mercredi 22 avril 2015

Arts et Lettres Assemblée nationale 8 avril 2015

Ce jour-là, 8 avril 2015, à 16h15, en l'hôtel de la Questure de l'Assemblée nationale, la Ministre de la Culture et de la Communication, Madame Fleur Pellerin, épinglait sur ma poitrine les insignes de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. 
EMOTION...  partagée avec le député des Vosges Christian Franqueville  ordonnateur de la cérémonie, André Henri, ancien ministre, mes éditeurs, auteurs amis, et quelques proches Vosgiens/Lorrains de Paris.
Voici l'éloge prononcé par la Ministre :

Cher Gilles Laporte,
 Vous aimez, dites-vous, « mettre vos pas dans ceux de vos héros, raconter leur histoire, partager leur vie et leur passion par … le cœur, par l’émotion ! ». Ces héros, ce sont ceux de votre pays vosgien natal, ces hommes et ces femmes qui ont écrit notre histoire et dont vous avez fait votre première matière romanesque.
Né dans une famille d’ouvriers de filature, vous êtes, ainsi que vous aimez à le dire, « de cette foule des humbles que les puissants de tous les régimes se plaisent à épuiser». L’arme de votre révolte ? Votre plume, alerte et acérée, qui porte haut l’histoire et le destin de nos semblables, devenus sources d’inspiration pour des générations de lecteurs.
Dans ce genre historique où vous excellez, vous racontez la chute, puis la destruction, de la ville de La Mothe, en Lorraine, pendant la guerre de Trente Ans. Après avoir consacré de remarquables biographiques aux grands de ce monde, dont Chopin, vous vous attachez à l’incroyable destin des femmes du peuple : Julie-Victoire, première bachelière de France, qui s’est battue pour la défense des droits des femmes, mais aussi Aurore Mongel, championne de natation originaire d’Epinal ou encore cette Lorraine qui voulait devenir institutrice, au tournant du XIXe et du XXe siècles, sans que sa condition sociale le lui permette, et qui sera éclusière sur le canal de l’Est.  
Attaché à une région dont vous savez si bien rendre la beauté et l’histoire, vous avez mis votre talent au service des destins extraordinaires et des vies humbles, des bonheurs et des tourmentes de tout le peuple vosgien. Parce que vous racontez comme personne ces histoires dans lesquelles chacun peut se reconnaître et qui font vivre la mémoire de toute une région, parce que  vous incarnez la force et la vitalité de la littérature de nos territoires, la République des Arts et des Lettres vous adresse toute sa reconnaissance.

Cher Gilles Laporte, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.


Ma réponse :

Madame la Ministre
Monsieur le Député, cher Christian,
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,

Mes premières pensées, en ce jour, en ce lieu, sont pour mes parents, ouvriers de filature des Vosges, disparus depuis quelques années, qui auraient été très émus de partager avec moi, avec nous, ce moment émouvant.
Ils m’ont transmis les valeurs essentielles qui sous-tendaient leur vie : amour du travail quotidien et bien fait, sens du service civique et de la citoyenneté. Dans leurs traces, je me considère depuis toujours et pour toujours comme un ouvrier des Lettres.

Mes pensées vont aussi à mes maîtresses et maîtres d’école qui, par leur talent de pédagogues et leur amour de la République ont contribué, à leur tour, à faire de moi ce que je suis.
Madame Yvonne Jungen, tout d’abord, qui, dès mes premières années d’école primaire à Igney, m’a invité à partager sa passion de la langue, m’a fait goûter ses subtilités, sa profondeur, ses harmonies. Elle a si bien réussi que j’ai décroché le Prix de lecture au Cours élémentaire première année, et reçu ainsi mon premier livre (lire était considéré comme une occupation de fainéant dans ce milieu, à cette époque) : le Don Quichotte de Cervantès, en édition illustrée pour enfant. J’ai lu, relu des dizaines, des centaines de fois ce livre en me répétant que j’aimerais, un jour, pouvoir écrire des histoires comme celle-là ! Dans sa classe, je suis tombé amoureux de notre langue (peut-être aussi de la maîtresse !)
Puis j’ai eu la chance de rencontrer des professeurs remarquables, dont Joseph Martynciow, professeur de français au collège de Thaon-les-Vosges, arrivé de Pologne pour aimer passionnément notre langue et la faire maîtriser avec élégance et efficacité par ses élèves.
Le philosophe Raymond Ruyer à la faculté de Nancy, Vosgien lui aussi, l’un des penseurs les plus prestigieux de notre temps, dont les nombreux écrits sont malheureusement oubliés aujourd’hui. Par l’intensité et la clarté de sa réflexion, ce maître à élargi à l’infini le champ de vision de plusieurs générations d’étudiants.
Que tous soient remerciés, en ce jour, en ce lieu prestigieux, y compris les nombreux enseignants auxquels je dois beaucoup, que je n’ai pas cités.

Je tiens aussi à rendre hommage à mes éditeurs, à la grande et belle famille des Presses de la Cité en particulier, représentée ici par sa Directrice générale Anne-Laure Aymeric, sa Directrice littéraire Clarisse Enaudeau, et l’attachée de presse Laetitia Matuzik ; retenu en province par des obsèques, notre Président-directeur-général Jean Arcache, est avec nous par la pensée, tout comme Sophie Lajeunesse Directrice éditoriale et l’équipe éditoriale tout entière, dont Carole Collin, Sophie Thiébaut et Isabelle Dupré. Merci à toutes et à tous. Le travail avec vous est un bonheur toujours renouvelé.
Sans mariage heureux auteur-éditeur, le livre n’existe pas !

Que les femmes qui m’accompagnent au quotidien dans mon aventure de vie et littéraire soient également honorées en ce jour et en ce lieu, toutes les femmes, d’ici et de partout. Elles sont les personnages principaux de tous mes livres parce que, depuis trop longtemps, les grandes oubliées -pour ne pas dire méprisées- de l’évolution sociale. Toutes les inégalités, toutes les exclusions me sont insupportables, celle-là en particulier, celle-là d’abord. Comment se prétendre défenseurs de la belle devise républicaine gravée au fronton de tous nos bâtiments officiels LIBERTE-EGALITE-FRATERNITE si nous acceptons -pire pratiquons !- la discrimination basée sur la seule différence organique ou de racines ?  Dans mes livres, la femme côtoie l’ouvrier, le paysan, le petit, le sans-grade, l’humble, ces gens du peuple qui sont l’essence même de notre société, parce qu’elle en est l’origine et l’espoir.

Souvent, lors de mes nombreuses interventions en milieu scolaire –rencontres pour moi très importantes car prolongement de mon acte d’écriture en direction de celles et ceux qui prendront notre relève- la question m’est posée : « Pourquoi écrivez-vous ? » Ma réponse est toujours : « Je n’écris pas pour distraire mes contemporains, pour les aider à s’endormir s’ils souffrent d’insomnie. Mes livres ne sont pas un substitut du Lexomil. Je n’ai pas, non plus, la prétention de délivrer un ou des messages. J’écris pour mettre en scène l’Histoire, témoigner et participer, par ma plume, à la marche en avant de notre société, pour apporter ma pierre à l’édifice social commun, pour, dans la délirante évolution de notre temps, contribuer à la survie de la prodigieuse et vitale aventure du livre.

Permettez-moi, pour conclure, de vous offrir cet extrait de discours prononcé par le poète espagnol Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de son village natal Fuente Vaqueros en septembre 1936 :
Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: "Amour, amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait froid,  ne demandait pas le feu ; il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau… il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du cœur ! Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie !
"La devise de la République doit être : la Culture !".
La culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière.
N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière

Permettez-moi de saluer aussi, et remercier, Monsieur Christian Poncelet, ancien ministre, ancien président du Sénat, ancien président du Conseil général des Vosges, initiateur de la démarche qui nous rassemble aujourd’hui.

Merci, Madame la Ministre,
Merci, Monsieur le Député Christian Franqueville, mon cher Ami,
Merci à vous toutes et vous tous.
La Ministre attentive... 
   Avec Ch. Franqueville -député,et A. Henri - ancien ministre
 
     Avec l'état-major des Presses de la Cité : A-L Aymeric Directrice générale, C. Enaudeau Directrice littéraire, L. Matusik attachée de presse
                                                                    
Avec Bernard Visse, mon successeur à la présidence Erckmann-Chatrian, et Jean-Paul Rothiot, historien et ami, mon "jumeau" décoré du jour.
MERCI, du fond du coeur.
Et merci à vous toutes et vous tous, amies et amis, qui m'avez adressé des mots chaleureux que je n'oublierai jamais.
Salut et Fraternité !

jeudi 2 avril 2015

En prison...

Jeudi, 26 mars 2015.
9h30.
Les mains dans les poches, sur le plateau du Haut-du-Lièvre, j’arpente le parc auto débordant de la prison (baptisée pudiquement « Centre pénitentiaire ») de Nancy battu par une bise glaciale et cinglante. J’ai eu du mal à me garer. L’affluence y est celle d’un supermarché le samedi après-midi. C’est dire le succès de l’établissement !
J’attends Marie-Odile, de la Médiathèque-Manufacture, et ses beaux complices en passion du livre et humanité. Ensemble, ils ont créé et animent un Club de lecture à destination des « clients » de cet « hôtel » un peu particulier.
Ils arrivent, m’introduisent dans l’espace accueil, au milieu des familles et proches pressés et fébriles en route vers le parloir.
Comme pour un embarquement d’aéroport, des femmes et hommes en uniforme m’invitent à déposer au guichet ma carte d’identité et mon téléphone portable, puis à me présenter au portique de détection des métaux. Impression de partir en voyage. Mais quel voyage ! Je me dépouille de  mes ornements métalliques heureusement rares, ma montre, les confie à la machine dans un panier, passe sous le joug… ça sonne ! On m’invite à retirer ma ceinture (au risque de me faire perdre mon pantalon, puis de me faire incarcérer pour exhibitionnisme !)… ça sonne ! Me déchausse, dépose mes souliers dans le panier… ça sonne ! Nous nous demandons ce que je peux encore bien retirer, sauf à me retrouver à poil, fais mes poches, du haut, du bas, propose de déposer dans le panier mon bridge et ma couronne (si peu royale !)… on m’en dispense… je refais une tentative… miracle : ça passe !
Dans l’enceinte maintenant, je me rechausse, me rhabille, emboîte le pas à mes guides du Club lecture et surveillants, franchis des portes verrouillées, traverse des cours balayées par la bise malgré les hautes clôtures et le filet tendu au-dessus de nos têtes, franchis d’autres portes, emprunte des couloirs. Au passage, on me montre une peinture exécutée par un détenu, belle et forte œuvre peinte avec les tripes et le cœur. J’aime !
Dans la salle enfin atteinte, ils et elles sont là, une quinzaine de personnes, détenues, détenus et personnel. Ils ont réglé les derniers détails en m’attendant (alignement des chaises, place du « conférencier » et de la caméra…)
La rencontre a été préparée, mes livres lus… un détenu a même confié à des proches des recherches me concernant sur internet. C’est lui, un grand gaillard, costaud, au sourire rayonnant, des papiers plein les mains, qui ouvre le bal des questions. Il m’en posera des dizaines, toutes plus pertinentes les unes que les autres : d’où je viens, ma naissance, ma famille d’origine, mes études, mes méthodes d’écriture, mes livres… souvent très émouvantes. Surprise : il en sait presque plus sur moi que… moi-même ! Les autres écoutent, osent de temps en temps une question complémentaire, comme cette jeune femme, au premier rang, au regard intense, suspendue aux paroles de mon examinateur et aux miennes, qui interviendra discrètement à plusieurs reprises, comme gênée de le faire, pour des remarques d’une belle qualité poétique, philosophique et spirituelle.  
A son côté, une autre femme, plus âgée, silencieuse, les mains nouées sur ses cuisses, me fixe intensément sans un mot. Son regard sur moi, deux heures durant, me fouille, me donne l’impression qu’elle cherche à comprendre ce que je suis, ce que je dis, ce qu’elle… fait là ! On me confiera, à la fin de la rencontre, qu’elle est étrangère, qu’elle ne maîtrise pas notre langue. Peut-être n’a-t-elle pas tout compris. Mais je sais, à la brûlure de son regard sur moi, qu’elle a tout senti !
Midi approchait quand les surveillants nous ont fit signe de conclure.
Nous avions passé deux heures comme… deux minutes !
Deux heures de partage dans ce lieu impersonnel, au cœur de la prison, deux heures de presque intimité, deux heures de fraternité enracinée dans une étrange communion scellée par l’amour des mots et de la belle langue, l’échange des regards, des mots, des connaissances, et la fusion des émotions.
Je ne sais pas, ne saurai jamais pourquoi elles/ils sont là, celles et ceux qui ont vécu avec moi cette matinée hors du temps et des espaces de jugement, quelle faute ou quel crime elles/ils ont commis, depuis combien de temps elles/ils sont là, pour combien de temps encore, mais je sais qu’ils m’ont offert un moment d’intense réflexion et de belle humanité dont je ne suis pas sorti, dont je souhaite ne jamais sortir.  
Au guichet, j’ai récupéré ma carte d’identité, mon téléphone portable. Puis j’ai remis le nez dehors. Curieusement, le vent ne m’y parla pas davantage de liberté qu’à l’intérieur. Il était le même, toujours aussi irrespirable, sec et tranchant !
Dans ma voiture, sur la route du retour, je me suis surpris à répéter en boucle, à haute voix, ces vers de Victor Hugo dédiés à Louise Michel :

Et ceux qui, comme moi, se sentent incapable
De tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu
Qui savent que si l’on te disait : « D’où viens-tu ? »
Tu répondrais : « Je viens de la nuit d’où l’on souffre ;
Oui, je viens du devoir dont vous faites un gouffre… »

Allez savoir pourquoi !
Salut et Fraternité.