirés dans les tranchées !

Si elle en savait quelque chose, Mathilde ! Elle serra les dents et les poings. Il prit ses aises, s’accouda à la table.

-Seule, avec cet enfant, rien ne va être facile pour vous. Ce n’est pas avec votre traitement d’institutrice que vous allez pouvoir lui faire une situation. Alors que nous…

Il jeta un coup d’œil sec à sa femme.

-Alix est stérile ! Nous n’aurons jamais de descendance…

En bout de table, sous le chapeau à ruban de satin, encadré de longues boucles argentées, le visage s’était soudain fermé.

-Un problème médical… de femme ! Alors, nous avons pensé que Paul pourrait venir vivre chez nous à Nancy, que nous pourrions l’inscrire dans l’un des meilleurs cours privés, Saint-Sigisbert par exemple, ou La Malgrange, puis dans une école d’ingénieurs. Nous le traiterions comme notre fils, exactement comme notre fils.

Il avait joint les mains, croisé lentement les doigts.

-Telle est notre proposition, ma chère belle-sœur, la meilleure et la plus sûre voie de réussite pour cet enfant. Bien sûr, vous pourrez le voir aussi souvent qu’il vous plaira, mais chez nous, pas ici, car il perdrait trop de temps dans les voyages. Nancy-Mirecourt, même par le train, c’est long. Alors que vous… faire ce déplacement vous divertira.

Il se tut.

Tête baissée, Alix semblait regarder fixement ses gants agrippés à la fourrure du manchon. Le chapeau dissimulait son visage.

Six heures tombèrent de la tour de l’église proche.

Victor jeta un nouveau coup d’œil à sa femme, prit un air pressé. Il se redressa.

-Et puis, pourquoi ne pas tout vous avouer maintenant ?  Notre projet va plus loin que ce que je viens de vous dire.

Alix leva la tête. Pâle. Très belle. Son regard avait quelque chose de tragique.

-Voilà ! Je vous ai confié que ma femme est stérile. Un problème de trompes rompues, obturées, d’ovaires paresseux, d’utérus trop étroit ou trop sec… les médecins pataugent ; aucun n’a su trouver pourquoi son ventre est mort. Mais le résultat est là, définitif : à cause de cette défaillance, nous n’aurons pas d’héritier direct ! Alix est fille unique. Sans enfant mâle, son nom s’éteint. Or les Saint-Prancher ne sont pas n’importe qui ! Ce nom a survécu aux tragédies de tous les temps, il doit survivre à une infirmité. Je vous entends penser que, parce que la loi l’interdit aux femmes -entre nous, c’est l’un des excellents héritages de la règle dynastique !- elle n’aurait pas pu le transmettre ! Je vous réponds que c’est vrai, sauf dans le cas d’un nom prestigieux menacé d’extinction. Et puis… j’ai des relations, jusqu’au Conseil d’Etat qui ne s’y serait pas opposé. Les de Saint-Prancher ont tellement écrit l’histoire de notre pays depuis des siècles que la justice et l’Etat-civil se seraient adaptés… qu’ils s’adapteraient…

Il ne quittait pas des yeux le visage impassible de Mathilde.

-…qu’ils s’adapteront ! J’en ai la certitude. Encore faut-il un garçon pour porter ce nom prestigieux.

Il marqua une courte pause, prit ses grands airs de directeur général des services techniques de la Ville de Nancy.

-Nous avons décidé d’adopter Paul !

Très calme, Mathilde se leva, choisit dans le buffet ses plus beaux verres, les disposa sur la table, tira le bouchon de la bouteille d’eau de vie dont le bon  parfum de mirabelle s’exhala aussitôt dans la pièce, emplit les verres.

Victor cherchait dans le regard de sa femme des traces d’admiration et de respect. Ne venait-il pas d’emporter une partie loin d’être gagnée d’avance ? Alix n’avait pas lâché son manchon. Au tragique de son regard, s’ajoutait maintenant de la douleur. Il fit mine de ne pas s’en apercevoir, s’abandonna au plaisir d’avoir convaincu sa belle-sœur. Paul serait bientôt chez eux. Dès le retour en ville, il fera réserver une place pour lui à La Malgrange… la discipline y est réputée plus sévère qu’ailleurs, mais c’est aussi l’établissement qui affiche les meilleurs résultats. Et, n’est-ce pas là que bien des plus beaux esprits de Lorraine ont fait leurs études ? Maurice Barrès, par exemple, qui a eu droit, voilà deux ans, à des obsèques nationales, Louis Madelin devenu ministre, François de Wendel le grand patron maître de forges… excusez du peu ! Tiré des griffes des socio-communistes, ce neveu entrera ensuite dans une grande école technique qui le mènera vers une belle carrière d’architecte ou d’ingénieur en chef. Il en aura fait son fils porteur d’un nom qui lui ouvrira toutes les portes de la belle société et des cercles les plus influents, un nom qu’il aura complété du sien, accompagné d’un prénom composé, unique concession à son père biologique : Paul-Clément Delhuis de Saint-Prancher.

Il leva son verre, le porta à son nez, en huma le contenu, lâcha :

-Quel bonheur, cette mirabelle ! Elle me rappelle mes grands-parents de Fontenay, vous n’avez pas connu… Désiré Dieudonné, le maire…

-Je n’ai connu que ceux d’Aydoilles ! répondit Mathilde d’une voix claire, Hermance et Justin. Je les aimais bien.

-Pas pareil ! bougonna Victor en levant son verre. Allons, buvons à cette bonne décision, et à l’avenir de Paul.

-Buvons, répondit Mathilde. Elle allait porter le verre à ses lèvres quand elle le reposa sur la table.

Tête baissée, Alix empêtrait toujours ses mains gantées dans la fourrure du manchon.

-Buvez, et goûtez bien cette mirabelle, Victor ! Surtout, appréciez-en toutes les saveurs, tous les goûts, toutes les invitations au bonheur…

Elle leva son verre.

Victor vida le sien d’un trait, garda longtemps la mirabelle en bouche, la fit rouler autour de la langue, que toutes les papilles, toutes les muqueuses en soient ravies, l’avala.

Alors Mathilde jeta violemment son verre par terre.

-C’est la dernière eau-de-vie que vous venez de boire chez moi, Monsieur ! Jamais, vous m’entendez, jamais vous ne remettrez les pieds dans cette maison ! Et je vous interdis d’essayer d’entrer en relation avec mon fils. Je vous interdis même, si toutefois vous en aviez l’improbable envie, d’aller un jour sur la tombe de Clément, son père, votre frère ! Votre seule présence dans le carré militaire du cimetière de Mirecourt lui serait une injure. Maintenant sortez !

Alix n’avait pas bougé. Elle leva les yeux, adressa un timide sourire à sa belle-sœur, se leva, se dirigea vers la porte.

-Allons, sortez !

Cloué sur sa chaise, pâle comme un linceul, Victor ouvrit la bouche. Aucun son n’en sortit.

-Dehors !

Gilles Laporte La Clé aux âmes  Presses de la Cité-Terres de France-01/2014



[1] Victor Hugo - Pierres - 1869

samedi 4 janvier 2014

Carte de voeux la plus chère à mon coeur...


Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen 
Extrait de la Constitution du 24 juin 1793
Affiche officielle

mardi 31 décembre 2013

Bonne année 2014


Bonne, très bonne, excellente année 2014 
à vous mes amies et amis,
à celles et ceux que vous aimez.
Que la Lumière qui rayonne de ce coeur  palpitant de Lorraine vous accompagne durant les douze mois à venir, et  bien plus longtemps encore. 
Qu'elle vous éclaire, vous réchauffe, et nous rapproche toujours davantage.

Je vous embrasse.
Gilles


mardi 17 décembre 2013

lundi 16 décembre 2013

La Femme et le citoyen...

Julie-Victoire DAUBIE (1824-1874) fut la première bachelière de France, en août 1861. Quelques années plus tard, elle devint la première licenciée ès Lettres. Au prix de grandes difficultés, elle força pour les femmes les portes de l'Université jusque là verrouillées par les hommes. Mais elle fit bien davantage encore. Toute sa vie, elle milita pacifiquement pour le respect de chacun par tous et de tous par chacun, écrivit et publia des textes, donna des conférences sur des sujets brûlants comme l'égalité homme-femme, l'amélioration des conditions de travail dans l'artisanat et les manufactures, les rôle et mission de l'école, la citoyenneté...
Ses engagements de ce temps, ses pensées et propositions sont toujours d'actualité. Tirées de son livre en trois volumes La Femme pauvre au 19ème siècle, les citations qui suivent en sont une preuve...
La Femme en politique :
Il est évident que la femme électeur se complète de la femme éligible, mais il y a loin de là à la femme élue, dans l'état de nos moeurs surtout...
Ecrivaines et écrivains :
Les écrivains hommes (...) en ne permettant aux femmes de prendre la parole que pour dire quelque chose, semblent réserver aux hommes seuls le droit de parler pour ne rien dire.
Education et principes républicains :
L'interdiction pour la femme de puiser l'instruction aux mêmes sources que l'homme est une négation de nos théories d'égalité civile qui établit un antagonisme déplorable entre nos principes et nos moeurs.
La nature et la folie des hommes :
La nature, qui fait reverdir les moissons sur les champs de carnage, est une force admirablement productive, puisqu'elle nous laisse survivre à de si grandes et si constantes folies.
Des droits et des devoirs :
Déchaînez ou enchaînez la presse dans une société où chacun peut vivre dans des unions sans droits pour les faibles et sans devoirs pour les forts, et vous verrez également partout l'anarchie des moeurs régner dans les idées ; l'ordre pourra être rétabli dans la rue et maintenu à l'aide du gendarme ; le désordre restera dans les esprits.
Du pouvoir :
L'homme qui ne sait pas se gouverner est incapable de gouverner les autres... Et pourtant on remarque, dans les familles comme dans la cité, qu'il veut prendre plus d'autorité sur autrui qu'il en a moins sur lui-même !
Economique et social :
Dans l'ordre, ou plutôt dans le désordre actuel, chacun fait produire le plus possible à ses capitaux sans s'inquiéter de l'ouvrier qui n'est qu'un être abstrait, incongru, un rouage dans la machine !
Répartition des fruits du travail :
Il est de fait que l'ordre économique ne serait pas troublé comme il l'est chez nous, si le scandale des fortunes illicites était soumis au contrôle de l'opinion."
Visionnaire, Julie-Victoire Daubié ? 
Visionnaire !
Incurables, les maladies fondamentales de l'homme ?
A chacun de répondre, après méditation, hors des conditionnements économico-socio-religio-politiques... et d'en déduire ses choix pour l'avenir, en son âme et conscience !
Salut et Fraternité.

Images 
Portrait de J-V Daubié (détail) par P. Petit (1861)
Couverture de Julie-Victoire, le roman de Julie-Victoire Daubié, première bachelière de France 
 Auteur Gilles Laporte Préface de Jean-Louis Debré (éd. Eska-Paris-2013)

jeudi 12 décembre 2013

ERASME : Eloge de la folie...

Erasme de Rotterdam écrivait, en 1508 : 
Mon avis, à moi, Folie, est que plus on est fou, plus on est heureux, pourvu qu'on s'en tienne au genre de folie qui est mon domaine, domaine bien vaste à la vérité, puisqu'il n'y a sans doute pas, dans l'espèce humaine, un seul individu sage à toute heure et dépourvu de toute espèce de folie. Il n'existe ici qu'une différence : l'homme qui prend une citrouille pour une femme est traité de fou, parce qu'une telle erreur est commise par peu de gens : mais celui dont la femme a de nombreux amants et qui, plein d'orgueil, croit et déclare qu'elle surpasse la fidélité de Pénélope, celui-là personne ne l'appellera fou, parce que cet état d'esprit est commun à beaucoup de maris.
Rangeons parmi ces illusionnés les chasseurs forcenés, dont l'âme n'est vraiment heureuse qu'aux sons affreux du cor et dans l'aboiement des chiens. Je gage que l'excrément des chiens pour eux sent la cannelle. Et quelle ivresse à dépecer la bête ! Dépecer taureaux et béliers, c'est affaire au manant ; au gentilhomme de tailler dans la bête fauve. le voici, tête nue, à genoux, avec le coutelas spécial qu'aucun autre ne peut remplacer ; il fait certains gestes, dans un certain ordre, pour découper certains membres suivant le rite. Autour de lui, la foule, bouche bée, admire toujours comme un spectacle nouveau ce qu'elle a déjà vu plus de mille fois, et l'heureux mortel admis à goûter l'animal n'en tire pas mince honneur. A force de poursuivre les bêtes fauves et de s'en nourrir, les chasseurs finissent par leur ressembler ; ils n'en croient pas moins mener la vie des rois.
Erasme 1469-1536 Eloge de la folie Le Monde de la philosophie/Flammarion XXXIX p.64-65

mercredi 27 novembre 2013

PSA-Varin Crime contre la société



Le groupe PSA, constitué des marques Citroën et Peugeot, toujours propriété de la famille Peugeot, est en grandes difficultés depuis plusieurs années. Aux restructurations de chaînes d’assemblage succèdent les mesures d’économies touchant gravement le personnel de fabrication, d’exécution comme d’encadrement, et les rumeurs de plans sociaux manipulés par la direction afin de préparer tous et chacun à des mesures plus sévères encore sans doute déjà programmées.

Depuis quatre ans à la tête de ce groupe emblématique de l’industrie automobile française, un homme : Philippe Varin. Ancien polytechnicien, président du directoire de PSA, c’est lui qui négocie actuellement une augmentation de capital de 4 milliards dans laquelle sont impliqués sont partenaire chinois Dongfeng et… l’Etat, -donc le contribuable !- français. Les craintes quant à l’avenir de ce groupe sont fondées puisque, pour maintenir la tête des actionnaires hors de l’eau, et la survie industrielle, son directoire orienté par Philippe Varin a déjà considérablement réduit les dépenses d’investissement durant le troisième trimestre 2013. Or il n’est pas nécessaire d’avoir chaussé le bicorne noir et porté l’épée pour savoir qu’une entreprise qui n’investit pas, ou pas assez, se condamne à une mort lente, parfois brutale !

Venu de la sidérurgie, cet homme qui a commencé sa carrière chez Péchiney s’est rendu visible dans le monde spéculo-industriel en vendant Corus Steel, au prix fort, au terme d’enchères qui avaient défrayé la chronique, au groupe indien prédateur Tata. L’opération financière avait été saluée. Mais, dans le contexte ardu de la mondialisation assis sur une concurrence effrénée capable d’aller jusqu’au meurtre social pour réussir ses coups, elle était loin des préoccupations ordinaires de production d’une entreprise industrielle.

Aujourd’hui, forcée de constater qu’elle a fait le mauvais choix en embauchant un homme de ferraille plutôt que d’automobile, la famille Peugeot décide de revoir sa copie, d’indiquer la sortie à Philippe Varin, et de confier les rênes de l’entreprise moribonde, dès 2014, à un nouvel expert issu tout droit des couloirs de son rival principal Renault. La manœuvre ressemble fort à une panique de généraux de plomb sur un front enfoncé de toutes parts.

Cette situation prouve, une fois de plus, mais toujours aux dépens du peuple laborieux, que croire au génie des seuls rejetons de prétendues grandes écoles mène plus souvent à la défaite qu’à la victoire !

Monsieur Philippe Varin va donc quitter ses fonctions à la tête du groupe PSA après avoir échoué, selon les spécialistes, et entraîné dans son échec des milliers de salariés, généré des détresses profondes, multiplié les promesses de misère dont il semble ne pas se sentir l’auteur. Pour preuve de son innocence insolemment affirmée par lui, il va se retirer des affaires avec une retraite chapeau d’un montant de 21 millions d’euros versée en rente annuelle, somme intégralement financée par l’entreprise et, semble-t-il, totalement exonérée de charges sociales. Chapeau… l’artiste !

A croire que la famille Peugeot est prête à tout pour envoyer au diable ce grand patron trop encombrant. Prête à tout, surtout à faire passer directement de la poche déjà bien vide du contribuable (vous et moi) à la poche déjà bien pleine de Philippe Varin la participation financière attendue de l’Etat au redressement de l’entreprise !

Nul doute qu’avec un tel pactole, le héros de cette entourloupe pourra se retirer loin des lieux où se développeront les résultats de son court règne à la tête de PSA, à des années-obscurité des tragédies créées par ses décisions. Il ne verra rien des vies brisées, des familles condamnées à la survie, des enfants envoyés dans des zones de non-droit plutôt qu’à l’école, des dépressions nerveuses, de la violence née de l’inactivité forcée, des trafics de tout poil, des suicides… Hors de sa vue les misères d’un peuple inodore, incolore et sans saveur puisque… ignoré !

Avec cette affligeante affaire, la société a une fois de plus sous les yeux la démonstration que la rente de situation n’est attachée qu’à la fonction obtenue par cooptation (synonyme de copinage), certainement pas à la compétence, ni au talent, encore moins à la volonté de travailler ensemble pour gagner ensemble. Une fois de plus, la « France du bas » (si élégamment qualifiée ainsi par un ancien premier ministre) constate les étonnantes aptitudes à la cécité, à l’amnésie, à l’insensibilité de la « France du haut », toutes infirmités présentées par ceux-là mêmes qui en sont atteints comme des qualités indispensables à leur rayonnement.

Fort heureusement, tous les crimes tombent sous le coup de lois nationales ou internationales. Outre ceux, évidents, qui constituent une infraction pénale, passibles des tribunaux ordinaires d’un pays, ceux commis par des groupes, institutions ou Etats sont, depuis l’accord de Londres du 8 mai 1945, jugés, leurs auteurs condamnés par des juridictions internationales dont la Cour pénale internationale. Ils ont été justement baptisés « Crimes contre l’humanité ». C’est le cas de l’assassinat, de l’extermination, de la réduction en esclavage, de la déportation, des persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux. La qualification de « Crime contre l’humanité » exige le constat d’une volonté, d’une intention affirmée d’une discrimination chez son (ses) auteur(s). Ainsi en est-il, par exemple, de l’antisémitisme.

Or, échappent à ces règles et lois nationales et internationales les délits de maîtres de l’économie dont les comportements aboutissent pourtant à de véritables drames sociaux. Où sont les responsables de la catastrophe de Bophal, en Inde, qui a fait plusieurs dizaines de milliers de victimes ? Que devient le maharaja de Florange, à la tête du groupe Arcelor-Mittal ? Que font aujourd’hui les manipulateurs de Good Year ? La liste pourrait être longue ; elle grandit chaque jour nouveau qu’ouvre le calendrier.

Pourtant, ces comportements sont eux aussi volontaires et froidement décidés, résultats d’une intention affirmée : faire le plus vite possible (ici quatre ans !) sur le dos de tous, personnels de l’entreprise et citoyens contribuables, le maximum de profits à distribuer à quelques-uns, quels que soient ce que les militaires appellent les « dégâts collatéraux » ! Et ces stratégies de développement financier, cet oubli programmé de celles et ceux qui, sur le chantier ou à leurs machines, sont à l’origine même des grandes fortunes, aboutissent aux résultats comparables à ceux obtenus par les fous d’un dieu quel qu’il soit, les frénétiques d’une culture exclusive, les obsédés d’une frontière née seulement dans leur délire. Elles aboutissent aux mêmes résultats : ruines individuelles, destruction du tissu social, stérilisation des meilleurs talents, abrutissement de la jeunesse (qui durerait jusqu’à quarante ans !) et mépris de la vieillesse (qui commencerait à quarante ans !), maladies provoquées par la déchéance et la cohabitation quotidienne avec la honte, par l’épuisement, ou (répétons-le parce que notre pays en détient de tristes records) la mort « choisie » (souvenons-nous de France Télécom).

C’est toute la société qui est victime de prédateurs sans foi ni loi, souvent pressés d’aller planquer leur butin dans des paradis fiscaux, qui est exploitée, mise en coupe réglée, saignée à blanc, rognée jusqu’à l’os, qui voit ses enfants sacrifiés, sa culture offerte au mieux payant, ses forces vives manipulées, détournées, retournées contre elle-même par ceux-là, en vertu d’un principe indigne qu’ils appliquent sans sourciller : « Après moi… le déluge ! »

A l’heure où les Restos du cœur redoutent de dépasser le million d’assistés durant la nouvelle saison froide, où les pouvoirs publics appellent avec raison à la solidarité nationale, où les élus de la Nation sont pris à la gorge par une dette publique incompressible qui rend le pays ingouvernable, où des légions de bénévoles manquent de moyens pour tenter de limiter les dégâts provoqués par quelques fanatiques du libéralisme économique, où explose le nombre des détresses et des suicides, nous pouvons légitimement nous demander pourquoi ces délinquants en col blanc, ces navigateurs internationaux de la finance, ces spécialistes de la spoliation des humbles, présentés par le monde anglo-saxon notamment comme des modèles de réussite, ne tombent pas sous le coup des lois.

L’évidence est là : ils jouent entre eux dans une cour de non-droit. Aucun texte réglementaire ne leur interdit de commettre ces actes délictueux.

Mais, ce constat est à mettre à l’actif de l’affaire PSA-Varin : le tragique de notre temps nous indique que nous touchons au terme de ces jeux criminels.

Il est urgent, maintenant, aujourd’hui, ce soir, de doter notre humanité d’un arsenal juridique qui permettra, sinon de mettre hors d’état de nuire les délinquants économiques et financiers et les prédateurs internationaux, au moins de les contraindre à recouvrer la vue, l’ouïe, le cœur et, avec le sens de l’honneur, les voies du respect de l’autre.

Il est urgent de créer la notion de « CRIME CONTRE LA SOCIETE » !

Que ces gens-là et leurs complices, les généreux donateurs de retraite chapeau et leurs bénéficiaires, sur plainte de leurs victimes ou de l’Etat, soient jugés par des représentants des peuples, qu’ils aient à rendre des comptes, qu’ils justifient l’emploi des royaux profits réalisés sur le dos de leurs sujets d’un nouveau genre. Qui, par exemple, savait hier encore que l’ « exemplaire Allemagne » n’a pas de salaire minimum obligatoire, que nombre des ses entreprises paient leurs salariés deux ou trois euros de l’heure, et que, si certains y roulent en berlines de grand luxe, des millions d’autres n’ont pas de quoi s’y offrir un vélo ?

Comme, autrefois, en matière de « Crimes contre l’humanité », L’Europe peut devenir, aujourd’hui, l’inspiratrice d’une telle révolution pacifique.

Qu’il devienne impossible de quitter un fauteuil doré, les poches pleines de 21 millions d’euros, après avoir laissé mettre à mal la société, par voie de conséquence, ruiné celles et ceux qui, par leur travail quotidien, ont gagné cet argent, serait maintenant la preuve de la réelle suppression de l’esclavage, celle aussi de la vraie modernité humaine substituée à la primitive loi de la jungle… une exigence absolue !

Plutôt que la TVA sur les heures de poney dans les centres équestres, les instances européennes ont là LE chantier d’avenir à ouvrir. Pourront-elles… oseront-elles le faire ?

C’est à nous, citoyens électeurs, de l’exiger !

Salut et Fraternité.