Un jour, les anciens propriétaires s’étant retirés
après avoir fait valoir leur droit au repos, arriva dans son confortable corps
de logis un nouvel exploitant qui se mit à… exploiter.
Cet homme-là, célibataire en apparence, était
accompagné d’une foule de ses anciens copains d’école qui tous prétendaient
savoir : planter les choux à la mode… à la mode, s’occuper du troupeau de
veaux, castrer les cochons récalcitrants, récolter le blé -tout le blé, surtout
le blé !-, cultiver avec amour les plus grosses légumes du potager.
Logés dans les dépendances spacieuses et bien
chauffées, tous ces admirables spécialistes entreprirent d’abord de vivre sur
les réserves constituées à une époque fort ancienne puis, au terme d’un très
long temps de réflexion, de réformer les manières de voir le quotidien de la
ferme. L’initiative aurait pu être porteuse d’espoir si tous avaient pu voir.
Mais, dans l’école dont ils étaient issus, à force de regarder le soleil dont
ils se croyaient les enfants légitimes, ils étaient devenus aveugles « à
l’insu de leur plein gré » !
De projet de réforme qui agitait dangereusement le
troupeau de veaux, en projet de réforme qui rendait les cochons agressifs et
couvrait de pustules les grosses légumes au seul effet de l’annonce, ils
s’aperçurent que seule une modification fondamentale des plans d’exploitation
et d’assolement pourrait leur garantir la survie à la tête de la ferme modèle.
Sans toucher à la récolte de blé qu’ils jugeaient
essentielle, ils décidèrent donc de transformer les petits potagers en grands
champs, l’écurie en étable, et les réduits en clapiers ! Mais les
grondements étaient tels autour d’eux qu’ils jugèrent nécessaire de faire comme
s’ils demandaient leur avis aux veaux, vaches, cochons, couvée. Un vote serait
organisé. Ils avaient appris à l’école qu’il fallait toujours faire croire aux
animaux et végétaux que, si les choses ne se faisaient pas dans leur intérêt,
elles se faisaient toujours parce que leur qualité déclinait : ils en
étaient la cause ! L’avis des grosses légumes leur ayant été favorable, à
défaut d’avoir entendu celui des autres pourtant directement concernés, ils
avaient donc lancé l’affaire.

Alors, devant la mollesse de la réaction et la perspective
d’une méchante déroute, les copains d’école du nouveau propriétaire sortirent
de leurs dépendances, coururent porter la bonne parole dans les champs, les
écuries, les potagers, les réduits, les clapiers… Les plus en vue d’entre eux,
aiguisés par l’attrait d’un nouveau pouvoir, se précipitèrent sur des tribunes
improvisées, tracteurs, charrettes, moissonneuses-batteuses pour y haranguer la
foule, et s’y écharper violemment au sujet du partage du… blé nouveau. Dans les heures ultimes de la
campagne, on vit même deux de leurs prétendants chefs se battre comme des
humains chiffonniers au milieu de la cour, parmi les poules amusées et les coqs
indifférents, sous le regard ironique du molosse à l’attache en train de
dévorer le contenu de sa gamelle à l’ombre du tas de fumier, tandis que,
confiant en son équipe, dans le logis principal, le propriétaire s’entretenait
avec des comédiennes de… la pluie et du beau temps.
Qu’est-il advenu ensuite ?
Nul n’a le droit d’imposer de fin à une histoire.
Pas même son auteur.
Surtout pas celle-là !
A chacun de se la raconter, voire de l’écrire, s’il le
souhaite, pour lui, et/ou pour les autres.
N’en déplaise au cercle étroit de copains de la
fameuse Ecole Nationale d’Aveuglement, pour être visible par tous, l’avenir
doit rester l’horizon de voies ouvertes au large.
Au diable donc les impasses !
Mais, en attendant…
Pauvre France !
Salut et Fraternité.