Pourquoi l’Église ?
D’abord, parce que les ecclésiastiques sont des hommes comme les autres ! Ensuite, parce que, pour mieux combattre la débauche, il est indispensable de bien la connaître ! En outre, l’Église naissante a besoin d’argent… le commerce des vins et alcools en sera un bon pourvoyeur. L' Eglise n’oublie pas non plus les textes sacrés et leur évocation de l’ivresse Noé, ni le miracle des noces de Cana. Enfin, elle a un réel besoin de vin pour le service eucharistique : Hic est enim calix sanguinis mei !
Elle va donc, pour les siècles des siècles, s’intéresser à l’ampélographie et créer des vignobles :
-Sidoine Apollinaire, poète, sénateur et évêque de Clermont-Ferrand évoque dès le Vème siècle l’introduction de la vigne en Touraine par saint Martin. Parlant de la Limagne, il écrit :
Les montagnes lui font une ceinture de pâturages à leur sommet, de vignobles sur les coteaux, de fermes aux endroits cultivés, de châteaux sur les rochers.
-L’évêque de Nantes plante à tour de bras, comme saint Memin de Micy, saint Calais, et saint Maur (le vin mène sans doute à la sainteté… ou l’inverse !)
-Léonce-le-Jeune, évêque de Bordeaux, plante à Preignac.
-En région parisienne, l’abbaye de Saint-Germain-des-Près plante 300 ha de vignes qui produisent bientôt près de 200 hl de vin. Les vignes sont à Maison-Laffite, Verrière-le-Buisson, Gagny, Palaiseau, Épinay-sous-Sénart…
-En Alsace, les monastères de Marmoutier, Wissembourg et Munster produisent un vin renommé tel que le chroniqueur de l’abbaye suisse de Saint-Gall vante le vin de Sigolsheim et le compare au Falerne, vin prestigieux d’Italie.
-Théodulphe, évêque d’Orléans sous Charlemagne est baptisé « père des vignes » par le savant Alcuin, abbé de Saint-Martin-de-Tours.
-En Champagne, c’est l’évêque Nivard qui fonde le vignoble du monastère de d’Hautvillers, entre Épernay et Reims.
En Lorraine :
-Pour convaincre Paul, évêque de Verdun qui fait de la résistance, saint Didier, évêque de Cahors au VIème siècle lui envoie… dix tonneaux de vin !
-Enfin convaincu (comment ne pas être convaincu par le Cahors de son confrère ?) Hatton, évêque de Verdun, construit son château sur la côte où il attend tout de la vigne… Hattonchâtel !
-Et à Metz, les quatre abbayes (Saint-Arnould, Saint-Clément, Saint-Symphorien (aujourd’hui stade où l’on consomme surtout de… la bière !) et Saint-Vincent se partagent les vignes et la vente du vin au détail chez les taverniers de la région.
-Quant à l’évêché de Toul, il fera une place considérable au vignoble.
-Tandis que la collégiale Saint-Georges de Nancy devient propriétaire d’un patrimoine vigneron très important, tout comme les seigneurs très chrétiens de Vaudémont, Custines, Prény, Vézelise ou Pont-Saint-Vincent !
En ces temps-là, les grands propriétaires vignerons lorrains sont, à Nancy : les Dominicaines (dames prêcheresses), la Collégiale Saint-Georges qui viticulte à la coste des Chanoines, et l’abbaye cistercienne de Clairlieu, à Prény : l’abbaye Sainte-Marie-aux-Bois, à Vandoeuvre : le prieuré clunisien, à Lunéville : l’abbaye de Beaupré…
Foin du péché : le vin est devenu l’âme et l’arme de l’Église ! Au point qu’une légende raconte que…
Le cordelier Rubrouk (moine), envoyé par saint Louis au grand khan des Tartares, présenta à ce monarque un grand flacon de ce « bon vin de Mantes » qui fut trouvé si délicieux qu’il disposa le roi tartare à embrasser la religion du pays qui le produisait. Mais un flacon ne suffit pas ! Ce fut un échec ! Le missionnaire nous laisse entendre que si le vin de Mantes ne lui eût manqué, le fils de Genghis Khan se fût déclaré chrétien !
Bientôt, la fortune est telle… que l’une des abbayes fondées à Soissons prendra pour nom Saint-Jean-des-Vignes… Une fortune qui fera le bonheur profane de villes bien situées sur les grandes routes du vin, comme Gournay-en-Bray ou Bapaume qui encaisseront de généreux péages.
Car le vin circule ! Par voie d’eau : sur la Garonne, le Rhône, la Saône, la Loire et la Seine. En Lorraine, sur Moselle et Meurthe. Par voie de terre, sur de lourds chariots à quatre roues tirés par huit chevaux, capables de porter quatre tonneaux de trois muids, soit environ 27hl, soit environ 3 tonnes !
Si le vin circule… c’est que le vin se consomme !
Les 60 moines de l’abbaye de Longpont, près de Soissons, en consomment pour le seul besoin liturgique environ 17 hl/an. Le reste, ils le boivent à table et le partagent, parfois, avec… les pauvres.
C’est que… l’exemple vient d’en haut !
1342. Pour le couronnement du pape Clément VI en Avignon, on boit 1600 hl de vin au Palais Vieux et dans les rues où des fontaines de vin coulent durant 4 semaines !
1352. Couronnement d’Innocent VI. La consommation de vin nécessite l’achat de 2000 cruches, 5000 gobelets de verre, 3000 verres à pied, et plusieurs centaines de verres d’honneur pour le Pape et les cardinaux ! (Le couronnement de Benoît XVI est trop récent … les quantités n’ont pas encore été communiquées !)
En ces temps-là, d’ordinaire, sans fête ni couronnement, on consommait au palais d’Avignon 105 hl de vin par semaine, dont 10 hl pour la seule table du Pape ! Et la ville, autour du palais, était en perpétuelle effervescence. Sa population était passée, de quelques milliers avant l’arrivée du Saint-Père et de sa cour, à… 30 000 h. Tavernes, auberges, étuves et bordels étaient pleins en permanence. On ne parlait plus d’Avignon qu’en ces termes : la « Babylone du siècle ».
Et les marchands, eux, se frottaient les mains !
Extrait de ma conférence : Vignes et vins, Bacchus d'hier à demain ! Image : CABU in Les mots du vin et de l'ivresse, de Martine Chatelain-Courtois éd. Belin 1993 dont je recommande chaleureusement la lecture. Si on veut en savoir beaucoup sur le vignoble français et ses productions, voir le site PAGES-VINS (dans Mes sites et blogs amis).